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Hugues Sibille, président du Labo de l'économie sociale et solidaire : "C'est l'économie de l'avenir"

Le mois de novembre est celui de l'ESS, ou encore de l'économie sociale et solidaire. Quels en sont les enjeux et les chiffres ? ID a questionné à ce sujet Hugues Sibille, président du think tank le "Labo de l'ESS".

Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre la notion d'économie sociale et solidaire ?

L'ESS a le mérite d'être définie par une loi de 2014 : c'est un mode d'entreprendre qui réunit ceux qui utilisent des statuts d'associations, coopératives, mutuelles et fondations, ainsi que ceux qui utilisent des statuts d'entreprises commerciales et qui respectent des règles sur la lucrativité et sur une gestion participative et démocratique. Pour moi, l'économie sociale, ce sont ceux qui tous les jours mettent en œuvre des valeurs telles que la solidarité et la démocratie, qui ont des statuts, et qui ont des pratiques conformes aux valeurs et aux statuts. C'est ce triangle de la réussite de l'ESS que je mets en avant : c'est une tension permanente, il ne faut jamais perdre de vue son projet et le faire vivre. Je pense qu'il y a une attente de la société qui n'a jamais été aussi forte pour ce type d'économie parce qu'intuitivement, les gens se rendent compte que le modèle actuel de l'économie conduit à un certain nombre d'impasses. On voit en particulier des jeunes avoir un intérêt qui n'existait pas quand j'ai commencé à être actif dans ce secteur.

Cet intérêt se ressent-il dans les chiffres actuels de l'ESS ? Quels sont-ils ?

L'ESS aujourd'hui, ce sont 230 000 entreprises et 2 300 000 salariés. Elle pèse 10 % du PNB, mais cela dépend des régions. Dans certaines d'entre elles, il peut atteindre 13 à 14 % du PNB, ce qui n'est pas du tout négligeable. C'est un secteur tout à fait significatif et sous-évalué, qui a été et est potentiellement créateur d'emplois : un certain nombre de gens sont en train ou vont prendre leur retraite. On évalue dans les six à sept ans qui viennent le nombre d'emplois qu'il va falloir remplacer à plus de 500 000. Et cela représente une grande variété de métiers et d'activités, de la banque et l'assurance à l'agriculture en passant par les services aux personnes, des métiers classiques dans l'informatique, des métiers nouveaux dans le digital et le collaboratif... On peut entreprendre en économie sociale dans tous les secteurs. Par exemple, la semaine dernière j'ai remis un prix de finance solidaire à une coopérative funéraire qui s'est créée à Nantes ! 

D'où vient ce nouvel attrait des entrepreneurs pour l'économie sociale et solidaire selon vous ?

Selon un sondage Ifop, un étudiant sur deux de grande école dit souhaiter avoir une expérience dans le monde de l'économie sociale et solidaire. C'est une façon pour eux de concilier le fait d'entreprendre, de prendre des risques et en même temps d'avoir une utilité d'intérêt général, là où dans ma génération, il y a une quarantaine d'années, les jeunes allaient plutôt vers le service public. L'autre explication, ce sont les limites que tout le monde perçoit aujourd'hui dans une économie de profit immédiat et de court-termisme, et qui se traduit dans le domaine de la santé, de l'environnement, de la culture. La population ressent que l'on est dans un système économique produisant des effets positifs mais aussi beaucoup d'effets négatifs. Aujourd'hui il y a quand même une espèce de résistance et de rejet d'un système dans lequel on voit une partie très limitée de la population en capacité de se distribuer des salaires, des revenus, des stock options, de manière énorme alors que les inégalités restent importantes. Il y a une aspiration à une économie qui reste de marché, mais est qui plus juste et plus équitable. Le mot "coopération" revient à la mode parce qu'on se rend compte qu'en coopérant, on arrive à faire des choses qu'on n'arriverait pas à faire autrement. 

Il faudrait ajouter un "E" à la fin d'"ESS". "Economie Sociale, Solidaire et Écologique".

Quel rôle joue votre Labo de l'ESS ?

C'est un think tank, un endroit où l'on essaie de mener la bataille des idées, de montrer que c'est possible, qu'on peut faire autrement. Notre méthode s'appelle "RÊVE" : "R" comme "résister", "E" comme expérimenter, "V" comme "voir loin" et "E" comme "évaluer". On part de ce qui se fait sur le terrain et on observe comment les gens résistent à un système qui leur paraît inéquitable et excessif, quelle est leur vision, leur modèle... Et il faut aussi "évaluer" parce qu'il faut être capable de montrer son impact et ne pas se contenter d'un discours. Le Labo conduit donc des chantiers, notamment en ce moment sur l'alimentation durable, sur la sobriété énergétique, sur l'économie sociale et la culture, sur les territoires pionniers de la transition... À chaque fois il s'agit de regarder des expériences, d'en tirer des enseignements et après ça d'aller vers les décideurs, les politiques, la Commission européenne et de leur dire : "Voilà un certain nombre de propositions pour l'ESS qui n'ont pas été faites en Chambre mais qui s'appuient sur des expériences qui existent déjà". Contrairement à ce que pensent beaucoup de dirigeants, il y a énormément d'initiatives et d'innovations sur le terrain en France mais on a comme un plafond de verre. Tout cela n'inspire pas finalement les politiques... 

Avez-vous confiance en l'avenir de l'ESS ?

Oui, je pense que c'est l'économie de l'avenir mais il faut de la volonté car ça ne se fait pas tout seul. J'ajoute qu'il faudrait ajouter un "E" à la fin d'"ESS". "Economie Sociale, Solidaire et Écologique". Sans vouloir faire de la collapsologie et du catastrophisme et au vu des éléments que l'on a sur la table concernant le climat et l'effet négatif de notre modèle actuel, je pense que l'ESS doit montrer que la dimension écologique est très présente dans son projet. Elle l'est déjà mais de manière différenciée. Beaucoup de structures de l'ESS n'ont pas encore intégré des modes de faire économes en énergie. Il faut montrer que l'ESS est plus juste, qu'elle est plus démocratique mais aussi qu'elle est plus respectueuse de la planète. C'est un challenge urgent compte-tenu des menaces qui pèsent aujourd'hui sur nous.