"Des boites de conserve, des plats préparés, des barres chocolatées bios, on sera plus dans une démarche de marketing car ce ne sont pas des produits nécessairement sains."
Robin Mesnage - Buchinger Wilhelmi
Entretien

Bio et santé, comment s'y retrouver quand on n'est pas scientifique ?

Rencontre avec le docteur Robin Mesnage, chercheur au King’s College de Londres, scientifique pour les cliniques Buchinger Wilhelmi et plus simplement, toxicologue, spécialisé sur les questions de traitements agricoles.

Sur quels sujets avez-vous travaillé ?

J’ai beaucoup travaillé sur la toxicité des pesticides sur différents modèles et dans différents contextes. C’est une question importante pour l’agriculture biologique puisque l’une de ses démarches est de réduire l’exposition aux pesticides. Les consommateurs peuvent se dire que cela a des effets sur leur santé. C’est d’ailleurs souvent un argument marketing.

Est-ce que manger bio est meilleur pour la santé ?

Si on veut vraiment une réponse en blanc ou noir, manger bio est effectivement meilleur pour la santé. Mais beaucoup de facteurs entrent en compte. Il y a différents types de bio. L’agriculture biologique est devenue un argument marketing. On va trouver des produits bios qui ne vont pas être bons pour la santé.

Mais comment faire pour y voir clair quand on est consommateur et pas scientifique ?

C’est difficile d’avoir une vue détaillée et de comprendre pour chaque produit ce qu’il y a à l’intérieur, s’il est bon ou non pour la santé. Mais c’est vrai qu’il y a des règles générales à adopter. Lorsqu’on achète au marché, il y a plus de chance que ça vienne de petits producteurs, car il y a plus de contrôles. Si on achète des produits conditionnés au supermarché, comme des boites de conserve, des plats préparés, des barres chocolatées qui sont bios, on sera plus dans une démarche de marketing car ce ne sont pas des produits nécessairement sains.

C’est vrai qu’il y a des règles générales à adopter. Lorsqu’on achète au marché, il y a plus de chance que ça vienne de petits producteurs, car il y a plus de contrôles.

Que sait-on aujourd’hui des effets de l’exposition de l’être humain aux pesticides et notamment sur les aliments ?

Les effets des pesticides sont multiples. Il y a beaucoup de pesticides différents. Ce que l’on sait bien, c’est que les insecticides qui sont pulvérisés sur les fruits et les légumes, parfois même après la récolte, peuvent avoir un effet sur la santé et surtout chez les plus sensibles, comme les nourrissons. Plusieurs études scientifiques soulignent que l’exposition aux pesticides pendant la grossesse peut entraîner de l’autisme et des malformations.

Ce qui veut dire que le simple fait de manger des fruits comme vous en parliez, qui ont été exposés à des traitements types pesticides, peut mettre en danger notre santé mais aussi celle d’un bébé alors même qu’il est tout à fait légal de les utiliser.

En effet, c’est vraiment le cas que l’on connait le mieux, les insecticides qui sont pulvérisés sur les fruits peuvent mettre en danger le développement d’un bébé quand il est exposé pendant la grossesse. C’est un risque que l’on connait depuis longtemps mais c’est aussi très difficile de se séparer parfois de ces pesticides. Il y a vraiment une balance entre bénéfice et risque qui est très délicate.C'est pour cette raison que certains de ces produits n’ont pas été interdits jusque-là. C’est notamment le cas pour le glyphosate, qui est un produit toxique mais aussi très important pour l’agriculture. Dans ce cas, si on interdit un pesticide on peut se retrouver avec quelque chose de plus grave et de plus dangereux.

La question qui me vient c’est comment faisait-on avant qu’il y ait des pesticides ? Mangeait-on moins bien ?

On mangeait bien ! Et même en dehors de la contamination aux pesticides, les fruits et les légumes étaient beaucoup plus riches en vitamines et minéraux parce que notre mode d’agriculture était différent. Mais on est arrivé à un point où la population humaine se développe, les terres arables (sur lesquelles on peut cultiver) se dégradent et on a beaucoup moins d’opportunité pour cultiver des produits nutritifs. On est dans un emballement qui fait qu’il est de plus en plus difficile d’assurer une production en quantité et en qualité.

On mangeait bien ! Et même en dehors de la contamination aux pesticides, les fruits et les légumes étaient beaucoup plus riches en vitamines et minéraux parce que notre mode d’agriculture était différent.

J’ai entendu dire que le bio était meilleur pour la santé parce qu’on n’utilisait pas de pesticides...

Il y a plusieurs aspects dans la culture bio qui font qu’elle pourrait être meilleure pour la santé. Les pesticides, c’en est un. Mais ce n’est peut-être pas le principal. Dans l’agriculture traditionnelle, les fruits et légumes sont beaucoup plus mûrs, ils sont cultivés plus tard, il y a moins de traitements avec des engrais. Donc ce sont des fruits et légumes qui sont beaucoup plus nutritifs. Ce n’est pas forcément vrai pour le bio industriel de supermarché. Ce sont plutôt les produits locaux, des fermes qui sont concernés et qui sont beaucoup plus nutritifs. En dehors du fait d’avoir moins de contaminant, généralement, les fruits et légumes bios sont plus nutritifs et sont meilleurs pour la santé.

Est-ce que vous considérez que le cahier des charges de la bio à l’échelle européenne est suffisamment exigeant sur la partie “usage de produits chimiques” ?

Je ne le connais pas en détail. Mais ce cahier des charges a tendance à changer pour accommoder la demande des consommateurs car ils demandent de plus en plus de bio et il est difficile d’assurer une culture à grande échelle. Il est vrai qu’il y a un peu plus de laxisme. Les règles sont plus souples. Pour assurer un suivi précis et sérieux de l’agriculture bio, il faudrait revenir sur ce cahier des charges.

Vous pouvez me parler un peu des OGM. Où en est-on aujourd’hui des recherches sur ce segment-là ?

La situation sur les OGM n’a pas beaucoup changé depuis ces dix ou vingt dernières années. Ce sont toujours des plantes qui sont faites pour tolérer ou produire des pesticides et qui sont principalement cultivées aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud. Mais c’est vrai que ce que l’on sait maintenant c’est que la technologie OGM en elle-même ne pose pas de problème. Il n’y a pas de danger à consommer un aliment qui est OGM. Le danger c’est lorsque ces spécimens vont être pulvérisés de pesticides et qu’ils vont s’accumuler à l’intérieur de la plante. Là, il y a un risque à évaluer.

Vous parliez de l’impact de l’utilisation des pesticides pour les personnes sensibles et notamment lors de la grossesse et de la petite enfance mais qu’en est-il pour la biodiversité ou les terres ?

Pour les terres c’est aussi un problème. Les pesticides et l’agriculture intensive font que les sols sont moins riches, ils s’abiment et ont du mal à se renouveler. On arrive à des situations, parfois, où dans certains endroits les sols deviennent impropres à la culture. Et ça c’est un problème qui est vraiment majeur parce qu’on a de plus en plus de monde sur terre et de moins en moins de sol pour cultiver. Il y a beaucoup de développement en agriculture pour aller vers une agriculture régénératrice des sols car c’est un problème majeur pour la biodiversité sur les terres agricoles.

En tant que chercheur sur ces questions, quelles sont vos habitudes alimentaires ? Comment mangez-vous ?

Quand j’ai le choix entre un produit bio et un produit non bio ou équivalent, c’est vrai que je vais choisir le produit bio. Mais mon premier choix, c’est d’avoir une alimentation variée avec des fruits, des légumes, des aliments fermentés et aussi locaux. Entre une pomme locale non bio et une pomme bio argentine, je vais prendre la pomme locale qui n’est pas bio parce que je fais attention à l’environnement.

Entre une pomme locale non bio et une pomme bio argentine, je vais prendre la pomme locale qui n’est pas bio parce que je fais attention à l’environnement.

Le bio made in France est-il une balise ? C’est une idée assez répandue, le bio en France serait assez traditionnel dans le respect de l’environnement mais aussi dans leur cahier des charges. Ça pourrait être une balise pour guider le consommateur par rapport à l’Espagne ou au Portugal par exemple ?

C’est possible. Le bio made in France est mieux fait que le bio venant du Brésil ou de l’Argentine vendus dans nos supermarchés. Dans ces pays en voie de développement, il y a plus de problèmes au niveau de la qualité des sols, des eaux...En France, nous avons plus d’expérience, de connaissances et d’expertise. C’est vrai qu’il faudrait favoriser les produits français pour que notre agriculture soit préservée. Les agriculteurs sont pointés du doigt pour leurs pratiques alors qu’ils sont pris dans un système où ils n’ont pas vraiment le choix. C’est de plus en plus dur pour eux. Ils ont de moins en moins de possibilité pour cultiver. Les prix sont élevés et les salaires sont très bas. La situation est difficile. Privilégier le bio France c’est un choix pour la santé mais aussi pour notre culture.