Alors que la pression à la performance s’intensifie dans la plupart des entreprises et que parallèlement, la digitalisation permet de travailler hors du lieu de travail, de nombreux salariés peinent à savoir comment mettre le curseur sur leurs heures supplémentaires (payées, ou non payées en ce qui concerne les cadres). Chacun a de bonnes raisons de travailler plus que ce que son contrat ne le lui impose, mais quelles sont-elles ?
Une première logique prend sa source dans le besoin de respecter strictement le contrat avec son employeur. Le salarié, qui a pris sur son temps professionnel pour gérer des affaires personnelles ou qui perçoit simplement que sa productivité n’a pas été au niveau le plus élevé au cours de toute la journée, compense en restant plus tard au travail. Ne pas le faire lui donnerait un sentiment de malhonnêteté vis-à-vis de son employeur.
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La deuxième logique a un ressort totalement différent : le salarié est prêt à donner du temps parce qu’il y prend du plaisir. Pour ce salarié qui reconnaîtrait bien le concept de travail dans son origine étymologique tripalium (torture), réaliser des tâches très agréables à accomplir qui ne demandent pas d’effort particulier, ce n’est pas vraiment du travail. Il s’agit surtout d’activités réalisées en groupe dans une atmosphère de convivialité.
"Des logiques personnelles issues de notre propre rapport au travail"
La troisième logique repose à nouveau sur un raisonnement totalement différent : avant de donner éventuellement du temps à son entreprise, le salarié compare la situation économique de celle-ci avec la sienne : si l’entreprise est en difficultés et que lui-même n’est pas gêné économiquement, il n’hésitera pas à donner du temps, alors que si l’entreprise est en pleine santé et que lui-même ne considère pas sa rémunération suffisante, il choisira de ne pas donner de temps.
La quatrième logique s’apparente à une logique de bénévolat. Le salarié distingue ses missions des activités annexes qui sont pour lui de l’ordre du travail bénévole : aider un collègue à s’intégrer, en dépanner un autre, intervenir au nom de l’entreprise dans une manifestation, etc, autant d’activités qui, sortant du cadre strict de ses missions, doivent être faite, selon ce salarié, en dehors de son temps de travail.
Enfin, la dernière logique s’inscrit dans le don contre-don entre le salarié et son entreprise. Le salarié, se projetant dans le long terme dans son emploi, agit avec son employeur comme il le ferait en famille : au cours de la vie, chacun est amené à donner à un certain moment avec l’assurance que plus tard, l’autre saura le lui rendre. Sa relation avec son employeur implique que chacun donne, reçoive et rende tour à tour sur le temps long.
Il s'agit ici de logiques personnelles issues de notre propre rapport au travail, ce qu’on en attend et la place qu’on lui donne dans notre vie. Or, la logique d’un salarié ne correspond pas forcément à celle que son employeur prône implicitement. La logique prônée peut être par exemple celle du don contre-don dans une coopérative où les parties sont liées par le projet qui les anime mutuellement ou celles du bénévolat ou du plaisir dans une start-up en phase d’accélération.
Savoir identifier ces logiques implicites chez ses salariés et s’assurer qu’elles sont compatibles avec celles prônées dans l’entreprise contribue au bon alignement des attentes et à une meilleure satisfaction au travail. Et vous, pourquoi travaillez-vous plus ?
Cet article s’appuie sur une étude qui a été menée au printemps 2024 dans une coopérative textile de 60 salariés autour de la question du "don de temps ". Dans cette SCOP, les 60 salariés sont employés selon un contrat de 35 heures par semaine. Pourtant, parce qu’ils veulent que leur entreprise réussisse et soit pérenne, ils sont nombreux à aller au-delà du temps de travail réglementaire, même quand les heures supplémentaires ne sont pas payées.
On peut rapprocher cette forme d'engagement de celle des cadres dans les entreprises "classiques" dont le forfait jour ne prévoit pas le paiement des heures supplémentaires mais qui n'hésitent pas à travailler au-delà de la contrainte légale. Un cadre français à temps plein travaille en moyenne 42,7 heures par semaine et 41 % des cadres travaillent régulièrement après 20 heures. (France, Portrait social, édition, 2023, Insee).