Traditionnellement réservé aux investisseurs institutionnels (assurances, caisses de retraite etc...) et à une clientèle fortunée, le capital-investissement consiste à prendre des parts au capital de sociétés non cotées en Bourse pour les accompagner dans leur démarrage, leur développement ou leur cession. Il est de plus en plus plébiscité par les épargnants qui ont un horizon d'investissement de long terme (supérieur à six ans), selon des données du marché, et qui sont prêts à prendre le risque de perdre de l'argent, voire tout leur argent, si le fonds n'est pas performant. La plupart des produits qui leur sont dédiés sont vendus non pas en direct, mais en partenariat avec les assureurs et les banquiers de la place de Paris.
"Ce n'est pas un marché de masse", mais l'univers de cette classe d'actifs encore exclusif il y a une dizaine d'années "est en voie de démocratisation", observe Christophe Bavière, membre du directoire d'Eurazeo, spécialiste du capital-investissement qui a vu la collecte des particuliers presque doubler en un an (de 290 millions d'euros en 2020 à 550 millions en 2021). Les particuliers et les "family offices" (gestionnaires de fortune) ont représenté 17% des levées de capitaux du capital-investissement en 2021, une progression considérable en quelques années, a indiqué l'association France Invest cette semaine. En tenant compte des 515 millions d'euros collectés via les contrats d'assurance-vie en unités de compte, leur part s'élève à 20%.
Des freins levés
Le capital-investissement "a gagné ses galons au fil des années", relève Joséphine Loréal, chargée du fonds Apeo d'Apax Partners. Les objectifs de la loi Macron puis de la loi Pacte visant à rapprocher l'épargnant de l'entreprise ont encouragé sa popularisation: cette classe d’actifs figure désormais plus régulièrement dans des contrats d’assurance-vie, l'épargne préférée des Français, ou dans ceux d'épargne retraite à long terme. Cela a envoyé "un signal positif aux assureurs qui de plus en plus référencent des fonds de capital-investissement dans la gamme des fonds accessibles aux épargnants", selon Paul-Simon Bénac, porte-parole du Label Relance qui compte une trentaine de fonds labellisés dédiés au grand public.
Certains freins ont été levés: les versements minimums donnant accès à cette catégorie de placement ont été ajustés pour se mettre davantage à la hauteur de l'épargnant alors que les "tickets d'entrée" réservés à une clientèle professionnelle se chiffrent en millions d'euros. L'accès à certains fonds de capital-investissement est désormais ouvert moyennant seulement quelques centaines ou milliers d'euros. Il est parfois possible de retirer l'argent avant la liquidation du fonds, ce qui n'est pas le cas pour ceux traditionnels de capital-investissement.
Les initiatives de la banque publique d'investissement Bpifrance contribuent aussi à l'essor du capital-investissement, avec des produits grand public fidèles à sa campagne clin d’œil "Français: liberté, égalité, investissez". Face au succès de son premier fonds commun de placement à risque (FCPR) donnant accès au capital-investissement pour les particuliers, lancé l'an dernier, Bpifrance réédite en ce moment même l'expérience avec un "Bpifrance Entreprises 2" ouvert à la souscription à partir de 3.000 euros (contre 5.000 pour le premier).
Rendement, sens, diversification
"Que cet eldorado ne profite pas uniquement aux très grands intervenants", telle est la volonté affichée des acteurs du secteur dont la performance mesurée sur un horizon de 15 ans est de "11,7% en moyenne par an, supérieure à toutes les autres classes d'actifs", selon des chiffres publiés en juin par France Invest. L'idée est en quelque sorte "d'investir comme un investisseur institutionnel" alors que longtemps "les épargnants étaient tenus à l'écart de ce potentiel de performance", observe Sassan Golshani, directeur du développement de Peqan, une société de gestion qui propose depuis janvier 2022 trois produits destinés aux investisseurs privés.
Longtemps, la vision de l'univers non coté se bornait pour beaucoup "à une considération fiscale", reconnaît M. Golshani. Aujourd'hui, les particuliers veulent bien davantage accompagner un projet, participer au développement des entreprises et de la croissance du pays et "comprendre à quoi sert leur épargne". Le capital-investissement, qui aide des jeunes pousses à percer, des PME à se développer ou des licornes à prendre de l'ampleur, en les accompagnant un bout de chemin, séduit ainsi. Et il permet "de se constituer un patrimoine qui s'appuie sur l'économie réelle, source d'emplois et de croissance".
"C'est concret et c'est ce qui parle aux particuliers", renchérit Mme Loréal, dont le métier requiert "une connaissance très intime des entreprises choisies". "C'est comme un mariage, pour le meilleur comme pour le pire". Il y a derrière une "histoire à appréhender", "un sens donné infiniment grand", souligne Christophe Bavière, expliquant notamment l'intérêt croissant pour le capital-investissement par le fait qu'"on a tous un jeune autour de nous qui va vers de jeunes entreprises en sortant de l'école".
Pour renforcer encore la notion de proximité entre épargnants et entreprises, des fonds se sont même développés régionalement ou localement. Sans opposer les deux mondes, le coté et le non coté, les experts y voient une opportunité de diversification de l'épargne en dehors des fluctuations quotidiennes du marché boursier.
Des efforts à faire
"Il y a beaucoup de pédagogie à faire. Il faut bien comprendre ce que l'on achète", indique Mme Loréal. Comprendre aussi que dans les fonds traditionnels dits "fermés", il y a une période définie de souscription, une phase d'investissement, puis de remboursement et de distribution des plus-values et que c'est le fonds qui décide quand il vous rembourse. Mais le secteur a gagné en souplesse et compte des fonds "ouverts" comme Apeo qui a une durée de vie perpétuelle (99 ans), ou encore le fonds IPVE3 d'Eurazeo, "ouvert en permanence et dont il est possible de sortir par des fenêtres de trois mois".
Axa France, qui a collecté 127 millions d'euros sur son fonds grand public "Axa Avenir Entrepreneurs" lancé en mai 2021, "a l'intention de proposer de nouveau, et de façon régulière, des fenêtres de souscription sur ce FCPR et très probablement dès cette année", indique Corinne Calendini, directrice du Wealth Management à Axa France. Au niveau de la distribution, certains spécialistes reconnaissent que les réseaux d'épargne sont parfois "un peu lents" à proposer les produits de capital-investissement aux particuliers. Pour l'heure, "1% de l'épargne des Français est logé dans le capital-investissement contre 10% aux États-Unis", affirme M. Golshani. Mais le besoin en capital-investissement reste "gigantesque pour les prochaines années".
Avec AFP.