Une consultation est ouverte jusqu'au 31 mai 2023 pour recueillir les observations sur les évolutions proposées par le comité du label ISR.
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Finance durable

Investissement responsable : le label ISR en quête d’exigence

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Lancé en 2015 par Bercy, le label ISR a pour mission d’aiguiller les épargnants dans la jungle des produits d’investissement socialement responsable. Plein de promesses, cet outil se retrouve depuis quelques années sous le feu des critiques. A l’écoute de ses détracteurs, le label opère aujourd’hui sa mue en proposant un nouveau référentiel. Celui-ci sera-t-il suffisant ? La question reste ouverte. 

Considéré comme l’un des premiers labels d’épargne en Europe, le label ISR (investissement socialement responsable) est sous le feu des projecteurs depuis quelques mois. La raison ? La refonte de son référentiel dont la copie n’avait pas été revue depuis son lancement en grandes pompes en 2015 par Bercy. A cette époque, la création d’un label public provoque une petite révolution. Pionnière en Europe, la France propose pour la première fois un outil pour aider l’épargnant à mieux identifier les produits intégrant des considérations ESG. Un signal fort à une période où les fonds estampillés "verts" explosent, et où le besoin de transparence se fait de plus en plus pressant. Très vite, le label rencontre un franc succès, notamment auprès des professionnels. Des dizaines puis des centaines de fonds sont labellisés. Malgré cette réussite, des voix s'élèvent pour dénoncer le manque de crédibilité du label. 

"Dès le début, nous avons milité pour que le référentiel du label soit durci car celui-ci permettait de faire rentrer des fonds peu exigeants. En 2017-2018, au sein du comité, nous avons notamment proposé de renforcer la sélectivité dans l’univers, d’inclure des exclusions, des critères d’engagement, des mesures d’impact", se souvient Nicolas Mottis, professeur à Polytechnique et ancien membre du comité scientifique du label ISR. Il ajoute : "En 2019, nous avons été quelques-uns à nous rendre au cabinet de Bruno Le Maire pour expliquer qu’il y avait un vrai enjeu de crédibilité de finance durable avec le label." 

Une salve de critiques 

Quelques temps plus tard, l’Inspection générale des finances (IGF) est missionnée. Celle-ci révèle ses recommandations dans un rapport publié en décembre 2020. "A moins qu’il n’évolue radicalement, le label ISR s’expose à une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence”, alertait l’IGF. "Le label ISR fait à l’épargnant une promesse confuse. Il affiche une ambition d’impact social et environnemental mais ses exigences, fondées sur la notation ESG des émetteurs, ne sauraient garantir un fléchage effectif des financements vers des activités relevant d’un modèle économique durable”, poursuivaient sévèrement les auteurs.  

Face à cette salve de critiques, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, annonce en mars 2021 sa volonté de réformer le label ISR, en misant notamment sur l’évolution de sa gouvernance. Ancienne présidente de chambre et rapporteure générale à la Cour des comptes, Michèle Pappalardo est nommée en octobre à la tête du comité du label ISR chargé alors de plancher sur un nouveau référentiel. La tâche se révèle ardue d’autant plus que les reproches continuent d’abonder.  

En mai 2022, une étude Epsor souligne plusieurs failles. "Bien que les fonds labellisés investissent 27 % de moins dans les énergies fossiles que les fonds non labellisés, il demeure que 80 % des fonds labellisés de notre étude possèdent au moins une entreprise en portefeuille en lien avec le secteur des énergies fossiles. L’exclusion sectorielle n’est en effet pas un critère pour obtenir le label", indique l’étude.  

Plus récemment, dans une étude publiée le 17 mars 2023, l’UFC-Que-Choisir tire la sonnette d’alarme sur les risques d’écoblanchiment, et pointe du doigt quelques manquements.

Le label, porté par Bercy et présent dans 84 % des fonds labellisés, est particulièrement laxiste. A ce jour, les fonds labellisés peuvent investir sur le secteur des combustibles fossiles et n’ont pas d’obligation d’aligner une part minimale de leurs investissements avec des activités compatibles avec la neutralité carbone à horizon 2050”, rapporte l’étude. 

L’exigence comme maître mot 

Très attendu donc, le comité du label ISR (investissement socialement responsable) a présenté, le 18 avril dernier, son nouveau référentiel qui, après consultation, doit passer cet été entre les mains du ministre de l’Economie Bruno Le Maire avant une possible application à partir de janvier 2024. Alors que les critiques pleuvent sur la version actuelle, cette nouvelle mouture se veut plus "exigeante".  

"Il y a quelques pistes qui vont dans le bon sens, notamment le fait de mettre plus de sélectivité dans l’univers en passant de 20 % à 30 %. C’est un progrès", reconnait Nicolas Mottis. Le label ISR se voit désormais doté d’exclusions. "Il y avait une forte attente sur ce point. Le label ISR faisait figure d’exception dans les labels européens pour ne pas avoir pris de position sur des activités à exclure quand on parle d’un fond labellisé ISR", commente Anne-Claire Impériale, responsable ESG et engagement chez Sycomore AM. 

Des exclusions sont désormais proposées en matière d’environnement (charbon, fossiles non conventionnels notamment), dans le domaine social (droits humains, armements controversés, tabac) et en matière de gouvernance (lutte anti-blanchiment, financement du terrorisme, coopération fiscale…). De quoi donner plus de lisibilité aux épargnants noyés aujourd’hui dans le flot des fonds labellisés. Au 31 mars 2023, près de 1 200 fonds représentants 773 milliards d’euros avaient reçu le label ISR.  

Autre avancée affichée : faire reposer le label, dont le caractère généraliste a été réaffirmé, sur une approche de double matérialité. Une manière de se mettre en cohérence avec la réglementation européenne. "Outre l’approche de matérialité financière, prenant en compte les effets financiers sur les portefeuilles des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fonds labellisés devront également mesurer l’effet de leurs investissements sur l’environnement, le domaine social et la gouvernance. A cette fin, les fonds devront prendre en compte les Principales Incidences Négatives au sens de la réglementation européenne, ce qui implique l’analyse de tous les potentiels effets négatifs de chaque entreprise sur l’ensemble des thématiques E, S et G", indique le comité dans son communiqué de presse, avant d’ajouter : "Les fonds devront s’engager à obtenir une meilleure performance que leur univers initial sur les deux indicateurs proposés par SFDR les plus en lien avec leurs objectifs ESG (PAI : principal adverse impact), et ainsi garantir la cohérence entre la stratégie ESG, les objectifs ESG et les indicateurs de suivi de la performance”.  

Un rendez-vous manqué ? 

Enfin, la politique climat devra désormais être intégrée dans la stratégie des fonds.

On met la priorité sur le climat mais cela ne veut pas dire que l’on se désintéresse des autres sujets environnementaux, notamment la biodiversité. Nous n'avons juste pas les moyens de les mesurer pour le moment”, a fait savoir Michèle Pappalardo lors d’une conférence de presse. 

Si des évolutions sont à noter, cette première révision demeure dans l’ensemble timide, selon certains observateurs. "Les propositions qui sont faites étaient attendues et nécessaires. Mais il n’y a pas de grande innovation. On reste aujourd’hui sur notre faim. Le sujet des fonds thématiques est par exemple partiellement traité, et le sujet des exclusions également”, étaye Anne-Claire Impériale. Selon elle, l’armement conventionnel, que l’on retrouve dans tous les labels européens, aurait pu être pris en compte, tout comme les propositions formulées sur le sujet de la déforestation et des pesticides.  

"Il était aussi question d’exclure toute entreprise qui aurait des projets d’expansion de leurs capacités de production de pétrole et de gaz conventionnels. Mais cela n’a pas été intégré. Or les recommandations de l’AIE pour une trajectoire 1,5 °C, publiées en 2021 dans sa feuille de route mondiale, sont effectivement de ne plus étendre les capacités de production et d’extraction d’énergies fossiles", poursuit la spécialiste. 

Pour Nicolas Mottis, ce nouvel opus peine à convaincre. "Le changement devient urgent. Si le label ne se renforce pas rapidement, plus personne n’y croira. Il faudrait être plus exigeant quitte à délabelliser beaucoup de fonds, estime-t-il. Il faudrait également l’expression d’un label avec une gradation. Le fait d’avoir une variation dans la note a deux effets positifs : cela permet aux épargnants de mieux choisir et cela crée une dynamique chez les acteurs financiers qui veulent que leurs produits progressent."

De son côté, Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’investissement responsable (FIR) s’interroge : "il y a des progrès mais, cela sera-t-il suffisant ? Depuis l’origine, le label souffre du fait qu’il ait été organisé autour des pratiques des professionnels. On ne s’est jamais posé la question de l’épargnant, y compris dans la refonte. Or, il faudrait penser à le sonder : quelles sont ses attentes vis-à-vis d’un tel label ?" Regrettant le manque d'exigence et de clarté du label, le FIR avait annoncé, par un communiqué le 24 mars dernier, se mettre en retrait du sous-comité dédié à la promotion du label. La porte n’est cependant pas définitivement fermée. L’organisation avait indiqué qu’elle pourrait revenir au sein du comité "en cas de bonne surprise". Affaire à suivre... 

 

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