"Aujourd'hui, les ruralités ne peuvent plus être pensées comme un espace uniforme, résiduel, forcément en marge des dynamiques de développement et en situation de dépendance vis-à-vis de l'urbain", relève le premier rapport du Conseil scientifique de France ruralités (CSFR).
Créé en août 2023, cet organisme qui associe 19 chercheurs de tous horizons se veut un lieu de débat scientifique sur le monde rural afin d'éclairer l'action publique. Selon l'Insee, les espaces ruraux représentent 88% du territoire français et 33% de la population.
"Nous sommes partis des idées reçues qui continuent de peser dans nos imaginaires et sur les décisions politiques pour montrer que les choses sont beaucoup plus compliquées qu'on ne pense", a expliqué à l'AFP Monique Poulot, professeure de géographie émérite et présidente du conseil scientifique.
Cette approche centrée sur la fragilité des espaces ruraux a conduit à des politiques de rattrapage sans fixer de cap.
Les auteurs invitent ainsi à "sortir d'une vision homogène" des territoires ruraux, en montrant notamment que le monde rural "n'est plus le monde agricole", les agriculteurs ne représentant plus que 1% à 15% des ruraux.
"Les campagnes françaises ont d'abord été réduites à leur fonction agricole avant que ne s'impose, sous l'effet de l'urbanisation et de la métropolisation, une lecture où l'urbain est devenu le prisme dominant des politiques d'aménagement", retracent-ils.
Certains territoires connaissent ainsi une "forte attractivité", tirée par "des dynamiques résidentielles et économiques", notamment l'industrie ou le tourisme, quand d'autres restent confrontés à des "phénomènes de déprise".
La représentation du monde rural oscille par ailleurs entre une vision "romantique" et "idéalisée" véhiculée après Mai 68, et une perception "misérabiliste", qui en fait des espaces de relégation. Cette dernière, popularisée par l'essayiste Christophe Guilluy et son concept de "France périphérique", est jugée "caricaturale et homogénéisante" en ce qu'elle "gomme la pluralité des ruralités" et oppose indistinctement villes et campagnes.
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"Ruissellement"
"Les grandes villes cumulent souvent concentration de richesses et surreprésentation des ménages pauvres", remarque ainsi l'économiste Pascal Chauchefoin.
Depuis une cinquantaine d'années, le couple villes-campagnes a été "pensé au bénéfice de la ville et plus encore de la métropolisation à partir des années 2000", avec l'idée que les grandes métropoles "vont organiser le territoire et que la création de richesses bénéficiera par ruissellement à tous les territoires", rappelle Mme Poulot.
Signe que la ruralité n'est pensée qu'à travers le "prisme urbain", l'adoption d'un découpage territorial en "aires urbaines" puis en "aires d'attraction des villes" a même "fait disparaître" pendant un temps le rural de la statistique officielle.
Cette catégorisation a eu "des effets directs sur l'action publique, en contribuant à minorer la place des ruralités dans les priorités d'aménagement", et en "les reléguant au second plan des politiques territoriales", souligne le rapport.
Si beaucoup de services publics ont été fermés en vingt ans en milieu rural, les politiques de "rattrapage", comme la création des Maisons France services, n'ont pas suffi selon les auteurs "à enrayer l'aggravation des inégalités territoriales ni à répondre pleinement aux attentes des populations", comme l'a montré la crise des "gilets jaunes".
"Cette approche centrée sur la fragilité des espaces ruraux a conduit à des politiques de rattrapage sans fixer de cap", analyse Mme Poulot, prônant "un retour de l'aménagement du territoire".
Plutôt que d'envisager les espaces ruraux "uniquement comme des espaces en manque d'emplois, de services, ou de mobilités", le rapport invite ainsi "à reconnaître leurs spécificités, leurs atouts et leurs dynamiques propres".
De fait, ces territoires jouent un rôle clé à l'heure de la transition écologique puisqu'ils abritent "l'essentiel des espaces naturels et agricoles du pays", soulignent les auteurs, qui invitent les pouvoirs publics à "changer de regard" et à "valoriser les complémentarités entre villes et campagnes".
Avec AFP.