Damien Baldin est vice-président d'ESS France.
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Tendances

Damien Baldin : "On ne connaît pas assez bien ce que fait l'économie sociale et solidaire"

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A l'occasion du mois de l'Economie Sociale et Solidaire qui se déroule en novembre, ID s'est entretenu avec Damien Baldin, vice-président d'ESS France, en charge de l'éducation de la jeunesse, de l'influence et des médias. L'occasion d'évoquer le rôle de l'Etat dans le développement de l'ESS, mais aussi l'enjeu du passage à l'échelle de modèles portés par le secteur.

Pouvez-vous présenter ESS France, en quelques mots ?

ESS France est l'association nationale qui représente toutes les familles de l'économie sociale et solidaire. C'est la tête de réseau de toutes les structures de l'ESS et l'instance privilégiée de dialogue avec les pouvoirs publics et les différentes têtes de réseau des grandes familles de l'économie sociale et solidaire : les coopératives, les mutuelles, les fondations et les associations.

Quand vous dites "interlocuteur" notamment avec les pouvoirs publics, justement, quel est votre sentiment ? Comment se passe le dialogue ?

Il y a toujours eu un bon dialogue avec les interlocuteurs ministériels en charge de l'économie sociale et solidaire. Il y a toujours eu une bonne écoute, mais qui s'est rarement traduite par un investissement massif dans l'économie sociale et solidaire et dans le soutien plus large à l'innovation sociale par exemple. 

Donc une oreille a toujours été attentive, je pense aux différents ministères. Même quand il n'y avait pas que l'économie sociale et solidaire, je pense notamment à Olivia Grégoire. Il y a eu la bonne nomination d'un délégué ministériel, Maxime Baduel, qui est très à l'écoute, très engagé. Mais depuis 2017, le résultat budgétaire et l'engagement concret pour l'ESS n’est pas à la hauteur de l'écoute qui a été faite.

Sur le plan budgétaire justement, qu'est-ce que l'État peut faire ? 

Il y a plusieurs manières pour l'État d'accompagner le développement de l'économie sociale et solidaire. La première, elle tient à la structuration générale, c'est-à-dire cette économie qui regroupe plusieurs secteurs : la santé, l'éducation, l'industrie. Donc effectivement, il y a cette dimension-là. Et qui se retrouve autour de ces structures juridiques, certes différentes, mais qui ont en commun ces valeurs de gouvernance démocratique et de lucrativité limitée. Là-dessus, il y a une première manière pour l'État, c'est de pouvoir assurer le développement, je pense notamment sur les territoires à travers les plans territoriaux de coopération de l'ESS, pour pouvoir aider toutes les jeunes pousses de l'économie sociale et solidaire à pouvoir se développer localement.

Il manque ce quelque chose, qui est d'investir dans l'innovation sociale."

Deuxième manière, actuellement très forte pour l'État, c'est de pouvoir aussi, et ça ce sont des budgets qui sont restés très en deçà, c'est de donner une place, c'est pas qu'elle est plus importante, c'est que quand vous regardez les investissements d'avenir qui sont faits, notamment dans le cadre de France 2030, pour comment l'État finance le soutien à l'innovation technologique et à l'innovation scientifique, il n'y a presque rien pour l'innovation sociale portée par les structures de l'économie sociale et solidaire. C'est-à-dire que là, il y a un levier très fort d'action que l'État n'a jamais actionné, c'est d'intégrer l'innovation sociale dans les grands champs d'innovation stratégique pour la France. Et ça, ce serait un levier très puissant. Quand vous regardez le rapport Draghi sur la perte de compétitivité et sur le déclin économique de la France, qu'est-ce qu'il dit ? Le premier point, c'est de pouvoir avoir une politique européenne stratégique au niveau de l'innovation. Et effectivement, Mario Draghi développe son rapport, il insiste beaucoup sur les innovations technologiques, scientifiques, agricoles, et ils ont raison et c'est très bien. 

Mais il manque ce quelque chose, qui est d'investir dans l'innovation sociale, c’est-à-dire, aller investir dans ce que vont être demain les nouvelles sécurités sociales, les nouvelles solidarités

Après, on rentre plus dans la dimension sectorielle. C'est un peu quand vous prenez des politiques publiques qui sont aujourd'hui fondamentales, je pense aux EHPAD et aux seniors, et je pense aussi à la petite enfance et aux structures de garde de la petite enfance, avec toutes les dérives qu'il y a eu, qui aujourd'hui sont connues. Sur ces âges fondamentaux, la petite enfance, elle est déterminante dans les inégalités sociales. Et puis le grand âge, l'État aurait à notre avis tout intérêt à valoriser et à aider les structures de l'économie sociale et solidaire qui proposent des modèles alternatifs de garantie, d'attention à l'être humain, de lucrativité limitée, à pouvoir les aider, en faire des véritables auxiliaires des politiques publiques de la petite enfance et de l'âge des seniors. 

Est-ce qu'il y a pas aussi une question de prise au sérieux de certains acteurs ou des acteurs du secteur, en tant qu'opérateurs économiques capables d'inspirer des passages à l'échelle, y compris au sein des secteurs économiques plus classiques ? 

Et pourtant, que sont le Crédit Mutuel ou les grandes mutuelles d'aujourd'hui ? Ce sont des exemples frappants qui montrent qu'on peut être une banque coopérative, une mutuelle, et aujourd'hui pouvoir prendre en charge des vrais enjeux économiques et être des grands acteurs qui pèsent dans l'économie. 

Prendre aussi notre part de responsabilité dans la faiblesse de nos relais économiques ou dans la faiblesse de nos relais politiques."

Oui, aujourd'hui, on ne connaît pas assez bien ce que fait l'innovation, ce que fait l'économie sociale et solidaire. C'est-à-dire que, on a un exemple aujourd'hui, les liens entre la fonction publique, entre la formation des hauts fonctionnaires ou des fonctionnaires territoriaux ou la fonction publique hospitalière. Et il y a la place qui est accordée à l'économie sociale et solidaire est parfois elle est presque absente ou elle est très très faible. Et je vais dire la même chose de la formation initiale, dans une école de commerce ou dans une école d’ingénieur. Il y a, que ce soit dans les formations initiales ou continues, un manque de connaissance et de projets pédagogiques autour de l'économie sociale et solidaire. Donc il y a un enjeu d'acculturation, qui est très fort et qui est un grand chantier, et qui là aussi peut être un levier d'action au passage, presque sans coût, mais à mon avis, avec un bénéfice politique extrêmement fort sur le temps plein.

Et il y a bien sûr les usagers, les consommateurs qui, sans être responsables de tout, peuvent jouer un rôle ?

Nous avons aussi une responsabilité, on n'est pas là pour dire continuellement "ah bah oui mais c'est à eux de faire ci, de faire ça". Oui évidemment, mais nous aussi on a une responsabilité de mieux communiquer, de mieux connaître, on a une responsabilité, de faire plus de plaidoyer. Et donc ce que nous sommes en train de construire avec ESS France c’est aussi cette dimension-là. C’est-à-dire de prendre aussi notre part de responsabilité dans la faiblesse de nos relais économiques ou dans la faiblesse de nos relais politiques et de plaidoyers. C’est à nous d’y travailler.