"Iron Tree", de Ai Weiwei, le 23 octobre 2013 à la Fiac, à Paris.
© FRANCOIS GUILLOT/AFP
Culture

Quel regard les artistes ont-ils porté sur la forêt au fil des siècles ?

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A l’occasion de l’exposition "Théodore Rousseau. La voix de la forêt", qui débute le 5 mars au Petit Palais, à Paris, ID remonte le fil de l’histoire de l’art pour mieux comprendre comment les représentations de la forêt ont évolué au fil des âges et des courants artistiques. Eclairage. 

Depuis l’Antiquité, la forêt n’a cessé de fasciner et d’inspirer les artistes, qui, selon les époques et les mouvements artistiques, l'ont peinte ou sculptée sous de multiples facettes. Retour sur ces différentes représentations avec Juliette Bessette, historienne de l’art contemporain, chercheuse associée au Centre André Chastel (Sorbonne Université) et au laboratoire TELEMMe (Aix-Marseille Université). 

A partir de quelle période retrouve-t-on des traces de paysages forestiers dans l’art ? 

Il existe des iconographiques décoratives de jardins arborés dans des fresques antiques, notamment celles de la villa Livia à Rome, mais jusqu’au Moyen-Âge les forêts sont des lieux de dangers qu’il ne s’agit pas de représenter de la même manière : au contraire, le jardin représente une nature maîtrisée par l’humain. Ce type de fresque offre une atmosphère propice au calme, voire à la méditation. En revanche, plus près de nous, cette fonction peut être assurée par des paysages forestiers après que les forêts sont elles-mêmes devenues des paysages domptés par l’humain. Par exemple, des fresques réalisées au XIXème siècle dans la bibliothèque Labrouste, à Paris, par Alexandre Desgoffe représentent des paysages arborés. Ces fresques sont placées dans de grands espaces en forme de lucarnes qui reprennent la forme des fenêtres, et donnent ainsi l’illusion que ce paysage, dont on perçoit principalement la cime des arbres, se trouve réellement à l’extérieur. Ce dispositif invite les lectrices et lecteurs à la divagation à partir des sources lues dans les livres de la bibliothèque. 

Fresques de verdure d'Alexandre Desgoffe dans la salle Labrouste, juin 2016.
© Olivier Ouadah - INHA

A partir de quel moment le paysage forestier n’est plus uniquement considéré comme un élément de décor ? 

Bien qu’ils ne soient pas le sujet unique des œuvres, il est difficile de systématiquement reléguer les végétaux forestiers à des éléments d’arrière-plan. Par les indications géographiques qu’ils fournissent ou par leur symbolique, ils font entièrement partie de la composition, de son harmonie et de la compréhension des scènes figurées, qui ne fonctionne pas sans eux. Cette hiérarchisation des plans est à penser en fonction de l’œil des regardeurs. Les lectures actuelles fournies par l’histoire de l’art en prise avec les enjeux environnementaux ne considèrent pas ces végétaux forestiers comme secondaires, même s’ils sont "placés" à l’arrière-plan. 

Pouvez-vous donner un exemple d’oeuvre ? 

Par exemple, dans La Chasse de nuit de Paolo Uccello (1470), à la Renaissance, peut-on vraiment dire que la forêt joue le rôle d’un élément de décor ? Elle me semble tout à fait centrale bien qu’elle ne soit pas le sujet unique de la scène représentée. À mes yeux, c’est avant tout une peinture de forêt. Ce changement de regard des historiennes et historiens de l’art à travers le temps me semble significatif pour replacer la science de l’analyse des images au sein d’une culture, aujourd’hui marquée pour beaucoup d’entre nous par une attention au vivant et à l’environnement. 

En quoi le romantisme au XIXème siècle marque-t-il un tournant dans la représentation de la forêt, notamment en France ? 

Théodore Rousseau, "Une avenue, forêt de l’Isle Adam", 1849, huile sur toile, 101×81,8 cm. Musée d’Orsay, Paris, France.
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Ce qui est significatif pour nous aujourd’hui, c’est l’attention portée par les peintres de l’École de Barbizon, comme Théodore Rousseau ou encore Camille Corot, à un environnement forestier exceptionnel en taille et en diversité, la forêt de Fontainebleau. Cette attention rendue par de nombreuses peintures a mené à des mesures concrètes de protection de cet environnement. Leurs prises de position pour la défense de la forêt mènent à un décret très précoce (1861) appelant à ce qu’on nommerait aujourd’hui des initiatives de conservation. Au XIXème siècle, suite à l’industrialisation, a lieu un tournant sanctionnant une réelle intrication entre le sujet représenté et sa réalité environnementale. 

Avec l’art contemporain, la forêt sort de la toile et prend vie à travers la sculpture. Comment expliquer ce changement de medium ?  

L’art contemporain est caractérisé par le recours à une très large diversité de médium, y compris dans les pratiques d’une seule ou d’un seul et même artiste. La forêt peut donc se révéler en trois dimensions (en sculpture), mais aussi dans une grande variété d’autres formats. On note des initiatives de création qui ne cherchent pas uniquement à représenter les arbres ou la forêt, mais à s’intégrer à leurs processus de vie : par exemple Giuseppe Penone lorsqu’il laisse l’empreinte d’un moulage en bronze de sa propre main dans le processus de croissance d’un arbre avec son oeuvre Trattenere 6, 8, 12 anni di crescita (Continuerà a crescere tranne che in quel punto, 2016), ou encore Eva Jospin qui révèle des forêts dans du carton, un matériau qui renvoie lui-même à la forêt et à la thématique de la déforestation.   

Surtout, avec l’art contemporain et dès les années 1970, les artistes sortent pour travailler directement dans les paysages, y compris la forêt. C’est le cas, par exemple, de Richard Long, dont certaines installations fonctionnent comme des traces de marches en forêt ou alentours, dont il collecte des matériaux trouvés sur place qu’il installe ensuite dans des lieux d’exposition (California Wood Circle, 1976). Dans ce type de pratique, c’est la distinction entre l’intérieur et à l’extérieur du musée qui est dissoute : la forêt n’est non plus représentée, mais présentée sous une forme issue de l’expérience de l’artiste dans le paysage. 

"California Wood Circle" (1976), Richard Long.
© (C) Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Philippe Migeat

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