Entretien avec Christophe Lavelle, chercheur au CNRS et au Muséum National d'Histoire Naturelle à Paris.
©JC Domenech/Musée de l'Homme
GRAND ENTRETIEN

Alimentation, santé, climat : "Ce qui est bon à manger doit aussi être bon à penser"

Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d'Histoire Naturelle, à Paris. Spécialiste de l'alimentation, il enseigne la physico-bio-chimie culinaire au sein de nombreuses universités et écoles et donne régulièrement des conférences auprès du grand public et des professionnels (chefs, formateurs, ingénieurs). Il est également formateur à l'INSPE pour les professeurs de cuisine et commissaire scientifique de l’exposition "Je Mange Donc Je Suis" (Musée de l’Homme, octobre 2019 – juin 2020*).

Est-ce que l’alimentation reste un marqueur culturel et identitaire fort ?  

C’est clairement un marqueur identitaire car nous avons souvent ce réflexe de mettre en avant des recettes de terroir, en citant quelques plats ou produits endémiques comme le cassoulet, la choucroute, la bouillabaisse, tel fromage, tel vin ou telle charcuterie. En même temps, dans les faits on voit que nous sommes dans un système hyper mondialisé. Résultat, en France, les aliments les plus populaires sont devenus les sushis, la pizza ou le kébab, ce qui nous éloigne de cette image d’Épinal d’une alimentation de terroir… même si l’un n’empêche pas l’autre ! On peut parfaitement avoir envie de mettre en avant, d’un point de vue culturel, des plats de "nos" terroirs tout en ayant une alimentation du quotidien puisant dans d’autres cultures. D’ailleurs cet attachement culturel à la gastronomie est à prendre en compte pour imaginer l’alimentation de demain, qui ne pourra se baser uniquement sur des considérations environnementales, sanitaires ou encore agronomiques. Ce qui est bon à manger doit aussi être bon à penser, disait fort justement Claude Levi-Strauss.

On est en train de perdre le goût de la "bonne bouffe" en France ?

Certainement pas ! En dépit d’un pessimisme ambiant sur ce thème de la malbouffe, cet engouement pour le "bien manger" n’a jamais été aussi présent dans les débats, les médias ou encore les réseaux sociaux. Il n’y a qu’à regarder le succès des livres de cuisine, ou encore des émissions de télé pour lesquelles l’intérêt du public ne tarit pas. Après, il faut reconnaitre que certains baissent la garde sur le fait de cuisiner (et c’est bien dommage), mais pas forcément sur le fait de bien manger, en faisant alors appel à des prestataires (restaurants, services de livraison) pour assouvir cette envie.

Selon sa situation financière personnelle, bien manger prend une signification différente ?

Bien sûr, c’est important d’insister sur ce point, car on assiste à l’idée qu’il y aurait un paradoxe français avec des consommateurs qui voudraient tous du bio local de saison (la trilogie gagnante !) tout en mangeant régulièrement dans les fast food. Sauf qu’en réalité ce ne sont pas les mêmes personnes dont on parle. Quand on évolue comme moi dans le milieu de la gastronomie, on peut vite avoir l’impression qu’autour de soi, tout le monde se sent concerné par la qualité de son alimentation et les conséquences de ses choix sur le réchauffement climatique. Sauf qu’en réalité, il y a une majorité silencieuse qui prend sans doute moins la parole sur les réseaux sociaux et dans les débats publics et qui se sent très éloignée de ces questions-là. Ces consommateurs vont s’alimenter dans les grandes surfaces avec ce qu’ils trouveront de moins cher et d’acceptable d’un point de vue gustatif, sans arrière-pensée. A ce titre, déclarer qu’il faut se passer de la grande distribution est une utopie de privilégiés déconnectés de la réalité.

La malnutrition est souvent le fait (dans les pays développés en tous cas) d’une misère sociale à deux faces : financière et culturelle."

Pour autant manger durable peut aussi être une source d’économie ou, à tout le moins, cela ne demande pas forcément de dépenser plus ?

Tout à fait, pour un pouvoir d’achat donné, au mieux on maitrise le sujet de l’alimentation, au mieux on peut faire des choix optimaux. Et même s’il existe des limites de dépenses en deçà desquelles il n’est plus possible de se nourrir convenablement, il est clair que l’éducation a un rôle immense à jouer dans nos choix alimentaires, et ce dès le plus jeune âge. La malnutrition est souvent le fait (dans les pays développés en tous cas) d’une misère sociale à deux faces : financière et culturelle.

On entend beaucoup parler de la place du végétal dans l’alimentation, ce serait même une solution pour manger mieux sur le plan sanitaire mais aussi environnemental ?

Oui ! On a clairement avec le végétal un double levier vertueux, à la fois sanitaire et écologique : pour cela, il suffit simplement d’inverser la balance en privilégiant le végétal sur l’animal dans notre alimentation. D’ailleurs lorsque l’on parle alimentation du futur en y associant des solutions comme la viande in vitro, les insectes ou encore l’impression 3D, j’y vois des scénarios de science-fiction qui font le buzz plus que des tendances réalistes. Nous n’avons pas besoin pour "nourrir l’humanité" d’aller vers ces solutions tordues ; l’avenir se joue dans nos modèles agronomiques et dans des choix raisonnés et raisonnables.

Les consommateurs n’acceptent plus certaines pratiques aujourd’hui, en termes de bien-être animal, de pollution, ou de recours aux additifs à outrance, ce qui oblige les acteurs du marché de l’alimentation à investir pour adapter leurs productions en conséquence, car ils n’ont plus vraiment le choix."

Le système agroalimentaire n’a pas encore fait sa transition, c’est encore une fois au consommateur de mettre la pression ?

Il est clair que le consommateur se transforme doucement en "consomm’acteur", et ce notamment à travers les réseaux sociaux aujourd’hui omniprésents dans notre quotidien. Quand on voit toutes les évolutions récentes des pratiques de l’agroalimentaire mais aussi leurs nouvelles stratégies marketing qui mettent systématiquement en avant le "durable", le "sain", l’"éthique", c’est clairement un phénomène qui tend à répondre à une demande forte de la société. Les consommateurs n’acceptent plus certaines pratiques aujourd’hui, que ce soit en termes de bien-être animal, de pollution, ou de recours aux additifs à outrance, ce qui oblige les acteurs du marché de l’alimentation à investir pour adapter leurs productions en conséquence, car ils n’ont plus vraiment le choix.

Le consommateur a désormais compris que manger à une influence sur son corps mais aussi sur la société dans laquelle il vit, ces deux volets étant aujourd’hui intimement liés, avec une prise de conscience de plus en plus forte. "Je mange donc je suis" résume bien cette idée d’impact et de rôle de ses choix alimentaire sur sa santé et celle de son environnement.

*L'exposition est suspendue en raison de la fermeture exceptionnelle du Musée de l'Homme durant la crise sanitaire.

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