Après plusieurs années de galère, Nasser fait partie des 80 personnes "en grande précarité" que le projet LinkedOut, du nom de l'Imoca de Thomas Ruyant, vise à réinsérer sur le marché de l'emploi d'ici la fin de la course.
"Si on peut mettre un peu d'éthique dans ces bateaux qui coûtent hyper cher, c'est génial", lance Nasser Cherrour, 59 ans, ancien postier en parcours de réinsertion, lors d'une navigation à Lorient avec le skipper Thomas Ruyant, avant le départ du Vendée Globe. "Il y a eu la séparation avec ma femme, puis le licenciement. Petit à petit je me suis isolé et j'ai tout perdu, jusqu'à mon identité", témoigne le Marocain, installé en France depuis 30 ans, qui aimerait devenir cuisinier.
À l'origine du projet LinkedOut, la rencontre entre le skipper nordiste Thomas Ruyant, l'association Entourage, qui aide les personnes à la rue à recréer du lien social, et l'entreprise de cybersécurité Advens (200 salariés, 25 millions d'euros de chiffre d'affaires). "Comme pour mon précédent Vendée Globe, j'avais cette grosse envie d'un projet utile, car je suis convaincu que le monde du sport doit jouer un rôle sociétal", assure le navigateur de 39 ans, l'un des favoris de la course avec son monocoque flambant neuf, équipé de foils dernier cri, qui a coûté entre 5,5 et 7,5 millions d'euros.
On se sert du bateau comme caisse de résonance médiatique pour mobiliser le grand public sur la cause de l'inclusion", explique Jean-Marc Potdevin, fondateur d'Entourage.
L'idée étant de donner de la visibilité au réseau social LinkedOut, le "réseau de ceux qui n'en ont pas", à qui la multinationale LinkedIn prête sa marque, sur lequel sont postés les CV retravaillés des candidats. "Six millions de Français ont zéro réseau. On essaye de remettre en lien ces personnes parce que c'est dans le regard de l'autre qu'on se construit, et on utilise la puissance des réseaux sociaux pour créer des opportunités d'emploi", poursuit M. Potdevin, un entrepreneur qui a fait fortune dans l'internet avant de tout plaquer pour redonner du sens à sa vie.
Des ateliers pour retrouver confiance en soi
Chaque "candidat" sélectionné bénéficie d'un accompagnement par des bénévoles ou salariés d'Entourage. "On travaille presque chaque semaine sur comment s'habiller, passer un entretien. On fait aussi des ateliers théâtre pour retrouver confiance en soi", témoigne Marlène Aubou, 27 ans, atteinte d'une paralysie partielle des membres inférieurs.
Du côté du sponsor Advens, dont le nom figure en tout petit sur la grand-voile, Alexandre Fayeulle, son président, explique avoir eu un "coup de coeur il y a quatre ans pour Thomas et le Vendée Globe". "J'ai une âme d'aventurier et voir ces skippers partir affronter les océans m'a beaucoup parlé", raconte l'entrepreneur de 47 ans, qui finance personnellement l'exploitation du bateau, soit deux à trois millions d'euros par an.
"On va doubler notre chiffre d'affaires mais je n'ai pas l'ambition de m'acheter des yachts, et je préfère redonner le fruit de ma performance à une urgence sociale, ce qui lui donne aussi un sens", poursuit-il, assurant n'avoir "aucun intérêt fiscal" dans l'affaire et ne pas chercher "à [se] donner bonne conscience".
Si la crise du Covid-19 fait vaciller l'univers du sponsoring, comme en a douloureusement fait l'expérience François Gabart, lâché cet été par son sponsor, la course au large, dont le modèle repose sur les partenaires privés, reste attractive. "La voile dégage des valeurs positives, le respect de l'environnement, l'humilité, elle touche un public de passionnés" et "elle est réputée rentable", rappelle Jean-Pascal Gayant, professeur de Sciences économiques à l'Université du Mans.
La pandémie "va sûrement entraîner un repositionnement des budgets communication vers un sponsoring qui fait sens", remarque Christophe Lepetit, économiste du sport. Malgré la crise, Jean-Marc Potdevin juge aussi "qu'il n'est pas inopportun d'envoyer aux entreprises un message sur l'inclusion, alors que le Covid pose beaucoup de questions de sens à leurs collaborateurs".
Avec AFP.
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