Vladimir Poutine, président de la fédération de Russie.
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Politique

L'écologie, un non sujet pour Poutine ?

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Après 24 ans à la tête de la Russie, Vladimir Poutine a été réélu, le 17 mars, pour six ans avec plus de 87 % des voix. A cette occasion, ID se penche sur l'évolution de la politique environnementale du président russe. Si ses positions vis-à-vis de l’environnement, et plus particulièrement de la crise climatique, ont quelque peu évolué depuis son arrivée au pouvoir en 2000, la transition écologique reste, sans grande surprise, un sujet mineur pour le chef de l’Etat, d’autant plus en temps de guerre où les questions d’ordre économique et géopolitique prédominent. Eclairage. 

Guerre en Ukraine oblige, la lutte contre le changement climatique, et plus globalement la préservation de l’environnement, sont aujourd’hui relégués au second plan de l’agenda politique de Vladimir Poutine. En témoigne son dernier discours annuel à la nation, prononcé le 29 février dernier, à Moscou, devant les élites du pays.  

Après avoir évoqué pendant plus de deux heures la poursuite de l’offensive en Ukraine, agité la menace du nucléaire ou encore abordé le conflit à Gaza, le chef de l’Etat a exposé sa politique intérieure mentionnant quelques mesures sociales et timides engagements écologiques. Pour réduire l’impact environnemental, le dirigeant russe a fait savoir qu’il souhaitait augmenter "les salaires de ceux qui travaillent dans le secteur de la conservation de la nature", planter "plus d’arbres" que son pays n’en coupe, protéger les forêts, aménager les parcs, améliorer le recyclage ou encore lutter contre l’extinction d’espèces, comme le rapporte Le Parisien.   

Pas un mot en revanche sur la décarbonation, une promesse formulée en 2021 lorsque le gouvernement russe avait lancé son plan national visant à atteindre la neutralité carbone pour 2060. Parmi les objectifs affichés, figuraient la diminution de près de 80 % des émissions de carbone d’ici 2050 ainsi que l’abandon progressif du charbon comme source d’électricité au profit du nucléaire.  

Les énergies fossiles, le nerf de la guerre 

Lors de la COP28, organisée à Dubaï, fin 2023, le quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre (GES) semblait toutefois nuancer ces ambitions, en appelant notamment à "éviter une sortie chaotique des énergies fossiles" - alors qu’un accord de compromis pour une transition "hors des combustibles fossiles" avait été adopté par les Etats à l’issue de la conférence. 

Et pour cause. Disposant d’importantes réserves de pétrole et de gaz et des plus grandes ressources de gaz naturel de la planète, le pays dépend grandement des hydrocarbures pour son économie, et plus particulièrement pour l'équilibre de son commerce extérieur.

En 2021, les exportations d’hydrocarbures représentaient 46 % des exportations en valeur de la Russie, soit 179 milliards de dollars pour le pétrole et seulement 62 milliards de dollars pour le gaz”, détaille Olivier Appert, conseiller du centre Energie et Climat de l’Ifri (Institut français des relations internationales). 

Depuis l’invasion de l’Ukraine, Moscou parvient à conserver cette position hégémonique sur le marché mondial de l’énergie. "Malgré les mesures d’embargo prises depuis 2022 par les pays de l’OCDE sur le charbon et le pétrole puis plus tardivement sur le gaz, les exportations de pétrole sont restées stables en 2023 à 7,5 millions de baril jour, soit à peine 0,3 millions baril jour de moins qu’en 2022 avant la guerre", appuie l’expert. 

Cela s’explique par le fait que la baisse des exportations vers les pays de l’OCDE a été largement compensée par des exportations vers l’Inde (1,8 millions de baril jour), la Chine (0,7 million de baril jour), la Turquie (0,5 million de baril jour) et le Moyen-Orient (0,3 million de baril jour), comme l’indique l’Agence internationale de l’Energie (AIE). "Pour conquérir ces nouveaux marchés, la Russie a cependant dû consentir à baisser ses prix. Ceux du pétrole brut ont par exemple diminué de l’ordre de 20 à 30 % dès les premières mesures d’embargo", souligne Olivier Appert. 

Les yeux tournés vers le nucléaire 

©vlastas/Shutterstock

Si pour des raisons économiques et géopolitiques la Russie ne compte pas réduire de sitôt la voilure sur les énergies fossiles, elle semble aussi peu encline à investir dans le développement des renouvelables. En 2018, l’énergie solaire et éolienne ne représentaient que 0,02 % de la production énergétique russe, comme le note Bobo Lo, chercheur spécialisé sur la politique étrangère russe et chinoise à l’Ifri dans une publication parue en 2021. Dans son mix énergétique, la Russie accorde en revanche un intérêt de plus en plus accru au nucléaire. 

Pionnier dans ce secteur – la première centrale nucléaire du monde a été mise en service en 1954 à Obninsk, le pays a signé fin 2023 un accord avec le Burkina Faso pour construire une centrale nucléaire, et en édifier de nouvelles d’ici 2030. Si la Russie est aujourd’hui le premier installateur de centrales de la planète, elle s'impose aussi depuis plusieurs années comme le premier exportateur mondial de réacteurs. Le géant russe Rosatom en construit actuellement 25 à l’étranger. Des partenariats ont été noués par exemple en Chine, en Inde, en Turquie, en Egypte, au Bangladesh, en Iran ou encore en Biélorussie. 

Outil pour étendre son influence, le nucléaire est aussi promu par Moscou pour lutter contre le changement climatique, considérant l’atome comme une source d’énergie renouvelable. 

Difficile toutefois de ne pas déceler une forme d’utilitarisme derrière cette vision. Après plusieurs décennies placées sous le signe du climatoscepticisme, le Kremlin adopte depuis 2019, et la ratification des Accords de Paris sur le climat de 2015, un discours ambigu sur le réchauffement climatique, présentant celui-ci comme une menace à laquelle il faut s’adapter. Dans la bouche de Poutine, ce phénomène pourrait même être porteur d’opportunités. 

Un discours ambivalent sur le changement climatique 

Arctique, août 2021.
©EKATERINA ANISIMOVA/AFP

Parmi les arguments mis en avant pour justifier ce point de vue, le fait que la fonte des glaces puisse permettre de faciliter l’accès à l’Arctique pour l’exploration commerciale. Cette zone est notamment riche en mines de cuivre, d’or, de nickel ou encore d’uranium - vital pour l'industrie nucléaire.

Face à ces importants enjeux économiques, la Russie renforce la répression des voix dissonantes. Si avant la guerre en Ukraine, les activistes écologiques parvenaient à se faire entendre, notamment sur des sujets locaux, comme le montrent par exemple les manifestations contre une scierie sur le lac Baïkal en 2010 ou contre la pollution industrielle à Tcheliabinsk en 2018, certains d'entre eux sont désormais muselés.  

Le 19 mai 2023, la Russie a notamment déclaré l’ONG de protection de l’environnement Greenpeace "indésirable". Dans un communiqué, le Parquet général russe accuse l’organisation de mener "des campagnes d’information" visant à "empêcher la réalisation de projets d’infrastructures et énergétiques rentables" pour la Russie. Quelques mois plus tôt, en mars 2023, le gouvernement russe s’en prenait au Fonds mondial pour la nature (WWF) le classant comme "agent de l’étranger". De quoi freiner les activités de l’ONG sur le territoire russe. 

Mais les défenseurs de l’environnement ne sont pas les seuls à être empêchés dans leur action. Les sanctions contre la Russie paralysent aujourd’hui les climatologues russes. De nombreux projets internationaux scientifiques, menés en Sibérie et dans l’Arctique, ont été stoppés. Une situation qui fragilise la recherche dans ces zones – fondamentale pour la compréhension du changement climatique, mais qui offre dans le même temps un boulevard pour le regain des idées climatosceptiques, déjà très présentes au sein de l’opinion. 

Selon une enquête Ipsos, publiée en 2020, les Russes se classaient "deuxièmes en termes de scepticisme sur l’origine anthropogénique du changement climatique", et seulement 13 % d’entre eux pensaient que cet enjeu devrait être "la principale préoccupation environnementale de leur gouvernement". 

Pour Poutine, "ce qui compte aujourd’hui (....), c’est le développement de l’industrie et l'exportation de ses combustibles fossiles" 

Katja Doose, historienne.
© DR

Spécialiste de l’histoire environnementale russe et soviétique au XXème siècle, Katja Doose revient sur l’évolution de la politique de la Russie en matière d’écologie. 

Comment la politique environnementale russe a-t-elle évolué au cours du XXème siècle ?  

Dans les années 70, le gouvernement de l’Union soviétique commence à se positionner sur certains enjeux environnementaux. En juin 1972, elle participe notamment à la conférence des Nations Unies à Stockholm et elle s’engage dans un accord bilatéral avec les États-Unis sur les recherches sur la protection d’environnent. Cela inclut des travaux sur le changement climatique. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 80 que l’environnement acquiert une dimension politique. La perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev et la catastrophe de Tchernobyl en 1986 favorisent cette prise de conscience écologique. Après la chute de l’URSS, en 1991, des préoccupations économiques éclipsent toutefois la naissance de cet enjeu. 

La Russie est aujourd’hui connue pour son climatoscepticisme. D’où vient ce penchant ?  

Le climatoscepticisme russe est tout d’abord lié aux théories des scientifiques soviétiques sur le changement climatique. Même s’ils font partie des premiers à reconnaître l’origine anthropique de ce phénomène, notamment grâce aux travaux du climatologue Mikhaïl Budyko à partir de 1961, et beaucoup de ses collègues géographes et glaciologues, ils perçoivent le réchauffement climatique comme quelque chose de cyclique amené à disparaître puis revenir au fil des décennies. Le climato-scepticisme en Russie s’explique également par des raisons politiques. Pour les dirigeants, le changement climatique peut être bénéfique pour l’économie en permettant par exemple l’accès aux routes maritimes du Nord toute l’année ou une augmentation de la production agricole.  

Peut-on dire que les positions de Poutine ont changé depuis son arrivée au pouvoir en 2000 ?  

Son point de vue a légèrement évolué. Après avoir longtemps nié son existence, le président russe reconnait que le changement climatique a des conséquences désastreuses sur l’environnement et l’économie. Mais ces discours, tout comme les projets qu’il met en avant, ne signifient pas pour autant que sa politique a changé. Tout cela reste une façade. Car ce qui compte aujourd’hui, et notamment en temps de guerre, c’est le développement de l’industrie et l'exportation de ses combustibles fossiles. 

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