La troupe jouera ce dimanche après-midi lors du festival Migrant'Scène organisé par la Cimade, aux Grands Voisins (Paris 14e). Interview avec Marie Nore, responsable du développement chez Good Chance Theatre.
Comment est née l’idée de ce théâtre ?
L’association est née en 2015 par Joe Robertson et Joe Murphy, deux dramaturges anglais contre la fermeture des frontières face à l’afflux de migrants. Ils sont venus en France, à Calais, dans la Jungle, y apporter ce qu’ils savaient faire le mieux : du théâtre. Ils ont installé un dôme géodésique de 11 mètres de diamètre, avec une scène ouverte à tous. Au début ils y ont organisé quelques concerts, des soirées festives, des moments d’échange. Puis au fur et à mesure, des artistes sont venus et ont animé des ateliers de peinture, de chant…
L'art permet la résilience, il donne une capacité à surmonter les traumas.
Notre vocation est de promouvoir la liberté de parole et d’expression a travers le theatre et l’art. Ce lieu est pour les exiles un espace de partage. Du mardi au samedi, on monte une programmation d'ateliers artistiques pour les réfugiés avec un professionnel, qui forme un réseau d’artistes bénévoles. Le samedi, se tient un “Hope Show” auquel tout le monde est convié. C’est bien plus qu’une simple restitution d’ateliers : c’est une scène où l’on peut véhiculer les idées, les valeurs de chacun, un récit collectif des histoires individuelles. Les spectacles sont ouverts à tous et gratuits. On accueille entre 120 à 150 personnes dans un dôme, et jusqu’à 400-500 personnes lors des représentations sur d’autres événements.
La culture peut-elle vraiment changer quelque chose au sort des réfugiés ?
Nous sommes convaincus que l'art permet la résilience, il donne une capacité à surmonter les traumas. On a affaire à un public très fragile, sensible, des personnes qui ont parcouru des pays entiers, parfois à pied, qui se retrouvent ici face à un choc culturel, sans identité, sans toit, sans repères. Chez Good Chance, ils peuvent se sentir en sécurité, parler de leurs récits ou de leurs rêves, retrouver de l'estime de soi. On leur met à disposition des outils, de la peinture, du papier mâché, etc. Ils peuvent aussi simplement partager un repas. C’est vraiment une bulle de liberté, un endroit de solidarité, de diversité et de fraternité.
Pour aller plus loin dans notre démarche, et élargir l'accompagnement des migrants dans leur intégration sociale et culturelle, nous faisons également appel au tissu associatif local. On les oriente vers des structures existantes selon leurs besoins. On a une équipe de bénévoles qui se rend tous les matins dans des squats, porte de la Chapelle, porte d’Aubervilliers, etc. Et on cherche à travailler main dans la main avec les réfugiés eux-mêmes : par exemple, ce sont certains d'entre eux qui sont venus nous dire un jour “La femme d’untel voudrait venir mais elle a peur, l’espace est trop grand, trop bruyant.” Maintenant, nous avons aussi un plus petit dôme, rattaché au premier, plus intimiste, dans lequel les femmes peuvent parfois se retrouver entre elles et parler de sujets plus délicats.
Aujourd’hui vous êtes itinérants, comment choisissez-vous vos destinations ?
L’idée est de pouvoir déplacer nos dômes pour aller s’installer dans des zones d’urgence, des lieux qui font sens au regard du contexte de la crise migratoire actuelle. L’hiver dernier, on était à la Bulle, porte de la Chapelle à Paris, puis cet été dans le centre d’hébergement d’urgence Jean Quarré dans le 19e, les deux fois en partenariat avec Emmaüs Solidarité. En parallèle, on était présents pour la Journée mondiale des réfugiés le 20 juin, place de la République, avec tous nos bénévoles. Les réfugiés et demandeurs d’asile ont réalisé un grand spectacle. Puis cet automne, on a eu l’honneur d’investir l’esplanade du Musée national de l’histoire de l’immigration, pendant 5 semaines, dans le cadre du festival Welcome. Maintenant, on aimerait continuer nos activités à Paris mais aussi aller à Marseille, qui est un autre spot important de flux migratoires, et ailleurs en Europe – en Italie, en Grèce…
À chaque fois que vous quittez un endroit, vous ne laissez pas un vide ?
On estime que c’est une nécessité, que c’est notre devoir d’aller dans ces endroits. Le Good Chance Theatre se veut être un facilitateur à l'intégration des populations migrantes sur le territoire. C'est une action d'utilité sociale et solidaire. Donc une fois qu’on est passés, on laisse certes un vide physique, mais on a créé une communauté, du lien entre les réfugiés et la société civile. Toutes ces personnes peuvent aussi nous retrouver par la suite dans les autres lieux parisiens où l’on s’installe. Il y a une quinzaine de réfugiés qu’on avait rencontrés porte de la Chapelle qui revenaient tous les jours lorsqu’on s’était déplacés au centre Jean Quarré. Notre cœur d’activité, c’est d’être nomades.
À la différence des institutions culturelles, peut-être pas suffisamment “sur le terrain” ?
En plus des associations, on travaille aussi énormément avec des institutions ou d'autres établissements culturels, comme avec le Musée national de l’histoire de l’immigration, la Générale, le Shakirail ou encore le théâtre de la Commune à Aubervilliers. Ils nous permettent de nous reproduire et notamment de soutenir La Troupe – le noyau dur de réfugiés participants qui veulent se professionnaliser dans le théâtre. Après, le soutien est minime. La preuve : cette semaine on est en démantèlement et on ne sait pas où aller ensuite. Il y en a bien qui sont volontaires pour nous accueillir, comme le parc de la Villette, mais financièrement on n’a aucun moyen de s’installer. On a aussi reçu des dons de la Comédie française, de la Commune, de la Réserve des Arts, sur l’aspect logistique et matériel. Mais pour fonctionner, on a besoin d’autorisations, d’installer l’électricité et le chauffage, etc.
Je pense que quelques institutions culturelles ont conscience du contexte et tentent de multiplier les actions artistiques en direction des migrants – à la différence des institutions, nous sommes des acteurs de terrain. Nous avons le soutien de la presse, de nombreux politiques, cependant sans subventions ni aides françaises ou européennes, c’est peut-être bientôt la fin du Good Chance Theatre…
Migrant'Scène
Du 17 novembre au 9 décembre 2018 partout en France
Aux Grands Voisins : du 21 au 25 novembre 2018
La troupe Good Chance Theatre y joue le dimanche 25 à 15h30.
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