Pouvez-vous présenter l’Institut de la finance durable (IFD) ?
Créé en octobre 2022, l’Institut de la Finance Durable est une branche de Paris EUROPLACE qui a pour objectifs de fédérer, amplifier et accélérer l’action de la Place financière de Paris en matière de finance durable.
Nous sommes aujourd’hui dans une phase d’accélération et de massification sur les sujets liés à la finance durable. L’enjeu est de permettre la transformation de l’économie et de favoriser la transition écologique au sens large. Il est donc nécessaire de rassembler l’ensemble des acteurs. Pour ce faire, nous développons un langage et des outils communs, avec une approche pragmatique et opérationnelle. Nous portons nos travaux de Place aux plans européen et international.
Compte tenu de la maturité du sujet, de nombreux travaux sont en cours sur l’atténuation du changement climatique. Nos travaux concernent notamment les solutions de financement de la transition écologique déclinées au travers d’une approche sectorielle, la constitution des briques nécessaires à la définition d’une entreprise "en transition", la comptabilité carbone ou encore la standardisation des méthodes d’analyse extra-financières, en particulier de la performance carbone et transition des entreprises.
Nos programmes couvrent également d’autres enjeux environnementaux comme la biodiversité et le capital naturel, ainsi que des thématiques clés comme le financement de la transition dans les pays en développement, la transition juste ou la finance à impact. Nous animons par ailleurs le Challenge Fintech qui valorise les fintechs offrant une solution innovante pour le secteur financier et contribuant à la transition écologique (lancé le 11 juin).
Vous publiez régulièrement des rapports sur vos différents sujets d’expertise : quelles sont vos principales réalisations ces derniers mois ?
Le premier rapport publié par l'IFD en mai 2023 propose un plan d’action pour le financement de la transition écologique en France. Il met en lumière un constat : les besoins d’investissement supplémentaires sont importants (+110 milliards d’euros par an pour l’économie française d’ici à 2030 par rapport à 2021 dans le cadre de l’atteinte de fit for 55) mais nous avons aujourd’hui les moyens de financer cette transition, en particulier grâce à un niveau d'épargne très élevé (3 200 milliards d’euros d’épargne longue en stock, et plus de 100 milliards d’euros d’épargne supplémentaire par an en flux, potentiellement mobilisables).
Pour ce faire, trois conditions sont nécessaires : avoir une vision claire de ce qu’est un investissement dans la transition écologique, instaurer les conditions de l’équilibre économique de ces investissements et redéfinir collectivement les priorités de fléchage de l’épargne réglementée.
Ce rapport se décline aujourd’hui avec une première publication sectorielle, en mai 2024, dédiée à la décarbonation du bâtiment et qui propose 21 recommandations. Cette nouvelle publication confirme les besoins importants de financement dans ce secteur mais aussi la faible rentabilité économique des projets, le temps de retour sur investissement pouvant dans certains cas dépasser la durée de vie des installations. Ainsi, pour favoriser l’équilibre économique des projets, nous proposons par exemple de renforcer l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) pour la rénovation performante des logements, en permettant qu’il finance 100 % de l’effort d’investissement et qu’il soit élargi aux investissements dans la production d’énergie utilisée dans les bâtiments résidentiels (panneaux solaires, géothermie, éoliennes, etc.). Nous proposons également que les propriétaires non-occupants de bâtiments tertiaires puissent répercuter le coût des travaux de rénovation dans le coût du loyer pour partager le bénéfice des économies d’énergies, comme c’est le cas pour le résidentiel. Enfin, pour les copropriétés, nous proposons de faciliter les conditions de contractualisation d’un emprunt par la création d’un fonds de garantie public assurant à hauteur de 80 % les prêts octroyés.
Sur le sujet de la biodiversité, l’IFD a également publié en mars 2023 un panorama des stratégies de la Place financière de Paris pour lutter contre la déforestation, présentant les pratiques de 15 acteurs financiers (assureur, gestionnaires d’actifs, banques), des outils et actions en faveur de la lutte contre la déforestation ainsi qu’un recensement des principales bases de données et instruments disponibles.
Début 2024, vous avez par ailleurs dressé un état des lieux des pratiques de gouvernance de la transition climat au sein des entreprises. Quelles en ont été les principales observations ?
Il y a de réels progrès dans l'intégration des sujets climat dans le cadre de gouvernance des entreprises. Par exemple, en 2022, 94 % des entreprises de l’indice CAC 40 et 86 % du SBF 120 possédaient un comité spécialisé du Conseil traitant de la RSE. La cartographie des risques est mise à jour de manière quasi-systématique pour 95 % des entreprises du CAC40 et 90 % du SBF120. Les Conseils sont composés en moyenne à 54 % d’administrateurs ayant des compétences en matière de RSE.
Le rapport propose, pour aller plus loin, des actions sur l’organisation des Conseils d'administration, la formation des administrateurs aux enjeux de transition, le dialogue actionnarial et les politiques de rémunération.
L’IFD a également proposé en février des standards pour favoriser le développement de la finance à impact : de quoi parle-t-on et pourquoi ?
La finance à impact est un sujet qui monte depuis maintenant plusieurs années. En 2021, avec l’impulsion d’Olivia Grégoire, nous avons mis en place un groupe de travail pour construire un cadre commun pour le développement de la finance à impact. Cela passe par l’harmonisation des pratiques dites "à impact", la mise en place d’un langage commun, l’élaboration d’outils permettant l’opérationnalisation de la finance à impact, l’appropriation des méthodes d’évaluation d’impact afin d’appuyer les outils développés. Pour ce faire, plus de 300 personnes représentant environ 150 entités ont été impliquées dans les travaux de l’IFD. L’objectif est, au travers de ces travaux, de construire collectivement les piliers de la finance à impact. Ce travail est important et s’inscrit dans notre rôle pionnier d’élaboration de définitions partagées et d’outils communs sur ces sujets.
Pour mobiliser les financements nécessaires à la transition, il faut instaurer les conditions d’un équilibre économique des projets, notamment via une fiscalité incitative, et créer les conditions d’une allocation efficace de l’épargne."
Vous avez organisé le 22 avril 2024 à Paris les premières Rencontres de l’IFD. Qu’en retenez-vous ?
Cet événement nous a permis de constater un alignement très fort des différents acteurs qui, globalement, se saisissent des enjeux liés à la transition écologique. Tout cela s’inscrit dans un cadre international où l’Accord de Paris et l’objectif de neutralité carbone donnent le point à atteindre pour limiter le réchauffement climatique. Nous devons réaliser des investissements massifs au cours des prochaines années : entre 3 et 5 000 milliards de dollars supplémentaires par an jusqu'en 2050 à l'échelle mondiale, plus de 60 milliards d’euros supplémentaires nets chaque année en France jusqu’en 2030. Le secteur financier joue un rôle essentiel dans la réorientation des capitaux pour passer d’une économie "brune" à une économie "verte". Pour mobiliser les financements nécessaires à la transition, il faut instaurer les conditions d’un équilibre économique des projets, notamment via une fiscalité incitative, et créer les conditions d’une allocation efficace de l’épargne.
L’événement avait pour thématique "Financer la transition écologique : le temps de l’action". Pensez-vous que le secteur est aujourd’hui sur la bonne trajectoire pour financer la transition ? Les acteurs en font-ils assez ?
Il est toujours difficile de juger des trajectoires, mais ce que l’on sait aujourd’hui, c’est qu’il est crucial d’agir rapidement. Les différents acteurs sont très mobilisés sur le sujet et on le constate tous les jours au sein de l’IFD, dans nos différents groupes de travail. L’essor des problématiques liées à la transition écologique ont par ailleurs nécessité une professionnalisation très rapide de certains métiers afin de répondre à cet enjeu.
Les financements existent, mais il faut s’assurer de la rentabilité des projets, et il y a encore beaucoup de réglages à effectuer pour réorienter efficacement les flux vers le financement de la transition écologique.
Quels sont les autres défis à relever pour permettre un meilleur financement de la transition écologique ?
Selon nous, trois leviers sont essentiels : définir clairement ce qu’est un investissement dans la transition, assurer l’équilibre économique des projets de transition dans les différents secteurs, et mieux orienter l’épargne des ménages. Pour ce faire, nous avons formulé dans notre rapport de mai 2023 un certain nombre de propositions, dont la création d’un label "projet de la transition écologique". Nos travaux sur les méthodologies d’analyse extra financière répondent aussi à la nécessité de développer un corpus méthodologique commun et transparent pour l’analyse et la performance ESG des entreprises.
Justement, un épargnant qui investit aujourd’hui dans un fonds d’investissement "vert", "durable" ou "responsable" est-il assuré de contribuer à la transition écologique ?
En France et en Europe, il existe une série de cadres et de repères qui encadrent la communication des fonds autour de la prise en compte de critères extra-financiers. Le régulateur joue un rôle crucial en effectuant des contrôles réguliers pour garantir que l’information fournie est claire et non trompeuse pour les épargnants. La France a été l’un des premiers pays à rendre obligatoire la publication, par les investisseurs, d’informations relatives à leur contribution aux objectifs climatiques et aux risques financiers associés à la transition énergétique et écologique. D’autre part, plusieurs labels ont vu le jour ces dernières années tel que le label ISR, créé en 2016 par le Ministère de l’Economie et des Finances. Le label est obtenu pour une durée de 3 ans à la suite d’un processus strict de labellisation mené par des certificateurs indépendants. Cela permet aux épargnants de disposer d’une information simple et fiable sur l’engagement des fonds concernés.
Comment accompagnez-vous les professionnels de la finance dans leur nécessaire montée en compétences sur ces sujets ?
Depuis le printemps 2023, nous collaborons avec l’Institut Louis Bachelier dans le cadre d’un partenariat académique visant à promouvoir les formations françaises spécialisés en finance durable ou intégrant ces sujets dans leur socle d’acquisition et à identifier des bonnes pratiques. Cette initiative répond à la fois aux étudiants souhaitant identifier ce type de cursus, et aux professionnels souhaitant acquérir ces compétences. Nous avons pour le moment 9 masters partenaires. Parallèlement, nous travaillons également avec l’Institut Louis Bachelier à l’élaboration d’un MOOC sur la finance durable destiné aux professionnels. Le rapport sur la gouvernance climat des entreprises publié en 2024 recommande d’ailleurs le développement d’une formation climat globale, homogène et standardisée accessible au plus grand nombre d’entreprises.
Malgré des évolutions importantes ces dernières années, la finance durable se heurte encore régulièrement à la méfiance de certains acteurs -qui lui reprochent de ne pas aller assez vite ni loin-, voire, parfois, à des soupçons de greenwashing. Comprenez-vous ce scepticisme ?
Il y a deux enjeux : le premier concernant la transparence et la comparabilité des actions, le second sur la réorientation des flux de financement. Sur le premier point il s’agit de s’assurer que chacun partage des définitions et des métriques communes. Il faut poursuivre les améliorations en matière de transparence et de comparabilité avec des méthodologies et données robustes. Pour cela, il faut réunir tous les acteurs autour de la table y compris les régulateurs et les pouvoirs publics pour trouver un consensus. C’est bien notre méthode de travail. Sur le second point, il convient là encore de distinguer deux leviers : exclure certains financements et financer la transition.
Sur le premier levier, c’est ce que les banques françaises se sont individuellement engagées à faire dès 2019 avec la sortie totale du charbon thermique au plus tard d’ici 2030 (pour les activités dans les pays de l’OCDE) et 2040 (pour le reste du monde). Depuis 2020, plus aucune ne finance de nouveaux projets de centrale à charbon ou de mine de charbon thermique. Tous les assureurs français ont également mis en place des politiques de sortie progressive du charbon thermique, de même que 85 % des sociétés de gestion répondantes (représentant 70 % des encours).
Le deuxième levier est le financement de la transition. Il convient de poursuivre les efforts pour contribuer à faire passer les secteurs aujourd’hui carbonés vers des modes de production et des activités décarbonées. C’est également un enjeu de souveraineté économique et technologique car la transition écologique rebat profondément les cartes au plan mondial. Ce sujet est traité dans le cadre de nos travaux sectoriels sur le financement de la transition écologique.
Les enjeux liés au climat, à la gestion des ressources ou à l’adaptation sont déjà bien visibles, ne serait-ce que dans le cadre d’une optique de gestion des risques, et il n’y a pas de remise en cause fondamentale de leur importance ni de leur impact."
Il y a eu ces derniers mois beaucoup de questionnements autour de l’ESG et notamment aux États-Unis, où une élection capitale se tient cette année. Craignez-vous un recul sur ces questions ?
Aux États-Unis, la situation est plus complexe en raison de la structure fédérale du pays et de l’immixtion du sujet dans l’affrontement politique entre Républicains et Démocrates. Certains États sont plus avancés que d’autres notamment sur les questions climatiques et l’affrontement politique est par ailleurs très vif sur le pilier sociétal de l’ESG. Il existe néanmoins aujourd’hui une démarche forte de normalisation au plan international, et un retour en arrière semble peu probable étant donné la maturité des différents acteurs sur ces sujets et la volonté de progresser de nombreux pays, notamment en Asie. Les enjeux liés au climat, à la gestion des ressources ou à l’adaptation sont déjà bien visibles, ne serait-ce que dans le cadre d’une optique de gestion des risques, et il n’y a pas de remise en cause fondamentale de leur importance ni de leur impact.
En tant que branche de Paris Europlace, l’IFD bénéficie-t-il de l’indépendance nécessaire pour apprécier les pratiques des acteurs ?
Nous partageons les mêmes membres et c’est une force en termes de représentativité de la Place pour les positions que nous adoptons. Notre mission est de produire un langage commun, des outils et des solutions pour embarquer l’ensemble des acteurs sur ces sujets et accélérer la transition. Aujourd’hui, l’attractivité de la Place financière de Paris réside aussi dans sa capacité à être pionnière en finance durable.
Retrouvez l'intégralité d'Investir Durable #15, le magazine de la finance durable.
Retrouvez le dossier en ligne d'Investir Durable #15.