De 5 à 25 % de pertes de profits d’ici 2050. En cas d’inaction climatique, c’est ce qui attend les entreprises non préparées, selon une étude du Forum économique mondial et du Boston Consulting Group (BCG). Des conséquences financières concrètes qui poussent les investisseurs à prendre davantage en compte le score environnemental, social et de gouvernance (ESG) des entreprises. Et pour optimiser ses prises de décisions, le secteur financier se tourne vers un outil en plein essor : l’intelligence artificielle.
"Pour modéliser les risques ESG, on peut utiliser l’analyse prédictive", explique à ID Caroline Gans Combe, professeure associée à l’INSEEC. "Ce sont des algorithmes qui vont regarder les tendances historiques, et qui vont se servir de cet entraînement pour prédire des risques ESG émergents. Et ce, avant que ces risques impactent les performances des entreprises". Un procédé qui n’est pas nouveau, selon Matthieu Silva Santos, directeur de l’offre et de l’ISR chez Goodvest, une plateforme d’investissement responsable : "aujourd’hui, on sait modéliser les risques à la main, mais l’IA va permettre un gain de productivité très important, et donc réduire les coûts pour les investisseurs. Cela va accroître la compétitivité des solutions ESG".
Une meilleure détection du greenwashing et des controverses
Même constat pour Yannick Chaze, co-fondateur de l’entreprise Sweep, une plateforme de gestion des données ESG qui aide les entreprises à atteindre leurs objectifs de durabilité et qui a développé son propre outil d’intelligence artificielle. "L’IA va permettre de mettre en évidence des informations comme, par exemple, la dégradation du bilan carbone d’une entreprise au fil des années, alors même que sa croissance est stable. Cela peut informer les investisseurs sur leur pilotage". C’est ce que démontre également une étude parue dans l’International Journal of Science and Research Archive. Pour les auteurs, grâce à l’IA qui "surveille continuellement les critères ESG, […] les investisseurs peuvent gérer les risques de manière proactive et saisir les opportunités pour améliorer leurs performances sur le long terme".
L’IA peut anticiper les controverses, elle peut en mesurer la gravité et elle peut même évaluer comment le public va réagir par rapport à ces controverses : c’est l’analyse des sentiments"
C’est aussi en termes de détection du greenwashing que l’IA peut s’avérer utile. Et là encore, son principal avantage, c’est le gain de temps qu’elle offre. Les algorithmes peuvent, de manière automatisée, travailler sur de l’analyse sémantique, sur la détection des anomalies, et vérifier les allégations des entreprises. "Les algorithmes vont regarder les déclarations ESG et les données disponibles pour voir s’il y a des allégations qui sont annoncées et qui ne sont pas vérifiées", précise Caroline Gans Combe. Pour Matthieu Silva Santos, en analysant en temps réel des milliers de données, l’IA va permettre "des gains importants en termes de transparence et de durabilité des investissements".
Cette capacité de l’IA à traiter, à très grande vitesse et de manière continue, toutes les données disponibles permet aussi aux investisseurs d’améliorer leur suivi des controverses. Et selon Caroline Gans Combe, plusieurs outils performants existent déjà, comme Datamaran, une plateforme qui identifie et surveille les risques ESG. "Ils ont créé une sorte de dashboard de 400 questions ESG issues de millions de sources de données différentes, qu’ils utilisent pour l’analyse des controverses et grâce auquel les investisseurs peuvent détecter les controverses avant même qu’elles ne deviennent publiques", détaille-t-elle. "L’IA peut anticiper les controverses, elle peut en mesurer la gravité et elle peut même évaluer comment le public va réagir par rapport à ces controverses : c’est l’analyse des sentiments".
Une efficacité liée à la qualité des données
Un constat partagé par Matthieu Silva Santos. "À partir d’un mot clé, on va pouvoir identifier en temps réel les controverses sur une société. C’est un gain de temps considérable", explique-t-il. "Mais il ne faut pas oublier que l’IA n’a pas la science infuse, il faut rester vigilant".
L’intelligence artificielle n’est pas un outil infaillible. Son efficacité dépend de nombreux facteurs, comme la qualité des données qu’elle traite. "Si vous utilisez des données de mauvaise qualité, vous allez avoir des biais algorithmiques. Cela pose de réels problèmes, notamment en termes de pollution informationnelle", précise Caroline Gans Combe. Autrement dit, une IA qui s’entraîne sur des données polluées risque de donner de mauvais résultats. "Il est fondamental d’avoir une data corrélée à la réalité scientifique, à l’observation, à la preuve", affirme la professeure. "Il n’y a que cela qui puisse garantir des prises de décision cohérentes et efficaces, notamment financièrement".
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"La qualité de la donnée et la transparence de l’information sont indispensables pour comprendre ce qui se joue dans l’activité des entreprises afin de prendre des décisions informées", confirme Yannick Chaze. "Il faut être capable de collecter, de nettoyer, de préparer la donnée pour les outils d’IA. C’est ce que nous faisons chez Sweep". Et si l’intelligence artificielle reste un outil qui présente de nombreux avantages, l’humain doit néanmoins garder le contrôle. "L’IA peut apporter un premier niveau de réponse, mais ça sera toujours à l’investisseur de décider ce qu’il veut faire".