Denis Dementhon, DG de France Active.
©DR
Entreprises

"La crise qui touche toute l'économie touche par la même occasion l'ESS..."

Article réservé aux abonnés

Le secteur de l'économie sociale et solidaire, l'ESS, a déjà connu de bien meilleurs jours, témoigne Denis Dementhon, Directeur Général de France Active. Ce dernier, qui remarque que la situation de nombre d'acteurs de cette économie est loin d'être rose, ne souhaite pas pour autant tout voir en noir et pense qu'il faut désormais se réinventer... À condition d'en avoir le temps. 

"Les estimations réalisées en octobre 2024 par l’UDES évaluant à 186 000 le nombre d’emplois menacés par la première version du budget sont toujours d’actualité et le risque d’un choc social et d’une crise économique d’ampleur à partir du second semestre 2025 et du premier semestre 2026 demeure". Voici ce qu'indiquait David Cluzeau, président de l’UDES, Union des employeurs de l'ESS, par voie de communiqué en février dernier.

À quoi ressemble aujourd'hui la réalité de ce secteur ? Quelles sont les répercussions de la crise économique actuelle sur les acteurs de cet écosystème ? Denis Dementhon, DG de France Active, mouvement associatif de soutien notamment aux entreprises et associations de l'ESS, partage ses observations à ID.

Pouvez-vous me parler de France Active ?

France Active est un réseau associatif de 35 associations territoriales qui interviennent sur l'ensemble du territoire français. Nous avons un rôle de conseil et de financement des entrepreneurs. Toute une partie de notre activité est en direction de demandeurs d'emploi qui veulent monter leur entreprise. C'est la caractéristique sociale de notre activité.

Nous avons un autre versant de financement et d'investissement dans les entreprises et associations de l'économie sociale et solidaire. Pour faire cela, nous avons ce réseau décentralisé qui est au plus près des territoires et des projets, et nous mettons à leur disposition nos outils de financement, qui sont deux sociétés financières. L'une, France Active Garantie, fait de la garantie pour permettre à ces entreprises d'accéder à du crédit bancaire dans de bonnes conditions. L'autre, France Active Investissement, collecte de l'épargne solidaire et investit. 

L'année dernière, en tout, nous avons prêté, investi, garanti un peu moins de 500 millions d'euros en direction de ces entreprises.

Combien d'entreprises cela représente-t-il environ ?

Des dizaines de milliers, mais si on regarde les entreprises de l'économie sociale et solidaire, elles sont près de 1500 chaque année. 

En parlant de ces entreprises de l'ESS... On peut dire que ce secteur traverse une véritable crise aujourd'hui ? À quoi le voyez-vous ?

Oui, la crise qui touche toute l'économie touche par la même occasion l'ESS. Ce secteur est en fait touché par une série de crises, avec l'augmentation du prix de l'énergie, la baisse du pouvoir d'achat sur nos territoires, etc.

Deuxième chose : nous avons face à nous une crise des finances publiques qui touche particulièrement certains secteurs de l'ESS et notamment tous les acteurs qui interviennent dans le champ des politiques publiques. Il peut s'agir des associations culturelles, par exemple, qui sont parfois soutenues par les pouvoirs publics... Ça peut être le champ de la petite enfance, l'aide aux personnes âgées... Des acteurs de l'ESS, qu'il s'agisse de grandes entreprises ou d'associations, sont parfois mis en difficulté.

Nous essayons de mobiliser nos équipes et nos bénévoles pour faire face à un afflux de demandes qui ne sont malheureusement celles que nous aimons bien voir comme les projets de développement, mais plutôt des appels au secours."

Et il y a en plus, de l'autre côté, des besoins sociaux qui augmentent en période de crise. Les acteurs qui travaillent sur l'insertion professionnelle font face à une demande exponentielle d'action sociale dans le cadre d'un marché qui s'amenuise et d'acteurs publics qui réduisent leur soutien. Cela fait un cumul.

Chez France Active, comment prenez-vous la mesure de cette crise de l'ESS ?

On s'en rend compte d'une part parce que les entreprises auxquelles nous avons prêté de l'argent ou chez qui nous avons investi, sont parfois aujourd'hui en difficulté pour nous rembourser. Nous avons donc une montée du risque constatée. Ce n'est pas catastrophique, les grands équilibres ne sont pas complètement remis en cause. Néanmoins, nous voyons bien, nous mesurons cette montée des risques. Et sur les nouveaux projets qui arrivent, nous ne sommes pas dans une phase, depuis deux ans, où nous avons plein de beaux projets de développement comme nous aimons bien en voir. 

Nous avons par contre des structures qui viennent nous voir en nous disant : "J'ai un problème de trésorerie, je ne sais pas comment boucler cette année, est-ce que vous pouvez m'aider ?" 

Des dizaines de milliers d'emplois sont soit menacés, soit vont être précarisés. Car les structures, les associations, n'ont pas des marges de manœuvre énormes. Les salaires sont faibles et quand on a un problème pour boucler un budget, ou un problème de trésorerie, on va prendre plutôt un mi-temps, on ne va pas s'engager sur du CDI, on va remplacer les gens qui partent par des salariés plus précaires

L'ESS est composée de plein de petites, moyennes structures, qui sont très agiles et qui vont faire face à ces difficultés, comme d'habitude, avec inventivité. Mais donc avec deux risques : la précarisation de l'emploi, la dégradation des conditions de travail, et une moins bonne réponse sociale pour les gens qui bénéficient de leur action. 

Si les concours publics baissent sur certaines activités, comme le loisir, la culture, le sport, ces associations vont savoir faire et chercher des clients qui sont plus solvables et qui peuvent payer le prix. Généralement, elles ont des tarifications différenciées mais elles vont changer un peu le mix. Et d'un seul coup, on perd complètement ce qui fait l'ADN des associations, qui est de rendre accessible des services à des clientèles fragiles. 

Ce qu'il faut, c'est vraiment donner du temps aux dirigeants pour ne pas prendre de décisions au détriment de la qualité de l'emploi ni du projet social et de vraiment poser les choses."

Que peut-on faire face à cette situation ? Quel est votre message ?

De notre côté, nous essayons de mobiliser nos équipes et nos bénévoles pour faire face à un afflux de demandes qui ne sont malheureusement celles que nous aimons bien voir comme les projets de développement, mais plutôt des appels au secours. 

Ce n'est pas tout à fait le même métier. Nous devons nous ajuster sur nos manières d'accueillir les gens et de les aider à diagnostiquer et à construire un programme de sauvegarde de l'activité ne s'éloignant pas trop de l'objet social des structures. Nous avons vraiment besoin de renforcer nos moyens d'accompagnement, de conseil, aux dirigeants de ces structures.

Et nous essayons de mettre en place des concours court terme, des avances de trésorerie, de faire bouger un peu notre offre de financement pour qu'elle permette à certaines structures de gagner du temps. Le plus important, c'est d'utiliser ce temps, de le mettre à profit, pour vraiment réfléchir à la stratégie de transformation de la structure. Je pense que comme dans d'autres secteurs, nous avons de toute façon besoin régulièrement de réfléchir, en fonction de ce qu'il se passe autour, à ce que nous devons devenir, à comment est-ce que nous investissons, comment nous ajustons nos services, comment nous mutualisons un certain nombre de choses entre plusieurs associations...

Ce qu'il faut, c'est vraiment donner du temps aux dirigeants pour ne pas prendre de décisions au détriment de la qualité de l'emploi ni du projet social et de vraiment poser les choses. Ce sont des transformations qui peuvent prendre un à deux ans, voire plus. Nous croyons énormément à l'agilité de ce secteur, à la capacité des dirigeants d'innover et de trouver des solutions

C'est une transformation que nous devons conduire. Il ne faut pas la subir."

Nous avons besoin d'un pacte de confiance avec les partenaires publics. Ça ne peut pas être une coupe sombre d'un coup. Nous pouvons comprendre bien sûr les difficultés financières, nous lisons le journal comme tout le monde. Mais, de manière responsable, nous avons besoin d'un pacte un peu stable pour aider ces petites entreprises et associations à se retourner et à évoluer.

Malgré le contexte très difficile, êtes-vous confiant pour l'avenir ?

Ça va continuer. Il ne faut pas imaginer que dans deux ans, ça ira mieux et qu'on se retrouvera comme en 2018 avec l'emploi qui repart et des projets. Je suis surtout confiant dans notre capacité collective, entre les fédérations associatives, les gens comme nous et parfois des partenaires publics et privés, à réfléchir et à construire des choses.

L'autre solution serait de s'assoir sur le bord de la rivière et de se mettre à pleurer...

Bien sûr, donc vous prenez les choses en main, mais en sachant c'est une crise à long terme...

De toute façon, c'est une transformation que nous devons conduire. Il ne faut pas la subir. Nous voulons mettre nos petits moyens financiers et notre matière grise pour que le secteur se prenne en main, sans attendre un appui hypothétique de l'extérieur. 

Pour vous, il est important aujourd'hui de communiquer là-dessus, notamment auprès des médias...

Oui, absolument, et avec une communication pas catastrophiste, même si la situation n'est vraiment pas rose. Plutôt sur la motivation du secteur à trouver de nouveaux modèles... Et à demander de l'aide après.

À ce compte-là, nous devrions au moins sauver une bonne partie de ce qui fait tout ce tissu de petites structures territorialisées et peut-être sortir plus fort avec de nouvelles idées.