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Entreprises

Responsabilité sociétale : la crise va tester la sincérité des entreprises

Au moment où la pandémie menace l'existence de certaines entreprises, leur responsabilité sociétale et environnementale (RSE) risque de passer au second plan, selon certains experts pour lesquels la crise va agir comme le révélateur de la sincérité de ces engagements coûteux.

Le spécialiste ESG (risques environnementaux, sociaux et de gouvernance) Vigeo Eiris recense même déjà "quatre à cinq fois plus" d'incidents directement liés au Covid-19 dans les 8 000 sociétés cotées qu'il surveille, dévoile sa présidente Sabine Lochmann. Au 13 octobre, la dirigeante de cette agence de notation extra-financière, fondée par l'ancienne syndicaliste Nicole Notat et rachetée en 2019 par Moody's, relevait ainsi 424 "événements" anormaux, "une augmentation significative des conflits sociaux", une multiplication des manquements liés à "l'équipement du personnel ou la protection des consommateurs". Même dans des entreprises historiquement fortement engagées.

Loi Pacte, sociétés à mission, objectifs chiffrés : la RSE s'est en effet imposée ces dernières années à l'agenda des groupes cotées. Parfois par conviction, parfois pour suivre le mouvement, sur fond de pression d'actionnaires, de régulateurs et bien sûr d'activistes comme Greta Thunberg, prompts à dénoncer des cas de "greenwashing". "Maintenant, il va falloir choisir son camp, on ne peut plus continuer à tricher", estime Caroline Renoux, dirigeante du cabinet Birdeo spécialisé dans la RSE. "Pendant le confinement, certains ont coupé leurs budgets RSE. D'autres en ont profité pour dégraisser. Selon moi, environ deux tiers vont continuer et un tiers s'arrêter en disant que ce n'est plus une priorité".

"Toutes les stratégies ne sont pas encore lisibles mais la première crise a permis de noter les dissonances entre les annonces et la pratique", approuve Frédérique Lellouche, présidente de la Plateforme RSE, hébergée depuis 2013 par France Stratégie. "La crise s'installe, le court-terme fait un peu son retour avec les inquiétudes sociales, économiques qui l'accompagnent. Si on laisse passer ce moment pour changer les pratiques, il risque d'être trop tard", ajoute-t-elle.

"La capitalisation boursière de ceux qui sont engagés de manière robuste a été plus protégée", défend pourtant Hélène Valade, présidente de l'Observatoire de la RSE et directrice chez LVMH. "Ces entreprises-là ont des capacités d'adaptation beaucoup plus fortes".

Le social revient en force

Fidélité et attractivité récompensent également les groupes publiquement engagés. Selon Harris Interactive, 30 % des ingénieurs envisagent ainsi de quitter leur société car ils n'adhèrent plus à ses valeurs. L'examen à la loupe expose également des secteurs moins vertueux que d'autres. "La mode, c'est le vilain petit canard en terme de pollution mondiale", décrypte Anthony Zwiebel, co-fondateur de Moralscore, l'une des applications qui épluche les rapports internes des marques pour leur attribuer une "note éthique". Bienveillant avec le volontaire H&M, il juge en revanche plus durement l'attentisme de Zara.

"Le jouet est assez efficace. Par contre, les enseignes de bricolage s'en moquent royalement. Les nouveaux acteurs partent d'une feuille blanche et c'est plus facile de mettre en place une politique RSE", ajoute-t-il.

La mise en place de ces objectifs peut coûter plusieurs "milliards d'euros", précise Mme Lochmann, qui rappelle également l'engagement à 30 ans de Total pour réduire son impact sur l'environnement. Surtout, les coûts réputationnels en cas d'absence de démarche peuvent s'avérer plus élevés, ajoute-t-elle.

Les groupes français ont "une marge de progression significative" en la matière, assure Céline Boyer Chamard, directrice associée du BCG qui vient de publier son premier "Indice de l'engagement sociétal". Celui-ci attribue une note moyenne de 48 sur 100 aux sociétés du CAC 40. Dont 26 pour la plus mauvaise. En revanche, la dirigeante se félicite que la RSE atteigne enfin parfois les plus hautes sphères stratégiques des entreprises.

Danone, devenu en juin le premier groupe coté reconnu "société à mission" avec des objectifs sociaux et environnementaux dans ses statuts, a d'ailleurs supprimé son département RSE pour qu'il infuse dans l'ensemble du groupe.

La crise actuelle révèle également pour Moralscore un regain d'intérêt pour le social, jusque-là écrasé par l'environnement, et les conditions de travail. Mme Lellouche redoute pourtant les conséquences néfastes du tout numérique et du télétravail généralisé. Pour pallier ces nouveaux risques et rendre les groupes plus transparents, tous attendent désormais l'indispensable homogénéisation des outils de mesure RSE en Europe.

Avec AFP.