Alvaro Ruiz-Navajas, gérant de portefeuille spécialisé en ISR, et Guillaume Lasserre, directeur adjoint de la gestion chez LBPAM.
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Finance durable

Finance durable : "on observe un intérêt structurel des investisseurs institutionnels pour la biodiversité"

Alvaro Ruiz-Navajas, gérant de portefeuille spécialisé en ISR, et Guillaume Lasserre, directeur adjoint de la gestion, reviennent pour ID sur Tocqueville Biodiversity ISR, un fonds thématique lancé en novembre par La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

La mise en place de nouvelles réglementations a créé un terrain plus propice à la prise en compte de la biodiversité ces dernières années. C’est dans ce contexte que La Banque Postale Asset Management (LBPAM) a récemment décidé de lancer Tocqueville Biodiversity ISR. Étiqueté article 9 selon le règlement européen SFDR, ce fonds actions internationales compte actuellement 47 entreprises en portefeuille.

Quels sont les grands enjeux liés à la préservation de la biodiversité que vous identifiez ? 

À l’échelle mondiale, les scientifiques estiment qu’il existe neuf limites planétaires, dont six sont déjà dépassées. Et parmi elles, nous retrouvons notamment l’érosion de la biodiversité. Pourtant, nous savons pertinemment qu’il s’agit depuis longtemps d’un enjeu existentiel pour l’humanité, au même titre que les problématiques de changements climatiques. Il était important pour nous de comprendre ce que la science disait à ce propos. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes tournés vers l’IPBES, un équivalent du GIEC (IPCC) sur les sujets de perte de biodiversité. 

Nous sommes avant tout un fonds de conviction, ce qui signifie qu’au bout du compte, ce sont nos convictions qui priment au moment de la composition du fonds. 

Quelle est la stratégie du fonds Tocqueville Biodiversity ISR ? 

Nous disposons de plusieurs leviers de mise en œuvre. Le premier de ces leviers est celui de l’identification de solutions, et vise à sélectionner des entreprises apportant des solutions via leurs offres de produits ou de services pour réduire les pressions sur la biodiversité. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur ENCORE, un outil conçu par les Nations Unies et la Natural Capital Finance Alliance, qui nous permet d’évaluer la pertinence d’un grand nombre d’entreprises en matière de biodiversité. Notre second levier est l’engagement et a pour objectif d’identifier des entreprises désireuses de réduire leur empreinte en matière de biodiversité. Concrètement, il s’agit de sociétés prêtes à améliorer leurs activités, en réduisant l’utilisation du plastique ou en augmentant leur taux de recyclage par exemple. Parmi les autres leviers, nous pratiquons aussi l’exclusion, qui élimine les acteurs impliqués dans les activités qui ne sont pas pertinentes pour la biodiversité ou qui sont structurellement négatives. 

Il est aussi important de préciser que l’univers d’investissement de notre fonds couvre quatre thématiques principales : l’agriculture et l’alimentation soutenables ; l’économie circulaire ; les bâtiments verts ; et les services et solutions environnementaux. Pour autant, nous n’avons pas de seuils, et nous ne nous limitons à aucune thématique, région ou capitalisation de marché. Nous sommes avant tout un fonds de conviction, ce qui signifie qu’au bout du compte, ce sont nos convictions qui priment au moment de la composition du fonds.  

Quels indicateurs extra-financiers retrouve-t-on ? 

Nous utilisons le GBS (Global Biodiversity Score). Il s’agit d’une mesure d’empreinte de biodiversité basée sur les MSA, un indicateur qui capture la densité des espèces sur un territoire. Ce n’est pas aussi intuitif que peuvent l’être les émissions de CO2 pour le climat par exemple, mais c’est une manière de mettre l’accent sur la diversité des espèces. 

Plus globalement, l’objectif de notre fonds n’est pas d’avoir une faible empreinte de biodiversité ni de battre l’indice de référence par rapport au GBS. Le vrai but du fonds, c’est de limiter l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité. Aujourd’hui, en tant que financiers intervenant sur les marchés, nous pouvons uniquement avoir un impact sur l’arrêt de la dégradation de la biodiversité, et ce parce que les entreprises ne travaillent pas sur la restauration des écosystèmes. Seules les associations et ONG s’occupent de ce travail actuellement.  

Par conséquent, comme on ne peut pas contribuer à la restauration de la biodiversité via l’investissement, nous le faisons par l’intermédiaire des systèmes de donation. Très concrètement, cela signifie que l’on utilise une partie de nos frais de gestion prélevés pour faire des dons à des associations. 

Une grande partie de notre travail consiste à faire le lien entre les enjeux liés à la biodiversité et le volet financier.

L’accès à la donnée est souvent cité comme une problématique importante lorsque l’on parle de biodiversité ou d’ISR. Avez-vous également été confrontés à ces difficultés ? 

Il y a de la donnée sur la biodiversité au sens scientifique du terme. De nombreuses études ont prouvé que l’on savait mesurer la disparition des espèces et des écosystèmes. Néanmoins, ce que l’on ne sait pas mesurer, c’est le poids des entreprises dans la disparition de ces espèces. Aujourd’hui, on ne sait pas évaluer avec précision l’impact de l’activité d’une entreprise sur la biodiversité. Et malheureusement, en tant qu’investisseurs, c’est ce dont nous avons besoin pour faire des choix éclairés.  
 
Alors, comment fait-on ? On se documente. Nos équipes de gestion de conviction et d’experts du sujet multiplient les recherches sur ce thème. Ces dernières sont habituées à cela puisqu’elles gèrent toutes les thématiques environnementales, dont le climat. Cela fait donc partie de leur univers informationnel de regarder ces sujets-là. 

Et pour nous, une grande partie du travail a consisté à faire le lien entre les enjeux liés à la biodiversité et le volet financier. Car, si on peut logiquement attendre que la réglementation fasse ce travail comme elle a pu le faire avec le climat, ce n’est pas le cas pour l’instant. Au vu de la notion d’urgence autour de la biodiversité, il a donc fallu que l’on prenne nous-mêmes les choses en main. D’autant qu’on observe actuellement un réel intérêt structurel des investisseurs institutionnels pour la biodiversité. 

Plus largement, est-ce que La Banque Postale Asset Management a adhéré à diverses initiatives de place ? 

Oui. Nous avons adhéré à Finance for Biodiversity Pledge depuis plusieurs années. Il s’agit d’une initiative qui réunit les institutions financières pour échanger sur ces sujets de biodiversité. Même si nous parlons entre “concurrents”, c’est un endroit ouvert où les discussions y sont fluides, loin d’un quelconque esprit de compétition.  
 
Puis, plus récemment, nous avons également rejoint le Partnership for Biodiversity Accounting Financials (PBAF), une fondation indépendante qui s’aligne et coopère constamment avec les acteurs financiers afin de nous permettre de trouver des solutions communes pour soutenir la biodiversité.