L’ours polaire est depuis longtemps l’un des symboles les plus marquants du changement climatique. Grand prédateur arctique, il dépend de la banquise pour chasser et se déplacer. Pourtant, la réduction rapide de son habitat met en péril ses conditions de survie.
Christian Kempf, explorateur polaire, observe cette évolution depuis cinq décennies. "En 1973, lorsque j’ai participé à ma première expédition polaire, la banquise était bien plus étendue. Aujourd’hui, elle recule d’année en année, et avec elle, c’est tout l’équilibre de l’écosystème arctique qui vacille."
Des changements de comportement notables
Face à cette mutation rapide de son habitat, l’ours polaire parvient-il à s’adapter ? Principalement carnivore, ce dernier dépend initialement des phoques pour la majeure partie de son alimentation. Cependant, avec le recul accéléré de la banquise – qui perd chaque année près de 90 000 km² de surface – les zones où il chasse se font de plus en plus rares. Les phoques deviennent donc moins accessibles, forçant l’ours à diversifier son alimentation.
"Avant, nous n’observions quasiment jamais d’ours polaires attaquant les morses. Aujourd’hui, c’est devenu fréquent", explique Christian Kempf. Bien que ces animaux soient difficiles à capturer en raison de leurs imposantes défenses, leur nombre croissant dans l’Arctique pousse l’ours à les chasser de plus en plus souvent.
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Des rassemblements plus fréquents
Autre signe révélateur : l’augmentation des regroupements autour des carcasses de baleines échouées. En effet, bien que l’ours polaire soit généralement un animal solitaire, "ces dernières années, il n'est pas rare de voir une dizaine, voire une vingtaine d’entre eux se rassembler autour du cadavre d'une baleine échouée. C'est ce qu'on appelle des ‘rassemblements de détresse’, un phénomène qui témoigne d’une quête alimentaire devenue plus difficile qu’auparavant."
Selon Christian Kempf, malgré l’adaptation de son régime alimentaire, l’ours polaire a perdu 19 % de sa masse corporelle en 40 ans. Une diminution qui le rend plus vulnérable aux eaux glacées, au grand froid, aux tempêtes et aux longues périodes de jeûne.
Et ce n’est pas tout, puisqu’en plus de la fonte de la banquise, l'ours polaire doit également faire face à une autre menace de taille : la pollution chimique. "Aujourd’hui, 11 % des ours polaires en Europe et 8 % au Canada sont stériles. Le cadmium, le mercure ou encore les micropolluants s’accumulent dans la chaîne alimentaire et affectent directement leur reproduction".
Une victime historique de la chasse
Mais alors, ce géant blanc est-il condamné à disparaître ? Pas à l’heure actuelle, puisque sa population mondiale n’est pas encore en déclin. En 1973, elle avait chuté à seulement 7 000 individus, en grande partie à cause de la chasse intensive. Mais, grâce aux protections mises en place à l’échelle internationale, leur nombre a pu se stabiliser autour de 25 000 aujourd’hui.
Une stabilité néanmoins fragile. "On en tue encore 1 200 par an. Si on arrêtait complètement la chasse, la population pourrait atteindre 35 000 à 40 000 individus d’ici 2050. Mais ce n’est pas le scénario actuel."
La Norvège protège les ours polaires, mais continue à forer du pétrole dans l’Arctique.
D’autant que la situation est contrastée selon les régions : cinq populations d'ours polaires sont actuellement stables, tandis que quatre connaissent une progression. En revanche, dix populations, notamment celles du Canada arctique, sont en déclin. Ainsi, "si l’ours polaire n’est pas encore une espèce en danger d’extinction, il est bel et bien classé comme vulnérable", rappelle Christian Kempf.
L’effondrement d’un écosystème
Plus largement, l'ours blanc symbolise les bouleversements profonds causés par la fonte des glaces. Derrière sa survie se cache la fragilité d’un écosystème tout entier. En effet, la fonte des glaciers et de la banquise, la montée des températures, la surpêche qui appauvrit les ressources alimentaires et l’exploitation pétrolière et gazière, qui concerne environ 25 % des réserves mondiales, sont autant de menaces qui frappent cette région.
Et les paradoxes sont nombreux : "La Norvège protège les ours polaires, mais continue à forer du pétrole dans l’Arctique", rappelle l’explorateur. Des contradictions qui soulignent l'ampleur du défi, entre protection de l'ours polaire et activités fragilisant son habitat.