Chaque année en France, 30 millions de canards et 280 000 oies sont gavés pour produire l'incontournable des fêtes de fin d’année : le foie gras. Pourtant, le gavage, technique d’élevage traditionnelle pour la production de ce produit de luxe, soulève des interrogations croissantes. Face à ce constat, quelques éleveurs et éleveuses cherchent à s'adapter en explorant d’autres manières de faire, plus respectueuses du bien-être animal. Encourageantes, ces innovations ont néanmoins un coût élevé et sont peu soutenues par la législation française.
La réalité du gavage
Comme son nom l’indique, le foie gras est une spécialité culinaire élaborée à base de foie d’oie ou de canard. Toutefois, il ne s'agit pas d'un foie ordinaire : celui-ci est artificiellement engraissé par le gavage, une pratique consistant à suralimenter de force les volailles en leur faisant ingérer d'importantes quantités de nourriture à l’aide d’un tuyau métallique, l’embuc, enfoncé dans leur œsophage.
Pendant la période de gavage, qui s’étend sur une dizaine de jours, les canards sont généralement gavés deux fois par jour et les oies trois. À chaque session - qui peut durer de 45 secondes à 3 minutes selon les types d’exploitation - entre 450 grammes et 1 kg de nourriture sont propulsés dans le corps de l’oiseau. Bien que la violence du gavage varie en fonction du modèle de la ferme, l'ensemble du processus est fortement critiqué, notamment par les associations de défense des animaux.
cette croissance anormalement rapide entraîne, pendant la période de gavage, une mortalité de 7 à 20 fois plus élevée que chez les oiseaux non gavés - L.214
La suralimentation des oies et des canards conduit au développement d'une maladie appelée stéatite hépatique, une hypertrophie du foie dont la taille peut alors être multipliée par 10. L'association de défense du bien-être animal, L.214, souligne que "cette croissance anormalement rapide entraîne, pendant la période de gavage, une mortalité de 7 à 20 fois plus élevée que chez les oiseaux non gavés".
Du côté du droit, l’article 14 de l'annexe de la directive européenne 98/58/CE stipule que les animaux d'élevage doivent "recevoir une alimentation saine, adaptée à leur âge et à leur espèce, et qui leur est fournie en quantité suffisante pour les maintenir en bonne santé". Ainsi, aucun animal ne doit être alimenté de manière à causer "des souffrances ou des dommages inutiles". Bien que le gavage semble contrevenir au droit européen, les États membres producteurs de foie gras, la France en tête, font partie des rares pays de l’Union à ne pas avoir banni cette pratique.
Se passer du gavage : reproduire une sur-alimentation spontanée
Face à la prise de conscience croissante de la société civile sur la réalité du gavage et à un désir accru de respecter le bien-être de leurs bêtes, ils sont quelques éleveurs et éleveuses à expérimenter des méthodes de production du foie gras alternatif au gavage. L’idée principale de ces techniques innovantes ? Favoriser une sur-alimentation spontanée des animaux, observable chez les oies sauvages à l'approche de leur période de migration.
Lors de sa migration, l'oie sauvage parcourt des milliers de kilomètres sans s’arrêter, un périple rendu possible grâce à une suralimentation naturelle avant son départ. Pour éviter de passer par la case gavage, certains éleveurs ont fait le pari de reproduire cet instinct d'accumulation. C'est le cas d'Alice Meyer, exploitante agricole dans le Grand Est, au nord du Bas-Rhin. Elle explique à France Bleu Grand Est qu'elle nourrit ses oies avec des aliments riches tels que le maïs, le blé, le soja, mais aussi du pain trempé dans du miel et des raisins secs. Gourmandes, les oies se suralimentent d’elles-mêmes. Ce processus permet d'induire une croissance conséquente du foie des oiseaux, bien que de moindre ampleur par rapport au gavage. "Mon objectif est d'atteindre les 400-500 grammes, alors qu'avec le gavage, on peut obtenir des foies à 1 kilo, voire 1,2 kilo", confie Alice. Un objectif qui privilégie l’éthique à la quantité.
En parallèle, la start-up Aviwell a mis au point une technique visant à reproduire la suralimentation spontanée des oies en introduisant dans les biberons des oisillons des bactéries intestinales favorisant le stockage de gras. Une fois l’âge adulte atteint, les oies se suralimentent elles-mêmes.
Produire du foie gras sans recourir au gavage demande plus de temps que la méthode traditionnelle. Cette adaptation temporelle, associée au fait que les foies obtenus sans gavage sont systématiquement de taille plus réduite que ceux issus du gavage, conduit à la création de produits plus éthiques, certes, mais aussi plus coûteux. Leur prix est généralement trois fois supérieur à celui d'un foie gras classique, un mets déjà considéré comme "luxueux".
Une pratique plus éthique qui peine à être reconnue
Les éleveurs qui s'engagent à abandonner le gavage éprouvent des difficultés à voir leur activité et leur engagement reconnus. Selon le Code rural et de la pêche maritime, le foie gras est défini comme "le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage". Il est donc impossible pour les producteurs qui renoncent au gavage d'obtenir le label "foie gras", une appellation pourtant "extrêmement valorisante aux yeux des consommateurs", selon la fondation Droit Animal, Ethique et Science. Cette définition, qui entrave une transition du secteur vers des pratiques plus éthiques, contrevient également au droit européen qui, rappelons-le, bannit les techniques agricoles engendrant des "souffrances ou des dommages inutiles".
Du côté du droit européen, la définition réglementaire du foie gras repose sur un autre critère : son poids. Afin d'être considéré comme "gras", un foie de canard ou d'oie doit respectivement peser au moins 300 ou 400 grammes, des seuils difficiles à atteindre pour des foies obtenus sans recourir au gavage.
En définitive, consommer un foie gras sans gavage, c’est possible ? Même si celui-ci ne pourra pas officiellement porter ce nom, c'est envisageable. Cependant, cela impliquera un coût loin d’être accessible à toutes et tous, ou, au moins, la concession de réduire sa consommation. Pour une alternative durable, respectueuse du bien-être animal et économique, il est également possible de se tourner vers le faux gras, version végane du foie gras. Bien que beaucoup moins onéreux qu'un vrai foie gras, ce dernier peine toutefois à imiter l’original.
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