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Analyses

Climat: La "bonne affaire" du siècle ?

L’enjeu climatique n’a jamais été aussi brûlant en investissement, entre menaces et opportunités. L’Accord de Paris avait entériné la nécessité de réorienter les flux financiers pour limiter le réchauffement en dessous de 2°C. La réglementation européenne va progressivement pousser vers plus d’intégration ESG. Parallèlement, les opportunités liées à l’économie bas-carbone se concrétisent toujours plus. Les performances des fonds verts et climat ont battu des records en 2020.

Anticiper les risques de long terme

"La finance durable doit devenir la norme du secteur financier", prône Finance for Tomorrow (F4T), la branche de Paris Europlace qui réunit de nombreux acteurs privés, publics, institutionnels, associatifs et internationaux sur ce sujet. Ses membres s’engagent notamment à contribuer à la réallocation des financements et investissements, et à favoriser le développement d’instruments et d’opérations, de véhicules et produits innovants verts et durables. "Derrière le E de l’ESG, le climat est un défi structurant sur un horizon de plus en plus proche. Malgré les progrès réalisés, les risques d’instabilité dans le futur ne sont pas encore suffisamment pris en compte, notamment par les outils actuariels", affirme Natacha Boric, Responsable des publications de F4T. "L’humain peut disparaître et l’économie avec. Tous les secteurs doivent prendre en compte le changement climatique et anticiper les risques". Ce n’est pas un scientifique du GIEC qui le dit, mais un gestionnaire d’actifs, Thomas Page-Lécuyer, Senior Investment Specialist chez Aviva Investors France (AIF).

 

Climat et stabilité financière

Le dérèglement du climat aura des conséquences profondes sur les assureurs, la stabilité financières et l’économie. Depuis 2015, il est mondialement reconnu que les actifs financiers sont exposés aux différents risques climatiques (physiques, de transition, de responsabilité ou judiciaires). Les sinistres dus aux aléas climatiques coûtent de plus en plus chers aux assureurs. La valorisation de leurs actifs est à risque. C’est pourquoi l’analyse financière affine la prise en compte de l’exposition des différentes entreprises à ces risques physiques. Quant aux risques judiciaires, ils impliquent les acteurs qui seront tenus responsables des pertes et dégâts courus par certaines victimes. "Les changements de politique, les risques technologiques et physiques pourraient précipiter la réévaluation des prix d’une large gamme d’actifs, au fur et à mesure que coûts et opportunités se matérialiseront". Parmi les prévisions de stranded assets ou actifs échoués : la dépréciation brutale de tous les investissements et crédits dans les énergies fossiles, créant une "bulle carbone".

 

Accélération des pressions réglementaires

 

Ces dernières années, le rôle des législateurs, régulateurs et superviseurs financiers se renforce sur l’enjeu climat : marché carbone, taxation du carbone, obligations vertes, loi sur la transition énergétique (article 173), loi Pacte, loi énergie-climat, taxonomie européenne, benchmarks climat, plans de relance vert, stress tests climat... "Avec l’entrée en vigueur du règlement européen Disclosure ou SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), aucun acteur du marché ne s’attendait à ce niveau d’exigence. A tel point que très peu avaient lancé des fonds qui pouvaient se prétendre éligibles à la classification en fonds article 9", poursuit Thomas Page-Lecuyer. L’Institut de l’économie pour le climat, I4CE (Institute for climate economics, initiative conjointe de la Caisse des Dépôts et de l’Agence Française de Développement) a synthétisé le "calendrier climat" bien chargé de la régulation financière en infographie. En mai, la conférence Green Swan 2021 a réuni un ensemble de régulateurs internationaux et d’acteurs de la finance pour réfléchir aux actions pour une meilleure prise en compte des risques financiers liés au climat. Elle était organisée par la Banque des règlement internationaux, la Banque de France, le Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS) En juin, la réunion des ministres des finances du G7 a aussi mis en lumière la nécessité pour le système financier de mieux prendre en compte les considérations climatiques.

 

Les institutionnels moteurs de l’investissement pro-climat

 

Chez les investisseurs institutionnels, l’enjeu du climat est devenu incontournable dans les stratégies de placement. C’est le cas des assureurs en particulier, plus conscients des risques et très exposés : 82 % d’entre eux intègrent des critères ESG dans les exigences de leur mandat de gestion, selon une étude récente réalisée par L’Argus de l’assurance et Ostrum AM. Les émissions de CO2 et une transition écologique alliée à la dimension sociale arrivent en tête de leurs critères ESG. Signe d’une approche stratégique de la politique ESG/climat, à la question "quel(s) organe(s) de gouvernance est en charge du pilotage" : 21 % des interrogés répondent le Comité exécutif et 17 %, le Conseil d’Administration. La Caisse des Dépôts s’est d’ailleurs unie à 12 grands assureurs dans des fonds "Objectif Climat". "L’intérêt des investisseurs institutionnels a beaucoup contribué à solidifier la base de clientèle", remarque Nicolas Bénéton, Senior Client Portfolio Manager chez Robeco.

 

Quid de la finance verte

La finance verte est une notion qui définit les actions et opérations financières qui favorisent la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique (définition Ministère de l’Économie). Ses outils : les obligations vertes ou green bonds, les fonds labellisés Greenfin et ISR, les fonds verts principalement investis dans des actions et obligations, les fonds d’actifs verts non cotés, l’assurance-vie, l’épargne salariale et le financement participatif. Les émissions de green bonds devraient atteindre 400 milliards € en 2021.

 

Climat : une opportunité historique pour les entreprises

Le risque climatique devient une opportunité pour les entreprises qui souhaitent se transformer et pour les nouveaux modèles. La gestion thématique est très à l’honneur, pas seulement sur le climat, également sur d’autres enjeux environnementaux. "Tous les feux sont passés au vert", observe Jean-François Bay, Managing Director de Quantalys, spécialiste des données et analyses financières. "En ISR, le climat et les ENR ont été privilégiés depuis le début de l’année. Si on parle simplement du sujet climatique, sur les deux dernières années, les actifs gérés sur les fonds Climat ont été multipliés par quatre, passant de 5 milliards d’euros en mai 2019 – donc assez confidentiel, à plus de 20 milliards en mai 2021. Ces flux de capitaux soudains ont entrainé les valorisations sur des niveaux incroyables. Certaines valeurs "Environnement" comme McPhy, Fermentalg ou Derichebourg font +100 % ou +200 % sur un an ! Même une perte de 10% sur un mois ne remet pas en cause l’intérêt de la thématique à long terme. Passée cette digestion des nouveaux capitaux, les entreprises vont continuer à bénéficier des Plans de relance en faveur de l’Environnement et des initiatives privées. Il faut voir cette lame verte comme une lame de fond structurelle", anticipe Jean-François Bay.

Le financement participatif de la transition énergétique

En dehors des marchés, il existe un autre moyen d’investir pour le climat et l’économie locale. Lendosphere, plateforme de financement participatif dédiée aux énergies renouvelables, sélectionne des projets dans toute la France pour leur solidité financière : parcs éoliens ou solaires, réseaux de chaleur biomasse, serres agricoles photovoltaïques, unités de méthanisation... Certaines collectes sont réservées aux riverains des projets, d’autres sont ouvertes à tous, avec des objectifs compris entre 100k€ et 8M€. "Notre base d’investisseurs se compose de particuliers et de professionnels, comme les banques privées, les family offices et les CGP qui peuvent investir jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros pour leurs clients", détaille Laure Verhaeghe, cofondatrice de Lendosphere. "Les projets sélectionnés présentent un bon couple rendement/risque. Le contrat est direct entre l’investisseur et le porteur de projet, donc c’est très transparent sur le fléchage". Différentes façons d’investir : contrats de prêt, minibons, obligations, actions. A ce jour, ce sont 265 projets qui ont été financés pour un total de plus de 102 millions € collectés.

Normaliser les indicateurs climat des émetteurs

Plusieurs organisations internationales fournissent des mesures, analyses et scénarios carbones des entreprises, comme TCFD, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (Task force on Climate-related Financial Disclosures), ou l’initiative Sciences Based Targets (SBT). Climetrics est le système de notation de référence, développé par CDP (Carbon Disclosure Project) et l’Institutional Shareholder Services (ISS ESG). Son classement annuel pousse les émetteurs à plus de transparence et permet aux investisseurs de sélectionner des fonds évalués en fonction de leurs émissions carbones, de leur exposition aux fossiles, de leur utilisation des "technologies propres" et de leur stratégie autour du climat et de la déforestation. Près de 20 000 fonds représentant 16 800 milliards d’euros d’encours ont été analysés dans le cadre de ce classement (soit environ 32 % du marché mondial).

Les Français au palmarès des fonds performants sur le climat

Cette année encore, les sociétés de gestion françaises sont nombreuses aux classements Climetrics. Dans le Top 5 de la catégorie Actions Européennes pour leur performance climatique : Allianz Climate Transition, Aviva Investors Climate Transition European (géré à Paris), HSBC RIF Europe Equity Green Transition (idem), LBPAM ISR Actions Environnement (Banque Postale), OFI Fund - RS European Equity Posit Economy. Sycomore AM se trouve dans le Top 10 des fonds actions, avec Sycomore Eco Solutions. "Nous avons fait le choix de partager notre métrique propriétaire NEC (Net Environmental Contribution) en open source", explique Alban Préaubert, Gérant de portefeuille ISR chez Sycomore AM. "Elle fournit un chiffre applicable à tout secteur et tout type d’activité et mesure la contribution positive ou négative d’une entreprise à la transition écologique, sur une échelle de -100 % à +100 %. On cherche à démontrer qu’avec une bonne gestion des risques, notamment environnementaux, des fonds tel que Sycomore Eco Solutions peuvent surperformer des indices traditionnels". En 2019, Mirova, filiale de Natixis, classait deux fonds dans le Top 10 : Mirova Europe Sustainable Equity Fund et Mirova Europe Environmental Equity Fund. "Nous sommes l'une des premières sociétés de gestion à avoir vu l'importance de la mise en oeuvre de la mesure carbone, rappelle Clémence Peyraud, Senior Investment Specialist chez Mirova. Nous avons co-développé avec Carbone4, une méthodologie de température de nos portefeuilles en dessous de 2°C. Nous allons plus loin que les scopes 1 et 2, en intégrant le scope 3".

L’initiative Net Zero Asset Managers

Net Zero Asset Managers réunit 87 investisseurs, représentant 37 000 milliards $ d’encours sous gestion (à juin 2021). L’objectif de cette coalition internationale est de renforcer les engagements en faveur de la neutralité carbone et du climat d’ici 2050. Schroders, qui est d’ailleurs entré dans le classement Climetrics, fait partie de ses membres fondateurs. Son 1er fonds climat, Schroder ISF Global Climate Change Equity, a été lancé en 2007. "Nous avons développé un modèle interne sur les risques de transition, pour savoir comment une hausse des prix du carbone pourrait impacter la profitabilité des entreprises. Il fait partie du suivi de tous nos fonds", explique Nathaële Rebondy, Head of Sustainability pour l’Europe.

Chez les Français, La Financière de l’Échiquier a rejoint l’initiative récemment. Sa méthodologie propriétaire "Maturité Climat" s’applique à l’intégralité de son portefeuille. "Nous avons lancé un fonds à impact pour contribuer à la neutralité carbone du continent européen", décrit Luc Olivier, gérant du fonds Échiquier Climate Impact Europe. "Le vivier d’opportunités est considérable. Nous avons divisé le fonds en trois poches : les solutions directes (renouvelables, capture carbone dans les procédés industriels, efficacité énergétique, etc.) ; les pionniers et leaders qui ont un impact systémique sur l’ensemble des marchés et montrent la voie (Ex : L’Oréal qui réduit la pétrochimie dans ses produits) ; les entreprises en transition qu’il faut accompagner (Ex : Neste, groupe finlandais de raffinage qui grandit désormais dans les biocarburants)".

Épargnants et investisseurs particuliers plus sensibles au vert

Dans une enquête mondiale (Robeco), 86 % des investisseurs déclarent que le changement climatique sera au centre de leur politique d'investissement, ou qu'il en sera un facteur important, au cours des deux prochaines années. De plus en plus de Français considèrent l’ISR comme un moyen de contribuer à une société plus durable. Dans l’enquête Gobal Investor Study 2020 (Schroders), plus de 23 000 personnes ont été interrogées dans 32 pays. Pour 48 % des répondants, les fonds durables présentent un attrait en raison de leur impact plus large sur l’environnement. Parmi les acteurs qui peuvent être considérés comme responsables de l’atténuation du changement climatique, les gestionnaires d’actifs et principaux actionnaires sont cités à 45%.

Des acteurs de l’industrie établis, mais nouveaux sur le sujet se positionnent désormais. C’est le cas, par exemple, de Fourpoints du groupe Herez, l’une des principales sociétés de conseil en gestion de patrimoine. "On a plus de clients particuliers qui cherchent à donner du sens à leurs investissements", décrit Olivier Jezequel, gérant de portefeuilles. " Ils comprennent mieux les grands enjeux du monde, en particulier liés au changement climatique dont la couverture médiatique est importante. Ils sont donc davantage prêts à œuvrer pour la planète et mettent au même niveau la performance financière et l’utilité sociétale de leurs investissements. Ils donnent à ces derniers un horizon plus long terme, ce qui permet de mettre en place une gestion de convictions qui sera plus performante, au final". Les acteurs historiques en sont convaincus : "Les performances financières vont aider les conseillers financiers à progresser sur le sujet", parie Thomas Page-Lécuyer d’AIF. "Cela prend un peu de temps, mais dans les trois prochaines années, les choses auront complètement changé en terme pédagogique avec l’accélération des formations, donc des meilleures connaissances des CGP".

L’arrivée des indices climat européen

En avril 2021, la Commission européenne a détaillé les règles à respecter pour créer des indices boursiers sur le climat : le CTB, indice de transition climatique (Climate Transition Benchmark) et le PAB, indice aligné avec l’Accord de Paris (Paris-Aligned Benchmark). Les valeurs de l'univers d'investissement doivent diminuer respectivement de 30 % et 50 % l'intensité carbone par rapport à l'ensemble de la cote. Le processus est évolutif puisque les entreprises de l'indice doivent réduire les émissions de GES de 7 % par an. La régulation ajoute l’exigence de reporting ESG sur tous les indices.

 

 

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Commentaires
Par Muche Truc - le 12/07/2021

Dommage de ne mentionner qu'une plateforme (et pas la meilleure d'un point de vue investisseur). La limitation géographique dus aux appels d'offres gérés par la CRE implique que bon nombre de projets présentés sur ces plateformes ne vous sont pas accessibles à moins d'habiter dans une des régions les plus ensoleillés de France. Autrement inscrivez vous aussi sur Lendopolis (ma préférée), Enerfip et Miimosa pour voir plus de projets.

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