À l’occasion du festival Orly en fête, le parc Georges Méliès voit fleurir ce week-end des fleurs d’un nouveau genre : ces Flowers of Change, faites de récup’ plastique, ont été fabriquées par des centaines d’Orlysiens de tous âges lors des ateliers organisés par l’association Art Science 21 depuis le mois de janvier. Entre poésie et écologie, rencontre avec l’artiste Pierre Estève à l’initiative du projet.
Un peu comme les dinosaures sont l’emblème du jurassique, les Flowers of Change sont des marqueurs de notre ère.
En quoi ces “fleurs du changement” sont-elles plus que de simples fleurs en plastique ?
Il y a une dimension écologique dans la notion de changement. Puisque ce sont des fleurs en plastique, elles incarnent ces enjeux, évidemment. Mais on vit aussi dans une époque de disruptions dans tous les domaines : technologique, démographique, climatique. En rassemblant des milliers de gens pour une exposition participative, on est déjà dans le changement, dans les réseaux humains, dans l’entraide, dans le faire-ensemble. À Orly, on a travaillé avec tout un panel de générations, des gens qui ne se seraient jamais parlé s’il n’y avait pas eu ce projet. Ça soulève un tas de questions qui dépassent le cadre du simple recyclage. Ce sont à la fois des fleurs du changement personnel mais aussi du changement de société. Un peu comme les dinosaures sont l’emblème du jurassique, les Flowers of Change sont des marqueurs de l’anthropocène, notre ère actuelle.
À la base, vous êtes un artiste sonore, très axé technologies. Là on est plutôt dans le low-tech ! Comment est né ce projet ?
J’utilise beaucoup les nouvelles technologies mais je suis fondamentalement un amoureux de la nature, depuis que je suis tout petit : j’ai été élevé dans des endroits assez sauvages, dans le sud de la France, je partais parfois tout seul pendant deux jours chercher des fossiles dès huit ans. L’origine du projet Flowers of Change remonte au moment où je travaillais sur des harpes et des orgues éoliens, des espèces d’ocarinas fabriqués en bouteilles en plastique qui se mettent à résonner avec le vent. Ça a été mon premier contact avec le plastique, d’abord musical. Puis en participant au festival Nowhere, inspiré du Burning Man, je me suis aperçu de l’intérêt du plastique en tant que matériau pour un artiste : ça permet de faire des choses en extérieur, parce que c’est très durable – c’est l’une de ses qualités mais aussi son plus gros défaut, donc je me suis amusé à lier les deux.
Comment fabrique-t-on une Flower of Change ?
Tout le plastique est d’abord collecté par les participants eux-mêmes, en aval du tri sélectif. Il y a quelques fois des tonnes de bouteilles ! Puis on organise des ateliers. Dès la première séance, on se met à fabriquer des fleurs. Et on échange, sur tout et n’importe quoi. On a un petit code pour pouvoir les identifier et à la fin de l’exposition, chaque participant récupère sa fleur. Les gens sont généralement contents de replanter les fleurs chez eux. Les écoles les gardent parfois pour en faire des expositions permanentes. Parce que bien entendu, on ne va pas générer du gâchis ou des détritus !
Poser des actes artistiques ou même politiques, parfois par envie de provocation, ça peut susciter des prises de conscience.
Certains artistes engagés réalisent parfois des œuvres contradictoires, comme Olafur Eliasson qui, en voulant interpeller sur le réchauffement climatique, a transporté un morceau de banquise à Paris, ce qui a une empreinte carbone énorme. Ce serait quoi pour vous un art vraiment durable ?
Tout n’est qu’une question de point de vue, ça dépend de nos intentions. Quelques personnes m’ont dit que je faisais l’apologie du plastique – c’est intéressant de pouvoir générer un échange entre les gens à travers une œuvre. La plupart du temps, les œuvres artistiques sont uniques, donc leur impact n’est pas si grand : transporter une banquise, ce n’est rien par rapport aux containers qui transitent tous les jours pour nous ramener des cochonneries de Chine ou des légumes bio d’Amérique du Sud ! Poser des actes artistiques ou même politiques, parfois par envie de provocation, ça peut susciter des prises de conscience.
Flowers of Change est une œuvre reproductible à l’infini et qui peut s’installer partout. C’est aussi une forme de recyclage de l’art lui-même, finalement ?
En cela on est très proche du fonctionnement de la nature. Je m’intéresse beaucoup au biomimétisme. Flowers reprend ces codes-là, ne serait-ce que parce qu’on est dans un écosystème global : les fleurs n’arrivent pas parachutées, elles sont le fruit du travail des gens sur un territoire donné. Aussi, au moment de l’exposition, on travaille sur la disposition des fleurs, en ayant conscience des perspectives, des points de vue, des juxtapositions. Ça permet d’ouvrir les yeux sur le contexte qui nous entoure, ça raconte une histoire différente à chaque fois.
Dans votre projet de “laboratoire pour repenser le monde”, Archipel 21, l’art est l’un des six piliers essentiels à l’émergence d’une société plus écologique et citoyenne. Pourquoi l’artiste doit-il s’intéresser à ces questions ?
Ce n’est pas qu’il doit. On peut, on peut ne pas. En ce moment par exemple, je travaille aussi dans une grotte avec des stalactites, pour créer un album, un film et une installation permanente. C’est totalement méditatif, il n’y a aucun enjeu de prise de conscience. Ce qui est intéressant chez un artiste, c’est sa potentielle liberté d’action et de regard. Léonard de Vinci ou Jules Verne ont eu une vision particulière sur le monde, et à certains moments cette vision entre en résonance avec la société. L’art est important parce qu’il permet une vision systémique, de réfléchir aussi bien à l’habitat qu’à l’alimentation, à la résilience, etc. Et comme en tant qu’artiste, on a l’habitude de se tromper, on ose des choses dans des domaines qu’on ne connaît pas et qu’on veut découvrir.
Quand on est déconnecté de la nature, on est les premiers à en souffrir…
C’est quoi la suite ?
Continuer les “floraisons” des Flowers of Change. L’an prochain, on devrait exposer à Nantes, à Mayotte. C’est un projet planétaire, je me donne dix ans pour qu’on fasse le tour du monde, qu’on aille sur des lieux emblématiques. Ça s’étale dans le temps parce que l’idée, c’est que les gens apprennent eux-mêmes, que certains deviennent des “fleuristes” aguerris qui puissent apprendre à d’autres. Depuis 2012, on a déjà fait participer presque 10 000 personnes en Ile-de-France, donc j’aimerais bien faire une exposition géante en les regroupant. On a de quoi faire 20 000 fleurs ! J’aimerais aussi travailler sur des fleurs participatives, plus grandes, où l’on utiliserait des centaines de bouteilles. Celles que je fais font parfois entre 4 et 6 mètres de haut, jusqu’à 2,5 mètres de diamètre. À plusieurs, on pourrait aller encore plus loin ! Et puis je développe un écosystème sonore créé seulement à partir de plastique et qui sera diffusé entre les fleurs, pour une immersion multisensorielle encore plus forte dans l’œuvre.
Vous allez donc continuer de travailler autour de ces thématiques, du rapport à la nature, à l’environnement…
Et à nous-mêmes surtout, finalement ! Parce que quand on est déconnecté de tout ça, on est les premiers à en souffrir. Nous ne sommes pas des sauveurs de la nature, c’est plutôt nous qui bénéficions de quelque chose qui fonctionne…
Flowers of Change
Exposition du 8 au 10 juin 2018
Parc Georges Méliès
99 avenue de la Victoire 94310 Orly
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