"Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés, sucrés". C’est un refrain bien connu des Français. Un conseil plein de bon sens, mais souvent difficile à appliquer au quotidien alors que les rayons des grandes surfaces débordent de produits industriels ultra-transformés dont la consommation excessive peut s’avérer néfaste pour la santé. Selon une étude intitulée "L’injuste prix de notre alimentation", menée par 4 associations, la France a investi en 2021 19 milliards d’euros pour compenser les dégâts du système agroalimentaire, entre prise en charge du diabète et de l’obésité, dépollution de l’eau ou encore gestion des déchets. Un coût qui serait même largement sous-estimé. Malgré cela, les consommateurs se dirigent facilement vers ces produits. Notamment parce que les industriels n’hésitent pas à avoir recours à des techniques marketing pour les attirer et les fidéliser. Et ce dès le plus jeune âge.
Les enfants sont des consommateurs facilement influençables, pour qui les questions de santé n’ont que peu de poids dans le processus de décision. "Pour séduire les enfants, les industriels s’appuient sur deux grands leviers de communication : un levier émotionnel et un levier social", explique à ID Valérie Nicolas-Hémar, professeure des universités en sciences du management à l’université Paris-Saclay. Le levier émotionnel s’appuie d’abord sur le goût du produit, généralement très gras et très sucré. Des saveurs qui plaisent aux jeunes consommateurs et "qui génèrent une forme d’addiction".
"Tisser un lien affectif avec la marque"
L’émotion est également suscitée par la communication publicitaire, "en mettant en scène des enfants heureux, astucieux et entourés d’amis, auxquels on a envie de ressembler" poursuit-elle, mais aussi des personnages, qui peuvent être inventés par la marque ou repris de l’univers du dessin animé ou du jeu vidéo. "C’est une très vieille recette, ces personnages sont là pour tisser un lien affectif très fort avec la marque et ses produits. Les industriels jouent sur ce qu’on appelle des relations parasociales : l’enfant étant exposé de manière très régulière à des publicités avec ces personnages, il a l’impression d’établir une relation amicale avec eux, et ces amis de fiction deviennent des personnages de confiance que l’enfant a envie d’imiter".
Quand on demande à des enfants de dessiner des packagings, on retrouve généralement le logo, le personnage et le code couleur de la marque".
Le packaging influence aussi l’intérêt des enfants pour le produit, en attirant leur regard grâce à des couleurs vives, des formes originales et, d’une manière générale, des informations sous forme d’image plutôt que verbale. "Quand on demande à des enfants de dessiner des packagings, on retrouve généralement le logo, le personnage et le code couleur de la marque", constate Valérie Nicolas-Hémar. Des éléments qui, en plus d’attirer le regard, participent à la reconnaissance de la marque, à laquelle les consommateurs vont associer un univers publicitaire, émotionnel et gustatif.
"Avoir le bon goûter pour être intégré"
En plus des outils émotionnels, les industriels actionnent également un levier social pour attirer les jeunes consommateurs. "Il faut avoir le bon goûter dans la cour de récréation pour être intégré au groupe social et pour, soit être reconnu leader, soit faire comme le leader", analyse la professeure. Un mécanisme qui, s’il s’applique à tous les enfants, ne les affecte pas de la même manière en fonction de leur milieu social d’origine. Les enfants issus de milieux défavorisés y seraient plus sensibles, car moins confrontés à un discours critique de la part de leurs parents, et davantage exposés à la publicité télévisuelle. "Dans les milieux plus défavorisés, ne pas avoir la bonne marque de gâteaux ou de jus d’orange est particulièrement stigmatisant car c’est l’objet de consommation le plus facile à avoir pour se raccrocher à un groupe social".
On va acheter telle marque de céréales car c’était celle que l’on mangeait enfant, et même si on sait que ça n’est pas bon pour la santé, ça fait partie de la transmission familiale".
Mais si les techniques marketing des industriels ciblent les enfants, elles s’adressent aussi aux parents, responsables des achats du foyer. Et elles s’appuient sur des leviers similaires. Au niveau émotionnel, c’est sur la notion de transmission que les industriels peuvent jouer. "On va acheter telle marque de céréales car c’était celle que l’on mangeait enfant, et même si on sait que ça n’est pas bon pour la santé, ça fait partie de la transmission familiale. Et on se fait plaisir à travers ce que son enfant mange, il y a une forme de projection", explique Valérie Nicolas-Hémar. Il y a aussi l’envie émotionnelle de faire plaisir à son enfant, et d’acheter la paix sociale, notamment quand le temps manque pour des moments privilégiés au quotidien. Et comme pour les enfants, il existe également un levier social — l’envie d’être un bon parent en achetant les produits adéquats — plus marqué chez les familles issues de milieux défavorisés.
Pour aller plus loin : "Tout savoir sur l'alimentation bio"
En 2023, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié des lignes directrices contre le marketing alimentaire visant les enfants, et a demandé aux Etats de mettre en place des réglementations pour la protection des jeunes consommateurs. C’est ce qu’a fait le Royaume-Uni, où, à partir du 1er octobre 2025, la publicité pour les aliments trop gras, trop sucrés et trop salés sera interdite à la télévision entre 5h30 et 21h, et totalement sur Internet.
En France, depuis 2018, la loi Gattolin interdit la publicité dans les programmes de la télévision publique destinés aux moins de 12 ans. Une mesure jugée insuffisante, dans la mesure où elle ne prend en compte ni les autres supports, comme les plateformes de vidéos et les réseaux sociaux, ni les programmes familiaux et le public adolescent.