L’UE s'est engagée l’année dernière à investir plus de 45 milliards d'euros dans le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie) d'ici 2027, avec un accent particulier mis sur les minerais dits « essentiels ». Cet investissement sera probablement crucial pour sécuriser l'approvisionnement en matières premières critiques, nécessaires dans la production de batteries mais aussi pour la plupart des équipements de technologies décarbonées.
Les Etats-Unis ont eux aussi montré leur intérêt pour la région avec l’annonce du président Biden, qui a promis des fonds de la Banque interaméricaine de développement lors du sommet « American Partnership for Prosperity ». Il a de même signé un accord avec l'Argentine pour faciliter la collaboration sur les minerais critiques au sein du groupe « partenariat pour la sécurité des minéraux (MSP) » dirigé par les États-Unis. La Chine, investisseur le plus significatif en Amérique du Sud, a quant à elle déjà démontré son omniprésence dans la région avec par exemple l’inauguration récente d’un nouveau port à Lima, où elle a investi près de $1.3 milliard, ou encore le nombre de permis miniers accordés à des sociétés chinoises dans les pays du Mercosur.
Un enjeu de souveraineté énergétique
Ce nouveau traité pourrait favoriser et sécuriser l’exploration, l’exploitation et l’export des matières primaires indispensables pour les technologies de transition énergétique. Rappelons qu’un dixième de la capacité mondiale de lithium est hébergé en Argentine.
De plus faibles tarifs douaniers, voire des coupes de droits de douane sur ces matières premières (lithium, tantale, niobium, gallium et sélénium) pourraient faire bénéficier l’Europe d’une baisse des prix des matières importées et donc d’une compétitivité renforcée.
Le Brésil dispose de presque 90 % de la capacité pour le traitement de niobium nécessaire pour fabriquer de l’acier à haute résistance et des superalliages pour les transports et les infrastructures ou des condensateurs (stockage énergie) et des aimants supraconducteurs (appareils de haute technologie). De même, l’UE source 13 % du graphite naturel, qu’elle traite depuis le Brésil utilisé dans la production de batteries et de l’acier (dans les réfractaires). Notons que le Mercosur n’inclut pas d’autres pays riches en matières critiques comme le Chili.
De plus faibles tarifs douaniers, voire des coupes de droits de douane sur ces matières premières (lithium, tantale, niobium, gallium et sélénium) pourraient faire bénéficier l’Europe d’une baisse des prix des matières importées et donc d’une compétitivité renforcée.
En vue de renforcer l’activité locale dans les pays du Mercosur, l'accord déploie de fortes incitations pour les investissements directs dans leurs industries locales.
De plus, la disparition de l’« escalade tarifaire » (tarifs plus élevés sur les produits les plus sujets à transformation) et donc de tarifs réduits sur les matières transformées pourrait mener à une augmentation des exportations et à développer la production locale de produits à valeur ajoutée, conjointement avec des entreprises européennes. L’accord, en effet, ne prévoit pas de prix minimum ni d’exigence restrictive en termes de tarification, et pas non plus de monopole d’exportation.
C’est un tournant majeur qui peut contribuer à sécuriser la chaîne d’approvisionnement et à améliorer la résilience européenne face à une concurrence chinoise massive sur le segment des véhicules électriques. Elle développe par exemple une politique de livraison de véhicules à bas prix vers le Brésil et le Mexique, et établit des centres locaux de recherche et développement.
Un stimulant commercial responsable
En vue de renforcer l’activité locale dans les pays du Mercosur, l'accord déploie de fortes incitations pour les investissements directs dans leurs industries locales. Les entreprises de l'UE ont dès lors le droit de s’établir dans la région sans aucune discrimination règlementaire. Tous les acteurs, notamment dans l’industrie automobile, seront obligés d’investir directement. Qui plus est, le traité donne des garanties précieuses, y compris aux sociétés moins consolidées pour lesquelles ces opérations peuvent être plus sensibles, étant donné que cet accord devrait compléter utilement les dispositifs de protection déjà mis en place par les traités bilatéraux préexistants.
Il sera utile d’examiner l’évaluation des avantages économiques de l’accès au marché Mercosur, qui devrait être publiée sous peu.
Tout ceci sans sacrifier les politiques de l’Union en matière de développement durable. Car si l’accord avec le Mercosur fait suite à 25 ans de négociations, la France ayant longtemps freiné les négociations pour raisons environnementales et agricoles, l’accord signé encourage des normes RSE et encourage les entreprises à respecter les législations environnementales propres à chaque pays impliqué. On ne peut que se réjouir de la prise en compte de ces critères, à l’heure où la Chine représente un partenaire peu sensible à ces considérations, et susceptible d’encourager des transactions certes plus attractives à court terme mais également plus dommageables sur le plan écologique.
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Le Mercosur peut constituer pour l'Europe une opportunité unique de sécuriser ces matières premières critiques et de protéger sa souveraineté énergétique et donc les outils de sa transition, notamment pour ce qui touche aux industries digitales et automobiles. L’accord est un gage de sécurité juridique pour l’implantation des entreprises européennes dans cette région, et favorise les projets ambitieux en assurant une visibilité à long terme. Les critiques autour du traité doivent impérativement tenir compte de ces avantages, qui concourent à l’impératif de transitions. Il sera utile d’examiner l’évaluation des avantages économiques de l’accès au marché Mercosur, qui devrait être publiée sous peu.
Par Boris Martor, avocat associé chez Bird & Bird