Distribution d'une AMAP, France, 2020
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L’alimentation locale est-elle gage de durabilité ?

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Dans l’imaginaire collectif, les termes "local" et "durable" sont perçus comme allant de pair. Pourtant, entre l'impact limité de la réduction du transport sur l’empreinte carbone du système alimentaire et une agriculture de proximité rarement écologique, la réalité semble plus nuancée. Alors, le local est-il vraiment durable ? Décryptage.

Commençons par le commencement : l’alimentation locale, qu'est-ce que c'est ? Une question d'apparence simple à laquelle il n'est pas si aisé de fournir une réponse. Le "local" ne fait l’objet d’aucune définition stricte. Globalement, elle désigne une alimentation produite à proximité du lieu où elle est consommée. Cependant, il n'existe pas de consensus sur la distance précise de cette proximité géographique ; elle commence au potager du jardin pour s’arrêter… où bon nous semble. Si pour certains, une alimentation locale se limite à une production départementale, pour d'autres, elle englobera tout un pays.

Le local permet de réduire les émissions de CO2 liées au transport : Vrai et Faux 

Le secteur des transports contribue à hauteur de 19 % de l'empreinte carbone du système alimentaire. Cette composante englobe le transport des marchandises, représentant 13,5 % de l'empreinte carbone totale du système alimentaire, ainsi que les déplacements effectués par les ménages pour leurs achats alimentaires et la restauration hors domicile, constituant 5 %. La réduction des transports se présente donc comme un levier efficace pour atténuer l'empreinte carbone des systèmes alimentaires.

Bien que privilégier une consommation locale puisse contribuer à réduire les distances parcourues par les denrées alimentaires, cette approche a ses limites. Jeanne Pahun, chercheuse à l’Inrae (l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), spécialisée dans la régulation publique du système alimentaire, souligne pour ID : "Il est communément associé au fait de consommer local une diminution de l'empreinte carbone des transports. Cependant, les achats en gros, effectués dans les supermarchés, bénéficient souvent d'un transport extrêmement efficace et massifié, ce qui peut conduire à un bilan carbone de déplacement relativement bas. En revanche, se rendre chez chaque producteur ou dans un marché dans lequel les producteurs se déplacent individuellement avec leur propre camionnette peut entraîner une multiplication des petits déplacements, entraînant parfois une augmentation du bilan carbone lié aux transports."

Le local garantit des techniques de production durable : complètement faux 

Ce n’est pas parce qu’une denrée alimentaire est produite proche de chez nous qu’elle est plus vertueuse d’un point de vue environnemental - Jeanne Pahun, chercheuse en Science Politique à l'Inrae.

Bien avant le transport, le principal contributeur aux émissions de gaz à effet de serre (GES) du système alimentaire est la production agricole, représentant les deux tiers de l'empreinte carbone totale de ce secteur. Un lourd bilan, largement imputable à l'élevage et aux pratiques agricoles. Pour tendre vers un système alimentaire plus durable, ces deux aspects doivent donc être ciblés en priorité.

Cependant, avec plus de 90 % des terres cultivées établies en conventionnel, Jeanne Pahun rappelle que "ce n’est pas parce qu’une denrée alimentaire est produite proche de chez nous qu’elle est plus vertueuse d’un point de vue environnemental". Par ailleurs, pour être authentiquement durable, l'agriculture doit non seulement être écologiquement viable, mais également garantir une rentabilité économique et favoriser le bien-être social. Or, "un produit local peut engendrer des pratiques problématiques, que ce soit en termes de méthodes de production, de transport, de rémunération des agriculteurs ou agricultrices, ou de l'exploitation de main-d'œuvre étrangère dans des conditions salariales parfois illégales."

Le cas du cochon breton

La Bretagne est la première région française de production porcine. En 2018, elle comptait 5 300 exploitations avec un cheptel estimé à 7,6 millions de bêtes. Un produit local et durable ? Pas vraiment.

  • Un porc 100 % français, vraiment ? Ces cochons sont nés, élevés et abattus en France. Pour autant, ils sont nourris avec du soja importé d’Amérique du Sud, une culture destructrice des écosystèmes forestiers et utilisant massivement les OGM, substances interdites en France. 
  • 95 % des porcs sont élevés dans des espaces fermés, entassés les uns sur les autres, bourrés d’antibiotiques, sans jamais voir la lumière du jour. 
  • La haute concentration de porcs génère des tonnes de lisier que la terre ne peut absorber, provoquant son ruissellement dans les écosystèmes aquatiques. Après quoi, les algues vertes s’en nourrissent et prolifèrent. Le problème ? Ces algues deviennent invasives, occupent tout l’espace et tuent les espèces qui les entourent. Elles finissent par s’échouer sur les plages bretonnes où, en pourrissant, elles libèrent du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz qui peut s’avérer mortel lorsqu'il est très concentré. Depuis les années 90, plusieurs décès suspects ont été recensés à proximité d’algues vertes sur le littoral breton.

Un aliment produit à l'autre bout du monde ne sera jamais durable : Faux 

Café, thé ou chocolat, certaines denrées incontournables de notre quotidien ne peuvent être produites en France, ou de manière très marginale. Renoncer à ces produits est envisageable, mais entraînerait, selon Jeanne Pahun, des "transformations drastiques dans notre alimentation."

A l'instar des produits labellisés commerce équitable, des aliments importés de loin peuvent être cultivés de manière durable. À l'origine conçu pour soutenir les producteurs du Sud, le commerce équitable assure au consommateur l'achat « d'un produit à un prix garantissant au producteur une juste rémunération de son travail, dans un cadre social et environnemental (ainsi mieux) préservé », selon le gouvernement. Giulia, membre de l’Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) 4 Chemins à Pantin en Seine-Saint-Denis, partage cette perspective et confie à ID : "Dans notre Amap, nous avons un partenariat de café avec des Zapatistes au Mexique. Une production qui n’est donc pas locale, mais qui est vertueuse. Choisir ce partenaire revêt aussi une dimension politique, l’idée de soutenir la lutte pour la terre des agriculteurs mexicains, d’aider des communautés qui se font souvent exproprier leurs terres."

Le local peut être un outil au service de la durabilité : Vrai 

Assortie de conditions de production vertueuses pour l'environnement ou la santé, l’alimentation locale peut devenir un outil au service de la durabilité. Cela est d’autant plus vrai lorsqu'elle "amène les citoyens et citoyennes à se fédérer et réfléchir au système alimentaire dans lequel ils s’inscrivent", assure Jeanne Pahun.

Montrer qu'il est possible de produire et d'échanger autrement" - Nicolas Bricas, économiste

"Quand on se tourne vers les Amap, par exemple" avance la chercheuse, "on a un engagement assez fort avec les producteurs, on partage quelque chose avec eux qui fait qu'on comprend mieux les conditions de production, les aléas climatiques, les catastrophes climatiques, etc. Ce qui peut, je pense, amener à une transformation à la fois de ses pratiques individuelles et, potentiellement, du système."

Giulia témoigne : "La démarche de l’Amap, c'est de s’insérer dans une démarche vertueuse qui consiste à manger des aliments bénéfiques pour soi et la planète, mais aussi à aider des producteurs à sortir du système de la grande production, qui ne fait du bien ni aux producteurs ni à nous. Par exemple, notre maraîcher, qui s’est installé il y a peu de temps, nous le soutenons s'il a des soucis."

Ces initiatives et bien d’autres, comme les "sécurités sociales de l’alimentation", ont le mérite de "montrer qu'il est possible de produire et d'échanger autrement", décrit Nicolas Bricas, économiste spécialiste des systèmes agricoles et alimentaires. Il avance tout de même qu'en dehors de ces initiatives, "il faut qu’à un moment donné, il y ait un levier politique qui transforme véritablement le cœur et la majorité du système."

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