L'association Paysages de France décerne le prix de la "France moche" pour la pollution visuelle liée à l'affichage publicitaire.
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Pollution visuelle : conflit autour des prix de la "France moche"

Débat d'ID.

Le 29 octobre, l’association Paysages de France a remis ses trophées de la "France moche" aux communes qui ne respectent pas les règlementations sur les affichages publicitaires. Du côté des villes concernées, on se défend de ces accusations et on critique les méthodes de l’association. ID a rencontré les deux parties prenantes pour leur permettre d’exprimer leurs arguments.

Alors que la question de la pollution visuelle préoccupe de plus en plus les citoyens, l’association Paysages de France s’engage pour identifier les infractions d’affichage publicitaire sur l’espace public avec des actions fortes pour forcer les municipalités à agir contre ce problème. L’association agréée présente son prix de la France moche pour "récompenser" les communes qui ont le plus de panneaux publicitaires.

Cependant, ce prix fait l’objet de nombreuses critiques de la part des communes visées, notamment à propos des méthodes employées par l’association. ID a rencontré Olivier Saladin, membre du conseil d’administration de Paysages de France, et le maire de Montalieu-Vercieu Christian Giroud, afin de leur permettre d’exprimer leurs positions sur la réglementation liée à l’affichage publicitaire et les méthodes d’attribution de ce prix.

La ville de Migné-Auxances.
©DR/Paysages de France

La ville de Dambach.
©DR/Paysages de France

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Écoutez la chronique Social Lab ici

Olivier Saladin
Paysages de France

En quoi ces affichages publicitaires posent problème à votre association ?

Notre activité consiste à faire des relevés d'infraction des panneaux publicitaires sur l'espace public. Au sens plus large, cela consiste à identifier toutes les choses qui contribuent à l’enlaidissement des paysages. Notre cœur de cible, ce sont surtout les entrées de villes et la publicité extérieure, qui représente une forme de harcèlement visuel pour les citoyens.

Si vous voulez, lorsqu’il y a une publicité à la radio, à la télévision ou dans un journal, on peut couper son poste, changer de chaîne ou sauter les pages pour l’éviter. Pour les affichages extérieurs, c’est impossible pour les citoyens de ne pas les voir.

Christian Giroud
Maire de Montalieu-Vercieu

Comment avez-vous réagi à l'annonce de ces prix de la "France moche" ?

La première réaction, c’était l’étonnement, notamment à cause de la méthode utilisée par une association qui dispose d’un agrément ministériel et préfectoral et qui a pour vocation d'apporter de la pédagogie sur la thématique des panneaux publicitaires. Nous avons appris ça par courrier le vendredi, soit un jour après l’annonce nationale. La surprise et l’amusement passés, on se demande quelle est la légitimité de ce classement. 

Deuxièmement, pour nous qui sommes des maires respectueux des institutions et des lois, nous sommes vraiment interloqués par les méthodes utilisées, notamment tout l’emballage médiatique et sur les réseaux sociaux. C'est quelque chose qui nous dépasse à plusieurs titres, notamment par ce que les affichages publicitaires ne sont pas du ressort des maires, contrairement à ce que dit Paysages de France
 

Olivier Saladin
Paysages de France

Comment vous organisez-vous pour faire respecter les règlementations ?

D’une part, nous nous battons pour être une association agrée en ayant un siège dans les CDNPS (Commissions Départementales de la Nature des Sites et des Paysages, NDLR) lorsqu’il y a des règlements locaux. Nous sommes également invités dans les préfectures lorsqu’il faut discuter avec les afficheurs à propos des règlements à établir, et nous donnons notre avis aux villes lorsqu’elles nous le demandent.

Ensuite, nous mettons en place des mobilisations citoyennes avec nos adhérents. Ceux-ci prennent des photos des panneaux dans toute la France pour relever les infractions avec l’aide de guides que nous avons édités pour les aider à repérer les panneaux illégaux et non-conformes. Une fois qu’ils nous ont envoyé les photos, nous rédigeons les infractions que nous envoyons soit au maire, soit au préfet. 

Christian Giroud
Maire de Montalieu-Vercieu

Qu’est-ce que vous contestez dans les méthodes d’attribution de ce prix ? Quels sont vos moyens de réaction en tant que commune ?

La méthode utilisée est totalement inacceptable dans un état démocratique. L’association s’est exprimée largement dans les médias sans nous prévenir. Donner en pâturages, sans critères objectifs d’analyse, on a déjà vécu ça avec les épisodes Balance ta commune et Balance ton maire. D’autant plus qu’ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils n’ont pas de critères de sélection, ce sont juste 60 photos qui représentent 30 communes sur le plan national. Et ils ne se sont même pas déplacés avant le jugement pour vérifier par eux-même !

Il y a plusieurs procédures en cours, avec notamment le soutien de l’Association des Maires de France (AMF), qui va porter ce dossier devant l’État pour éviter que des associations qui ont des agréments sous l'angle de la pédagogie ne détourne ces attributs pour faire du bashing des institutions. Le ministère de l’environnement est également saisi de l’agrément préfectoral de l’association car ils ont dépassé ce qu'on appelle le raisonnable de leur vocation.

Ensuite, il y a bien évidemment une atteinte à l’image. Nous les attaquons devant les tribunaux pour un préjudice à la fois moral, financier et d’image. Il y a une jurisprudence constante dans ce domaine pour les communes qui sont attaquées.

Bien sûr, les tribunaux jugeront, mais nous avons suffisamment de preuves dans ce dossier au regard des méthodes et propos tenus dans les médias pour prouver qu’ils sont dans une illégalité totale pour attribuer ce genre de "diplôme" et en faire un classement national.

Olivier Saladin
Paysages de France

Vous vous accusez mutuellement de ne pas être en conformité avec la loi, mais qui est chargé de la faire respecter officiellement ?

Nous cherchons à faire respecter les mesures sur les panneaux publicitaires. Entre 40% et 60% des panneaux publicitaires sont illégaux ou contestables. Lorsqu’il y a un règlement local, c’est le maire qui doit le faire appliquer, sinon c’est le préfet, mais aucune des deux autorités n’agit en ce sens. Les maires subissent probablement des pressions de la part des afficheurs qui sont extrêmement puissants. Et si les citoyens ne se révoltent pas contre ça, ils laissent tout simplement faire.

Il y a vraiment un paradoxe en France : plus on a des lois complexes et sophistiquées, moins elles sont appliquées, et inversement. Au final, tout le monde se prend les pieds dedans, et les afficheurs peuvent faire ce qu’ils veulent. On est l’un des pays d’Europe avec le plus d’affichage sauvage. Il n’y en pas en Allemagne, et extrêmement peu en Hollande et en Belgique. 

En France, ce sont vraiment les entrées de villes qui ressemblent à des poubelles. Lorsqu’on a remis notre prix de la "France Moche", le maire de Migné-Auxances s’en est plaint en disant que les affichages n’étaient présents que sur 5% de son territoire. C’est peut-être vrai, mais c’est la partie de la ville qui la fait ressembler à une poubelle. Les entrées de ville sont un laisser-aller total en termes de pollution visuelle, il n’y a qu’à voir les photos que nous avons publiées.

Christian Giroud
Maire de Montalieu-Vercieu

Ce sont les mêmes que ceux qui ont fait les lois : c'est l'État, et donc les préfets. Il y a eu plusieurs lois qui sont qui se sont succédé au fil des années pour l'amélioration de visuels concernant les publicités, ce que nous ne remettons pas en cause. Pour l’instant, selon la loi, quand une commune n’a pas de règlement local de publicité, c'est l'État qui est compétent et qui se charge de donner les autorisations, de faire le contrôle et bien sûr de sanctionner.

Pour ce qui est du constat, je suis tout à fait d’accord sur les nécessités d’apporter des améliorations aux conditions de vie de nos concitoyens, et nous passons beaucoup de temps là-dessus. Il faut savoir qu'en France, les communes comme la nôtre n’ont pas à proprement parler de "zone commerciale", donc nous n’avons pas d'obligation de prendre cette réglementation. C’est donc à l’État, et aux préfets de départements de prendre en charge l'application de la loi, en délivrant notamment les autorisations d'enseignes de publicité et qui est chargée de de les contrôler.

Je ne mets pas en cause l'État, c’est juste pour expliquer le fonctionnement actuel. Je comprends aussi que localement, il y a tellement de choses à faire au niveau de l’État que des priorités sont données aux préfets par rapport à l'aménagement du territoire, et peut-être que l’affichage publicitaire n’en fait pas partie.

Christian Giroud
Maire de Montalieu-Vercieu

Malgré la méthode employée, est-ce que cette action ne fait pas quand même pas avancer le débat ?

Je ne pense pas qu’elle fasse avancer le débat, je crois surtout que l'association se trompe de méthode. Je connais d'autres associations environnementales qui ont une fonction préventive et pédagogique vis-à-vis des communes, en venant nous voir pour expliquer ce qui pose problème et en discuter avec nous pour le résoudre. Cette association-là cherche à faire le buzz : j'en prends pour preuve la présence de la ville du Havre (ville de l'ancien premier ministre Edouard Philippe, NDLR) dans la liste pour comprendre qu’il y a l’enjeu des élections présidentielles derrière ce classement.

J'ai échangé avec la mairie de Aubenas, qui avait eu le prix l’année dernière, et ils m’ont dit que ça n’a rien changé pour eux, mais la méthode reste inacceptable. Ce que je propose à l’association, c’est de venir faire un audit des communes et d'aider les préfectures pour faire revenir notre ville dans un cadre règlementaire.

Olivier Saladin
Paysages de France

Nous pensons que ce prix peut l’aider à améliorer la ville. C’est bien évidemment compliqué, mais ce que je trouve le plus dommage ce sont les panneaux publicitaires affichés. Cela étant, le prix est tombé sur cette ville, mais le problème concerne toutes les municipalités en France. 

Ce que nous voulons, c’est juste qu’ils fassent respecter la réglementation : les panneaux de 4 mètres par 3 scellés au sol, cela devrait être tout simplement interdit. Ce que je ne comprends pas, c’est que ce sont les mêmes maires qui se plaignent que leurs centres-villes soient dévitalisés, alors qu’ils ont laissé pousser des centres commerciaux tout autour de leurs villes. À Avignon par exemple, les espaces commerciaux ont de quoi accueillir une population de 500 000 habitants, alors qu’ils n’en n’ont que 120 000.