Les mouvements de désobéissance civile pour la défense du climat sont parfois controversés dans le débat public.
©Maylie Rolland et Hans Lucas/AFP
Justice

Désobéissance civile : l'activisme climatique réprimé en France ?

Les militants écologistes ont souvent recours à des actions illégales non violentes pour faire passer des messages politiques. Définis comme de la désobéissance civile, ces infractions font l'objet d'accusations d'une répression croissante en France. L'avocat Vincent Brengarth, spécialiste de ces questions, se livre à ID.

Ce jeudi 1er février s’est tenu à Londres un énième procès contre l’activiste Greta Thunberg pour un acte de désobéissance civile. Il intervient quelques jours après la lettre de Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des défenseurs de l’environnement, adressée au gouvernement britannique. Dans ce message, il s’inquiète de ce qu’il définit comme la "répression sévère" des manifestants pour le climat.

"En France (...) comme ailleurs, la répression contre les militants du climat augmente", indique le rapporteur de l’ONU. Selon lui, le problème est le manque de protection légale et juridique des militants écologistes, qui agissent "pour le bien de tous".

La désobéissance civile prisée par le monde militant

Théorisé par le philosophe Henry David Thoreau aux États-Unis, le concept de désobéissance civile peut être défini comme un acte délibéré et politique mais non violent qui enfreint la loi. Utilisé à l’époque pour lutter contre l’esclavagisme, il s’inscrit dans l’Histoire comme un recours prisé des activistes, quel que soit leur combat. Plus récemment, les défenseurs du climat multiplient les actions : blocage d’aéroports, manifestations sans autorisation, occupation d'arbres (tree sitting) afin d'empêcher qu’ils soient rasés, etc.

Vincent Brengarth est avocat pour le cabinet Bourdon et Associés, spécialisé en droit pénal et libertés fondamentales et auteur d'un ouvrage intitulé : "Revendiquons le droit à la désobéissance". Interrogé par ID, il précise que la désobéissance civile est utilisée par certains citoyens "lorsqu’ils ne jugent pas suffisants les moyens d’action légaux, comme le vote ou les pétitions". Il cite également l’Affaire du Siècle : cette campagne associative avait appelé les citoyens à saisir la justice pour que leurs droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques. Si l’inaction climatique de l’État français a été reconnue dans plusieurs cas, les répercussions sont jugées insuffisantes par certains militants.

Maître Brengarth, qui défend régulièrement des militants écologistes, soutient les propos de Michel Forst : "oui, la répression contre les activistes en faveur du climat augmente en France", confirme-t-il. L’avocat regrette cette gradation de la réponse des pouvoirs publics, qu’il imagine être la conséquence d’un schéma incompatible : "ils ont conscience qu’il y a urgence mais dans le modèle actuel, ils sont impuissants et privilégient les intérêts de croissance économique à court terme".

Dans notre pays, plusieurs mouvements de contestation pour le climat ont vu le jour ces dernières années. Parmi eux, certains mènent des actions radicales de désobéissance civile dans le but de choquer, mais elles sont parfois vivement critiquées. C’est le cas du Soulèvement de la Terre, qui a échappé de peu à la dissolution l’année dernière. L’association était accusée d’éco-terrorisme et d'actes violents par le gouvernement. C’est le Conseil d’État qui a finalement annulé cette dissolution.

Des notions juridiques aux contours difficilement définissables

Si les infractions commises au nom de la désobéissance civile sont difficiles à juger, c'est parce qu'il s'agit d'un concept et non d'un terme juridique. Or, le droit français juge en fonction de l’acte illégal en lui-même, quelle que soit la cause : "c’est le principe d’indifférence des mobiles", explique Maître Brengarth. Il rappelle que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 fait état du droit de résistance à l’oppression. Seulement, ce principe s’appliquait à l’époque pour des régimes tyranniques. Or, aujourd’hui en France, le contre-pouvoir existe.

Ces principes sont soumis à l’appréciation qu’en font les magistrats

Le débat réside donc dans l’appréciation par la justice de plusieurs termes. L’état de nécessité, la liberté d’expression ou encore l’irresponsabilité pénale en lien avec les conditions de l’infraction sont parfois utilisés par les activistes climatiques pour se défendre en justice. "Or, ces principes restent soumis à l'appréciation qu’en font les magistrats", déclare Vincent Brengarth. Selon lui, les interprétations sont aujourd’hui variables, ce qui mène à des accusations et des sanctions très aléatoires.

L’avocat rappelle également que les procureurs ont le choix de décider d’engager l’action publique ou non. "En général, cette opportunité des poursuites dépend de la politique globale", ajoute-t-il. Il cite comme exemple la révolte actuelle des agriculteurs : le gouvernement ayant opté pour la non-répression, très peu d'actions en justice sont engagées contre les agissements en désobéissance civile des agriculteurs.

En septembre 2021 a lieu un procès en cassation dans une affaire de décrochage de portrait du Président de la République par des militants écologistes. Ces derniers dénonçaient une inaction en matière de climat. La Cour de cassation rejette l’état de nécessité plaidé en appel : cette notion juridique autorise un acte illégal lorsqu'il empêche un dommage plus grave. Or, il est jugé que l'impact négatif de la dégradation de l’environnement n’est pas un danger actuel ou un péril imminent. Vincent Brengarth considère cette décision "extrêmement contestable", et estime qu’elle pose question : "à notre époque, seuls les climatosceptiques s’accordent à dire que le changement climatique n’est pas un danger pour le futur. À quel niveau de danger la justice considérera-t-elle l’activisme climatique comme un péril imminent ?"

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