Olivier Jandot, "Les délices du feu, l’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne", 2017, Champ Vallon.
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Entretiens

De l’Ancien Régime à nos jours : comment l’homme s’est-il adapté au froid à travers l’histoire ?

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Comment passait-on l’hiver sous l’Ancien Régime ? Quels rapports les sociétés anciennes entretenaient-elles avec le climat ? Quelles leçons peut-on en tirer aujourd’hui ? Eléments de réponse avec Olivier Jandot, historien et auteur de "Les délices du feu, l’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne" (2017, Champ Vallon).

Des écrivains qui ne peuvent pas finir leurs lettres parce que l’encre gèle au bout de leur plume, des nourrissons qui gèlent dans leurs berceaux...ces quelques anecdotes témoignent de la dureté des hivers passés mais aussi de l’évolution de notre rapport au froid. Dans Les délices du feu, l’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne, l’historien Olivier Jandot documente cette histoire riche d’enseignements. Entretien.  

Dans votre livre, vous vous intéressez à la question du chauffage en France, à travers les âges. Comment se chauffe-t-on au XVIIIème siècle ? 

En France, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, il y a la cheminée mais celle-ci chauffe très mal. Une phrase revient souvent : “on se brûle la face et on se gèle les talons”. Par ailleurs, la cheminée pose un problème que nous redécouvrons aujourd’hui : pour qu’elle chauffe, il faut un apport d’énergie. À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’accès à l’énergie commence à être plus complexe, parce que les besoins en bois explosent, les prix augmentent, et toute une partie de la population n’a plus de moyens. Une réflexion va alors se mettre en place pour inventer un moyen de chauffer qui soit à la fois efficace et économique. La notion d’économie d’énergie apparait à ce moment-là. 

19°C, il y a cinquante ans, cela faisait rêver tout le monde, on a oublié ce que c’était que de vivre dans des intérieurs mal chauffés" 

À partir des années 1750-60, on se pose donc la question des performances énergétiques. On va avoir des données chiffrées et des préconisations de médecins ou d’ingénieurs qui vantent les performances de leurs appareils. On trouve par exemple des mentions du type "mon appareil de chauffage permet d’atteindre 15°C un jour d’hiver très froid, une température extrêmement agréable !". Le discours hygiéniste se développe au même moment, et les médecins considèrent qu’entre 12 et 15°C en intérieur, on est dans une température tout à fait confortable et satisfaisante. Mais ça reste un idéal, qu’on n’atteint rarement, à cause d’un manque total d’isolation dans les constructions. 

Le XIXème siècle marque un tournant dans les techniques de chauffage grâce aux progrès techniques... 

Le marché est à ce moment-là inondé par le poêle en fonte, comme celui de Gaudin, en 1840. Arrivent aussi les calorifères, de grosses chaudières au sous-sol, et plus tard le chauffage central à eau chaude. Ce sont des systèmes qui permettent d’atteindre des températures intérieures beaucoup plus élevées qu’auparavant. Jusqu’au début du XXe siècle, les températures recommandées sont autour de 12-15°C, en rappelant que généralement on est beaucoup plus couverts en intérieur qu’aujourd’hui. Au fur et à mesure, la norme augmente, jusqu’à 20°C après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de croissance économique et d’abondance énergétique. Avec les premiers chocs pétroliers dans les années 1970, pour des questions d’économies d’énergie, apparait un discours visant à baisser le chauffage, entre 19 et 20°C. On en arrive enfin à la situation d’aujourd’hui où quand on demande de baisser le chauffage d’un degré on provoque un psychodrame national ! Alors que 19°C il y a cinquante ans, cela faisait rêver tout le monde, on a oublié ce que c’était que de vivre dans des intérieurs mal chauffés. 

Comment peut-on appréhender les implications du changement climatique dans le quotidien des individus de ces sociétés anciennes ? 

La question qui se pose c’est celle de l’adaptation d’une société à un évènement climatique. Cette question se pose en termes de vulnérabilité. Les sociétés anciennes sont beaucoup plus vulnérables que les nôtres à ces évènements climatiques parce que les moyens techniques et la culture matérielle ne permettaient pas d’affronter une vague de froid. Concrètement, huit jours à – 10°C aujourd’hui ça ne provoque pas les mêmes effets qu’en 1709 [NDLR : un des hivers les plus rudes en Europe, grandement documenté par les historiens]. 

Les réflexions sur l’impact de l’homme sur le climat remontent à la conquête de l’Amérique. Dès cette époque, on se pose la question des conséquences de la déforestation !" 

De plus, le froid a la capacité de bloquer complètement la société. Les approvisionnements en bois se font essentiellement par voie d’eau. Dès qu’il fait très froid les communications sont bloquées parce que les rivières sont gelées. Et donc les prix augmentent, les plus pauvres n’arrivent plus à se chauffer, ils sont obligés de vendre leurs maigres biens pour du bois, certains en arrivent même à brûler leurs meubles pour alimenter la cheminée. Et le froid impacte aussi les corps.  

Dès le XVIIIème siècle, des intellectuels commencent à penser l’implication de l’homme sur la nature et son environnement. 

Les historiens Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher montrent dans Les Révoltés du Ciel (2020, Seuil) que les réflexions sur l’impact de l’homme sur le climat remontent à la conquête de l’Amérique. Dès cette époque, on se pose la question des conséquences de la déforestation ! Leurs théories sont aujourd’hui invalidées scientifiquement, mais en tout cas il y a une réflexion. Arago, grand scientifique du début du XIXe siècle, constitue des catalogues d’hiver et d’été pour voir si la Terre se réchauffe ou se refroidit par exemple. Il y a donc une réflexion assez ancienne sur les interactions entre les hommes et le climat. 

A notre époque, le plus grand défi devient le chaud, plus que le froid. Comment cette bascule s’est opérée ? 

Affronter l’hiver, qui est globalement moins froid, n’est plus un défi aujourd’hui. Mais il soulève d’autres questions : les émissions de CO2 rejetées par les appareils de chauffage, et l’utilisation massive d’énergies non-renouvelables. L’historien Lucien Febvre a une expression quand il compare les hommes de la Renaissance et ceux de son époque dans les années 1940 : "ils étaient les hommes de plein vent, et nous sommes des hommes de serre". Nous avons créé autour de nous des microclimats, qui font qu’on peut vivre à 20°C quasiment toute l’année. On a pris l’habitude de vivre dans des ambiances artificielles, et on a eu tendance à oublier que pour cela il fallait de l’énergie. 

Il faut complètement réimaginer nos manières de construire, de nous déplacer... C’est vraiment une réadaptation de toute la société". 

Le vrai combat, c’est effectivement la lutte contre la chaleur. Dans la majorité du territoire français, la chaleur a été une non-question pendant des siècles. C’était ce qui permettait de faire pousser le blé et d’avoir de belles vendanges. Ce n’est que récemment que les fortes chaleurs sont devenues un problème d’ordre social et politique en Europe. Les prévisions des températures en France estiment un réchauffement de 4 à 5°C [NDLR : d’ici à 2100, selon Météo France] ! Les canicules seront bien plus intenses. Cela nécessite vraiment une adaptation de toute la société. 

Il faudrait déjà repenser les bâtis, s’inspirer de l’architecture traditionnelle méditerranéenne par exemple, avec des murs épais pour l’isolation et l’inertie thermique. Une école en France au mois de juin, c’est invivable ! Parce qu’elles ont été construites dans les années 1960, quand on ne se posait pas ces questions. 

Le progrès technique peut-il à lui seul nous permettre de conserver notre confort à l’heure de la crise climatique ? Ou au contraire, est-ce ce confort qu’il faut reconsidérer ? 

L’histoire montre que le confort est une construction sociale, historique, et donc que la norme est susceptible d’évoluer. Bien sûr on ne peut pas demander aux foyers de se chauffer à 10°C, mais on peut réfléchir sur des pratiques que l’on considère comme des automatismes. Quand on baisse la température d’un degré chez soi, il y a un effet porte-monnaie qui est un énorme levier dans le changement des pratiques. On le sait tous maintenant, 1°C en moins c’est 7 % d’économie d’énergie [NDLR : Selon l’Agence de la transition écologique ADEME].  

Même si la technique permet d’améliorer nos conditions, avec des appareils de chauffage plus économes, une meilleure isolation des maisons, il y a une donnée qu’on ne pourra jamais modifier : la quantité d’énergie disponible sur la planète est limitée et s’épuise. C’est un problème très complexe, et il y a plein de leviers pour aller vers un monde plus sobre en énergies. Cela ne peut pas passer uniquement par des solutions techniques, cela doit passer aussi par une remise en cause de nos habitudes et de nos comportements. Il faut complètement réimaginer nos manières de construire, de nous déplacer… C’est vraiment une réadaptation de toute la société. 

 

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