« La France est sur la bonne voie. » Thierry Déau, ou celui que L’Obs qualifie de « Nouveau maître de l’eau* » pour avoir « épaulé Veolia dans la prise de contrôle de Suez, dont il deviendra l’un des nouveaux maîtres », est plutôt confiant quant à l’avenir. Du moins, quand on lui parle du verdissement de la finance dans l’Hexagone. D’après le fondateur et président-directeur général de Meridiam, un fonds d’investissement spécialisé dans le développement, le financement et la gestion de projets d’infrastructures publiques à long terme, la France est d’ailleurs plutôt pionnière sur ce plan. À la fois parce que les institutions publiques ont pris le chemin du budget vert pour l'État, mais aussi parce que selon l’ingénieur, les institutions de régulation telles que la Banque de France ont pris le sujet à bras le corps, à la fois pour réfléchir et intégrer les sujets climatiques dans les risques.
« Un exemple qui peut montrer un peu l'avance de la place de Paris est l'Observatoire de la Finance durable, un projet financé par l'Union Européenne, piloté par Finance for Tomorrow, où collaborent le Trésor, l'Agence de la Transition Écologique (ADEME), les Fédérations d'assurance bancaires… Nous parvenons aujourd'hui à montrer les engagements individuels des institutions, relève Thierry Déau. Et cet effort de transparence montre bien cette avance de la place ».
Vers une économie bas carbone
Quel rôle joue alors dans cette transformation Finance for Tomorrow, dont Thierry Déau est devenu le Président à l’automne 2019 ? « C’est une branche, ou on peut appeler ça un cluster, au sein de Paris Europlace, qui représente la place de Paris pour ses acteurs financiers et non financiers, détaille l’ingénieur. Ce sont 85 membres, des institutions à la fois publiques et privées, des institutions financières mais aussi des entreprises, et un certain nombre d'associations. Et il y a des membres de droit qui représentent des ministères ou des institutions publiques : le Trésor y est, le Ministère de la Transition Écologique, l’ADEME, la Banque de France, et l’Autorité des marchés financiers. Il y a aussi un certain nombre d'observateurs. »
L’objet : œuvrer pour le fléchage ou l'orientation des flux financiers vers l'économie bas carbone, qui soit aussi une économie inclusive. Car dans la finance durable, précise le Président, « on se focalise à la fois sur les sujets climat mais aussi sur les sujets sociétaux et autres sujets environnementaux comme la biodiversité, et tout cela dans le cadre de deux règlements importants : l'Accord de Paris et les Objectifs de Développement Durable de l'ONU ».
Notre enjeu, c'est aussi de faire de la finance durable un sujet mainstream.
La dernière initiative en date de la branche de Paris Europlace, et qui complète sa participation à l’élaboration d’un cadre règlementaire – puisque Finance for Tomorrow a notamment travaillé sur la taxonomie verte européenne – a été impulsée par Olivia Grégoire, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable. Elle porte sur l’impact. « Olivia Grégoire nous a confié en quelque sorte la mission de construire la maison de l'impact de la place, qui est à la fois un objectif de partage le plus large possible de ce que c'est que l'impact, de ses définitions, et en en même temps une mise à disposition auprès des acteurs d’un guide et de boîtes à outils pour mesurer », soutient Thierry Déau, qui rappelle au passage qu’il n'y a pas d'impact s'il n'y a pas de mesure.
« Nous travaillons également sur le traitement des données, parce qu'in fine, dans la règlementation et la norme, l'utilisation et la qualité de la donnée sera très importante ». L’ingénieur explique qu’il faudra donc pouvoir, sur ces sujets, porter une voix notamment au sein de l'Union européenne, mais plus loin encore, sur la philosophie française en la matière.
Un enjeu de transparence
Quand on lui demande quel est son regard sur le mythe autour du « grand méchant financier » qui ne pense qu'à l'argent au détriment de la planète, Thierry Déau est amusé. « Je pense qu'il est de la responsabilité des acteurs financiers de communiquer en toute transparence sur leurs efforts et sur les résultats de ce qu’ils font, et c'est pour cela que le sujet de l'impact est important : quelque part, il faut que nous montrions que notre enjeu, c'est aussi de faire de la finance durable un sujet mainstream, répond-il tout de go. C'est toute la finance qui doit devenir durable et être responsable de l'impact qu'elle a dans ce qu'elle finance. C'est notre responsabilité de communiquer sur ces efforts. »
L’ingénieur estime qu’il y a aussi sur ces sujets des débats quelque peu dogmatiques. « J'essaie de les éviter, il faut en effet qu'il y ait une participation et un débat avec les ONG, avec tout le monde, pour éviter le greenwashing et l'impact washing (ndlr : quand une entreprise affirme par exemple prendre des initiatives à impact environnemental ou social positif alors que ce n’est pas le cas), comme on dit maintenant. Néanmoins, comme je l'ai répété à la Commission des finances du Sénat, la finance n'est pas responsable des politiques publiques, il faut quand même que celles-ci continuent de favoriser une économie bas carbone et inclusive. »
Aussi, selon Thierry Déau, ce n’est pas la finance, « dans sa main invisible magique », qui gère les États. « La finance peut aider, inciter, favoriser les acteurs vertueux, mais les acteurs économiques, les entreprises, ont aussi leur responsabilité dans le résultat, estime-t-il. C'est un ménage à trois. Et la finance doit jouer son rôle à la fois de facilitateur, de soutien à la transformation écologique de l'économie et des entreprises en particulier aussi, et aussi donner accès justement à travers des canaux vertueux, aux épargnants, à des investissements qui ont du sens. »
Quand les transports deviennent plus propres, souvent, c'est aussi financé par des banques, par des investisseurs.
Un rôle de « soutien », de « facilitateur »… Mais encore ? La finance durable, concrètement, quésako ? Un peu comme une évidence, l’ingénieur rétorque que la finance durable n’existe… que parce qu’elle finance des « choses durables ». Ainsi, « quand les banques françaises ont augmenté de façon significative leurs encours pour financer des énergies renouvelables, c'est de la finance durable qui a des résultats », avance le Président de Finance for Tomorrow. « Quand les assureurs se mobilisent à la suite d’une tempête pour finalement rétablir en un temps record les infrastructures et les villages autour, personne ne voit que les assureurs sont ceux qui assurent cette résilience, déplore Thierry Déau. Ils sont les premiers protecteurs contre les risques climatiques d'un certain nombre de nos compatriotes. C'est aussi une façon de financer la résilience de nos villes, de nos cités, de nos habitats, et cela, c'est très concret. »
Seulement… encore faut-il en parler. « Il ne faut pas juste publier des grands chiffres, cela crée des débats un peu théoriques, relève l’ingénieur. Il faut parler de l'énergie propre qui a été financée, de ce que cela veut dire pour chacun d'entre nous. Quand les transports deviennent plus propres, souvent, c'est aussi financé par des banques, par des investisseurs. » Quant aux entreprises du CAC40, la quasi-totalité d’entre elles a pris le chemin, selon Thierry Déau, et certaines « depuis longtemps ». « Il y a beaucoup d'entreprises aujourd'hui du CAC40 ou non d’ailleurs, qui font attention à leur empreinte carbone, à la préservation des ressources et à leur utilisation, on parle de l'eau, on parle de recyclage des déchets, ce sont des comportements vertueux vers cette économie bas carbone, même s’il faut toujours en faire plus. »
Mais à l’heure où la finance durable est sur toutes les lèvres, comment réagir face à tous ces rapports pointant du doigt le rôle des grandes banques dans le financement d'industries polluantes ? Sur ces débats, Thierry Déau estime qu’il y beaucoup de démagogie. « Il ne faut pas nier que l'ensemble du système bancaire, qui n'est pas celui qui finance la majorité des choses, n'est pas totalement sorti des énergies fossiles, mais les politiques publiques ne sont pas totalement sorties des énergies fossiles, tient-il à souligner. En France, quand on parle climat, bizarrement, on parle de sortir du nucléaire, mais on ne parle presque jamais de sortir du charbon, même si aujourd'hui c'est une très petite part de notre production d'énergie. D’ailleurs, quand l'Allemagne sort du nucléaire, on dit ‘bravo’, alors qu'elle réouvre des centrales à charbon. Donc dans ce débat, l'énergie est un vrai sujet, mais cela vient d'abord de politiques publiques. » Aussi, selon le PDG de Meridiam, il ne s'agit pas seulement de désinvestir. « Désinvestir, cela décourage, en effet, mais à un moment donné, il faut fermer. Donc il faut que la finance n'encourage plus l'investissement dans les énergies fossiles, mais il faut que les États prennent leurs responsabilités et décident de fermer ».
L’urgence d’agir
Des convictions très claires, un parcours brillant, de GTM International en Malaisie au groupe d’ingénierie Egis dont il deviendra directeur général exécutif en 2001, avant de créer Meridiam en 2005, sans compter de multiples engagements… D’où vient cette ambition profonde chez ce diplômé de l’École Nationale des Ponts et Chaussées originaire de Fort-de-France ? Peut-être précisément de cette formation qui a marqué celui qui rappelle qu’il n’est pas un financier, mais d’abord un ingénieur des Ponts.
« L’école du développement durable a toujours été l'École des Ponts, assure Thierry Déau. Le virus, je l'ai eu assez tôt, et notamment dans une école qui a dans sa philosophie un certain trait fort pour l'intérêt général. Peut-être que cela part de là. La finance est un moyen de transformation, pas un but en soi. Et aujourd'hui, compte-tenu des enjeux qui s'accélèrent, on est obligé de passer à la vitesse supérieure. »
Thierry Déau partage ainsi aujourd’hui son quotidien entre ses activités pour Meridiam où « il s'agit d'investir dans des infrastructures durables, de s’assurer que nous sommes capables d'investir dans des actifs des projets ou des sociétés qui sont vertueux, et quand ils ne le sont pas suffisamment, d'être capables de les transformer », et ses missions d’intérêt général, à travers Finance for Tomorrow et plusieurs associations au sein desquelles il s’implique. Une chose est sûre, encore une fois, l’ingénieur n’est pas inquiet pour demain. « Cette transformation, si on la voit d'un point de vue climat mais aussi inclusif et social, est une formidable opportunité pour changer nos sociétés : c'est une autre économie qu'on essaie d’inventer. »
*« Thierry Déau, le nouveau maître de l’eau », Sophie Fay, L’Obs, 23/04/21
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