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INFO-FICTION

VORTEX : voyage futuriste dans un monde de plastique

ID vous propose de voyager en l'an 2154, dans un monde colonisé par nos déchets plastiques. Aujourd'hui, dix tonnes de plastique sont produites chaque seconde dans le monde, un chiffre qui ne cesse d'augmenter depuis 1950... pour aller jusqu'où ? 

Leah. Ce matin, impossible de sortir de chez moi. La marée a fait remonter des déchets qui bloquent ma porte d’entrée. Je sors par la fenêtre pour déblayer et dégager un passage entre les amas de pièces de plastique agglutinées. Je repère un long tube en PVC sous un enchevêtrement de sacs plastique éventrés, rouge, presque intact. Je le plante au sommet du monticule d’ordures qui jonchent le pas de ma porte. Parfait, il m’aidera à me repérer lors de mes prochaines sorties. Le vortex situé à quelques mètres de nos côtes et les vagues de plastique qu’il fait naître redessinent nos paysages et nos routes à chaque minute qui s'écoule. Je mets parfois quelques heures à retrouver mon chemin. 

Paul. Ce matin, le soleil vient chatouiller mes paupières et affoler mes pupilles. Je me redresse, transpirant dans mes draps blancs et regarde les rayons se frayer un chemin entre les stores mal fermés. Je me lève et les écarte d’un geste de la main.

Leah. Je me dirige vers le port, où les pêcheurs dévoilent leurs prises. Les filets pleins à craquer sont vidés à même le sol, et le travail commence. Aux premiers abords, la récolte semble bien maigre, il n’y a presque que des déchets. Je vérifie l’intérieur des sacs plastique et vide les bouteilles. La pêche n’a pas été si mauvaise que cela : je repars avec trois harengs et deux bernard-l’hermite ayant respectivement élu domicile dans des bouchons doseur de lessive et de sirop contre la toux. 

 

Chaque année, environ 300 millions de tonnes de plastique sont produites dans le monde.

Entre 8 et 12 millions de tonnes en moyenne se déversent chaque année dans la mer, soit 206 kilos par seconde.

Des études prévoient que 80 millions de tonnes seront déversées chaque année dans la mer d'ici 2025, et qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans en 2050.

Chaque année, 1 million d’oiseaux et 100 000 tortues et mammifères marins meurent à cause du plastique : par étouffement, ou bien de faim lorsque que la pièce remplit leur estomac qui n’accueille alors plus de nourriture. 

 

Paul. Une vallée verdoyante et un ciel sans nuages s’étalent sous mes yeux. Voilà qui correspond à mon humeur matinale. Je passe la tête dans le couloir, ma voisine dort encore, j’attendrai pour jouer du violon. J’arrose mes plantes, je casse un pot et m’effondre. Je ne peux plus fabriquer de colle, car nos derniers grammes de farine ont été utilisés par ma mère il y a quinze ans, pour réparer une de nos trois assiettes. Aujourd’hui, il ne m’en reste plus qu’une. 

Leah. "Debout Lily !". Cinquième édition : je grimpe les cinq marches qui me séparent de sa chambre. "Debout mon cœur, il est l’heure !". J’extirpe ma fille de son sommeil et de son hamac en filet de pêche et lui désigne, d’un signe de la tête, le tas d’habits qui l’attend. J’y ajoute une combinaison en polystyrène et un casque en bouchons de plastique. Un vent puissant souffle à l’extérieur et accentue les risques d’avalanche. La semaine dernière, une amie de Lily a trouvé la mort sous quatre tonnes d’ordures, alors qu’elle rentrait chez elle. 

Paul. Je descends dans la cour intérieure, choisis deux oranges, une mangue et une grenade. Je me dirige ensuite vers l’aquarium au rez-de-chaussée, me saisis de l’épuisette laissée à disposition et pêche quelques anchois. Je remonte, j’hésite, je redescends au poulailler prendre trois œufs, et je rentre m’attabler. 

Leah. A table, nous mangeons en silence. Nous inspectons toutes les deux avec extrêmement d’attention la composition de nos poissons éventrés. Un bout de paille par-ci, un bout de sac par-là… Nous ne nous occupons que de ce que nous pouvons voir et saisir, mais nous sommes déjà malades. Nos corps et nos terres sont contaminés, nous n’espérons plus, nous survivons.

 

Il existe une distinction entre les macro-fragments - des bouts de plastique de plus de 5mm – et les micro-fragments. Ces derniers se mêlent au plancton, qui sert d’aliment à de nombreuses espèces – des poissons, des mollusques, des oiseaux, les baleines à fanons, les requins pèlerins.

 

Ces micro-fragments peuvent donc se retrouver dans toute la chaîne alimentaire et représentent un risque sanitaire important pour les animaux et les humains. 

Les plastiques contiennent des dérivés de mercure qui s’accumulent dans le corps humain et perturbent la fonction des organes vitaux. 

Des perturbateurs endocriniens peuvent également générer des risques de baisse de la fertilité masculine, de puberté précoce, de malformations congénitales et de cancers.

De plus, la matière plastique absorbe les polluants présents dans l’eau, comme les pesticides et les hydrocarbures. 

Les déchets plastiques peuvent servir de "radeaux" à des organismes vivants qui s’y agrippent, dérivent, colonisent de nouveaux habitats et y remplacent des espèces ou leur nourriture, entraînant par là même une régression de la biodiversité. Ces organismes peuvent de plus être porteurs de virus et propager des maladies et des épidémies.  

 

Paul. Fini de manger. Je lave ma vaisselle avec une grande précaution, place mes déchets dans une boîte que j’amène au potager et ajoute au compost. Je jette un coup d’œil au planning affiché dans le hall et soupire. Je ne suis ni de corvée jardinage, ni de soin pour les animaux… Aujourd’hui, je travaille à l’atelier de fabrication des produits d’entretien, activité autrement moins séduisante. 

 

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Leah. "Les produits jetables, tu banniras" claironne un haut-parleur dans la rue. Je le dépasse en souriant. Comme si nous avions le choix ! La voix robotique semble s’essouffler, cracher, puis se tait. Ces messages sont diffusés quotidiennement depuis une cinquantaine d’années maintenant ; une décision prise par les gouvernements lorsqu’il était encore temps. "Tes déchets recyclables, tu trieras", "Ce dont tu n’as pas besoin, tu refuseras", "Sur toi, ton sac réutilisable tu auras"… Nous avons progressivement arrêté de les écouter, puis de les entendre. 

Paul. Après avoir achevé ma journée de travail, je me rends dans la salle d’activité. Un groupe de personnes apprend à danser sur un air de flamenco. Quelques-unes suivent des exercices physiques dictés par un avatar à l’écran et s’étirent au sol. Je rejoins ma voisine, qui m’attend face à notre plateau d’échecs. Nous l’avons fabriqué ensemble, l’année de nos dix ans, en taillant les pièces dans le bois de notre dernier olivier.  

Leah. Après trois mois de réclamations, de chantages et d’attente, Lily obtient enfin gain de cause et je l’emmène au musée. Nous nous glissons parmi la centaine de pèlerins, en route vers la Tour.

Paul. Ce soir, j’ai envie d’un coucher de soleil classique. Je choisis une plage de Zanzibar sur la carte interactive à l’écran. Confortablement installé dans mon fauteuil, face à la fenêtre, mon doigt presse la télécommande et les montagnes laissent place à une surface lisse aux reflets chatoyants. 

Leah. "Mais qu’est-ce que c’est ?" me demande Lily. Nous nous approchons du panneau d’information, disposé devant la vitre…

Voici Paul n°153

Le paysage qu’il a choisi d’admirer ce soir correspond à une prise de vue tournée en 2018 à Zanzibar. L’océan ressemblait alors encore à une vaste étendue, d’un bleu immaculé. L’île de Zanzibar, elle, appartenait à ce qui s’appelait à l’époque, le continent africain. 

La population mondiale était alors répartie sur six continents différents, cernés par les eaux.

Peu à peu, des vortex de déchets plastiques sont apparus : il s’agissait de tourbillons composés d’une accumulation de déchets. Peu à peu, ces gyres se sont transformés en une masse compacte, et un septième continent est apparu.

La consommation de plastique et la production de déchets n’ont cessé d’augmenter et ce septième continent a continué à grossir. La surface de l’eau s’est confondue avec les reliefs d’une déchetterie, les détroits ont disparu, les isthmes se sont engraissés et les caps se sont rencontrés jusqu’à ne plus former qu’un unique continent. 

La notion d’eaux territoriales ou non territoriales s’est alors révélée absurde et les autorités internationales ont fini par s’allier. La production d’objets en plastique a tout simplement été interdite et les comportements des citoyens réglementés et surveillés.

Des commandements dictant les nouveaux comportements à adopter ont été établis, sur la base d’un accord international, et ont peu à peu occupé tout l’espace public, remplaçant les spots et les panneaux publicitaires. 

Les entreprises, dépassées, ont abandonné leurs stocks dans les océans, ou les ont enfoui sous terre. Chacun s’est mis à jeter ses déchets en secret et à jeter des regards désapprobateurs aux voisins pris la main dans le sac (en plastique).

Mais les déchetteries ont continué leur conquête de l’espace public, les vortex ont englouti les plages et les villes côtières, puis ont commencé à grignoter les terres reculées… 

De riches dignitaires ont alors décidé de s’exiler avec leurs familles et ont créé des "réserves naturelles". Des hautes tours – comme celle dans laquelle vous vous trouvez – composées d’appartements, de serres, de potagers, de fermes et d’aquariums. 

Ils ont coupé tout contact avec le monde extérieur et ont réussi à vivre en parfaite autonomie, sans plastique. Ils ont remplacé les fenêtres par des écrans pour échapper aux visions d’horreur s’étalant à leurs pieds. Devenu invisible et tabou, le plastique a cessé d’exister dans leurs esprits. 

Leurs tours ont disparu des mémoires, ensevelies sous les déchets. Mais, il y a de cela quelques années, une d’entre elles a été découverte, par hasard lors d’une avalanche. Les derniers étages ont pu être dégagés : leurs habitants n’avaient rien remarqué. Les entrées étant toutes condamnées, il était impossible d’y entrer ou d’en sortir. Mais les écrans utilisés offraient en revanche une parfaite visibilité aux personnes situées à l’extérieur.

L’immeuble est ainsi devenu un musée, vestige d’une civilisation perdue. Paul n°153 est un des descendants des riches dignitaires à l’origine du projet. La décision égoïste de ces derniers offre toutefois un aperçu de ce à quoi nous aurions pu échapper. 

Le grenadier et le manguier plantés dans la cour intérieure sont les deux derniers de leur espèce. 

L’instrument de musique disposé dans sa chambre est un violon, fabriqué en bois d’érable. Il en reste actuellement trois exemplaires dans le monde. 

Les contenants disposés dans sa cuisine portaient jadis le nom de "poubelles".