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Environnement

Produire autrement, un virage à négocier pour l'agriculture bretonne

A 37 ans, Julien Collin préfigure peut-être l'agriculteur majoritaire de demain en Bretagne : il vise l'autonomie alimentaire pour son troupeau de vaches laitières, n'use qu'avec réticence des pesticides et expérimente, hors des sentiers balisés, pour améliorer ses cultures.

Installé depuis 13 ans à Bédée, près de Rennes, il a aussi une autre exigence : il veut avoir une vie hors du travail, en rupture avec ce qu'ont connu des générations d'agriculteurs. "J'ai des loisirs à côté du travail et j'y tiens (...) On nous a proposé d'agrandir (la ferme) mais il n'y a pas que le travail dans la vie", assène-t-il tranquillement.

Moins de soumission aux modèles conventionnels prônés pendant des décennies par les banques ou les coopératives, moins de produits ou aliments achetés à l'extérieur de la ferme, moins de travail... Tous ces thèmes rejoignent les objectifs présentés fin novembre par la chambre régionale d'agriculture, signe d'une mutation profonde en cours dans la première région agricole française qui fournit au plan national 57 % des porcs, 41 % des oeufs, 1/3 des poulets et 22 % de la collecte de lait. "Je pense qu'on est arrivé à un tournant, d'abord par la démographie (...) car on manque de jeunes candidats à l'installation, malgré l'atout du climat", analyse Didier Lucas, président de la chambre d'agriculture des Côtes-d'Armor.

L'enjeu démographique est évident : 52 % des agriculteurs vont partir à la retraite dans les dix ans. De plus, ils sont nombreux, encore jeunes, à déserter la terre pour se reconvertir dans un autre métier par lassitude, revenus incertains, injonctions sociétales ou tout simplement envie d'horaires normaux... Actuellement, la chambre enregistre une seule installation pour quatre départs à la retraite.

"Priorité, le revenu"

Et les nouveaux arrivants ont une même attente : "La première priorité, c'est le revenu. Ce n'est pas normal de faire ce travail avec de tels revenus. Si le revenu ne suit pas, comment voulez-vous que les jeunes viennent à ce métier ?", interroge André Sergent, président de la chambre régionale d'agriculture de Bretagne. "Au-delà de la diversité des modes de production, il y a des points communs qui nous guident tous. Si on prend l'élevage, c'est le bien-être animal, l'environnement et la biosécurité. Qu'on soit en bio, en production labellisée, en vente directe ou par une coopérative, ces trois éléments sont essentiels. Mais ce n'est pas à nous de dire comment produire, c'est aux jeunes de définir leur projet", considère M. Sergent. En élevage comme en cultures, "il y a une multitude de solutions" pour produire mieux, y compris pour les animaux "dans une logique de réduction des gaz à effet de serre" ou, pour les légumes, "de réduction des phytosanitaires", assure-t-il. Pour lui le modèle agricole n'est pas figé. "Les jeunes n'ont pas forcément à faire ce qui a été fait jusqu'à présent. On est dans une autre période, avec d'autres enjeux, et nous, on veut accompagner cette transition et chaque nouveau projet", du bio (3350 des 26 500 fermes) au conventionnel en passant par la permaculture. Une transition facilitée sans doute par le fait qu'environ un tiers des nouveaux arrivants ne sont pas issus du monde agricole.

"C'est peut-être une façon de prendre acte de ce qui se passe : le manque de jeunes à s'installer, l'évolution de la consommation, les demandes sociétales (...) mais ça ne veut pas dire que le cochon va aller en liberté chercher ses betteraves, il ne faut pas rêver !", relativise Jocelyne Porcher, sociologue à l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) et spécialiste de l'élevage et du rapport aux animaux. "La typologie des exploitations évolue également. Certaines petites surfaces, selon leur façon de produire et de commercialiser, s'en tirent très bien. D'autres auront des assises foncières plus importantes mais avec plusieurs personnes travaillant sur une même exploitation", constate André Sergent. "Avec des fermes plus grandes, on peut recréer du lien au sol", relève Didier Lucas. "Ça permet d'améliorer le chiffre d'affaires" puisqu'on produit, au moins partiellement, la nourriture qu'on n'a plus besoin d'acheter pour les animaux, contrairement au modèle de l'élevage "hors-sol" qui a prévalu pendant des décennies.

C'est d'ailleurs ce que fait Julien Collin avec ses associés sur 145 ha : ses 90 vaches sont "en pâture toute la journée de mi-mars à début décembre". "En ayant modifié notre rotation de cultures, on est devenu autonome en fourrage et on importe le moins possible", explique l'éleveur. L'agriculteur va même plus loin : il a renoncé à des aides environnementales octroyées par l'État en contrepartie d'un protocole imposé, car il considère consommer moins de pesticides en évaluant par lui-même, au cas par cas, les besoins des cultures. "Moins j'utilise de phytos, mieux je me porte", dit-il.

"Vision à long terme"

"On peut entendre une inflexion dans le discours (...) c'est un premier pas", reconnaît Jean-Marc Thomas, porte-parole de la Confédération paysanne en Bretagne, syndicat concurrent de la FNSEA qui, majoritaire au sein de la profession, gère les chambres d'agriculture. "Nous, on ne pense pas que la solution soit dans un agrandissement démesuré des fermes comme on le voit actuellement. Les jeunes qui s'installent dans ces conditions auront du mal à tenir sur la durée. Investissements trop lourds, trop de charge de travail, car la robotisation ne résout pas tout", fait valoir Jean-Marc Thomas qui prône des "fermes à taille humaine". Pour améliorer les revenus, il y a en particulier de "la valeur ajoutée à réaliser en réduisant les coûts de production", estime-t-il, en prenant en exemple sa propre expérience de producteur bio de vaches allaitantes. "A mon avis, ça manque de vision à long terme", dit-il du projet proposé.

"Là où on pourra voir si ça change vraiment quelque chose, c'est dans les filières industrielles, porcs et volailles principalement. Est-ce que ça va aller au-delà du discours ?", s'interroge la chercheuse de l'INRAE qui a été auparavant éleveuse et salariée agricole. Elle pointe aussi la nécessaire vision à long terme. "Ce qu'il faudrait anticiper aujourd'hui, c'est l'arrivée de la viande in vitro" assure-t-elle, une menace "qui pourrait démolir les filières industrielles en production animale" et toucher de plein fouet le modèle agricole breton. De toute manière, insiste Jocelyne Porcher, l'agriculture conventionnelle dominante en Bretagne est "obligée de changer : ce modèle ne fait plus envie à personne !".

Avec AFP. 

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