"Je veux pouvoir lire les bouquins quand ils sortent, comme les voyants", souligne Barbara Lalande, 51 ans et malvoyante de naissance, qui confie dévorer une vingtaine de livres audio en moyenne chaque mois. Or, pour satisfaire sa soif de nouveautés, les adaptations sonores enregistrées par des comédiens et commercialisées par les éditeurs ne sont pas forcément la panacée, car elles sont encore relativement chères, et peu nombreuses. En outre, les livres audios commerciaux "sont souvent +surjoués+, et on y rajoute du bruitage ou de la musique, dont je n'ai pas besoin", explique Mme Lalande. "Moi ce que j'aime, c'est une lecture neutre, qui me laisse construire mon propre imaginaire".
Une différence d'approche que confirme Valérie Lévy-Soussan, directrice de l'éditeur Audiolib (filiale d'Hachette): les aveugles ou malvoyants "n'écoutent pas un livre de la même façon" que les voyants, observe cette responsable, en charge des livres audio au sein du Syndicat national de l'édition (SNE). Si le marché des livres audio s'est beaucoup développé ces dernières années - 1.000 à 1.500 nouveautés sortent désormais chaque année -, il pèse toujours moins de 5% du marché de l'édition, et continue à s'adresser majoritairement à des personnes voyantes, qui choisissent l'audio par goût et non pas par obligation, souligne-t-elle. Afin de permettre le développement d'autres solutions pour les aveugles et malvoyants, le législateur a instauré en 2008 une exception au droit d'auteur, qui permet aux associations de réaliser et distribuer gratuitement des livres audio, aux seules personnes handicapées, sans rétribuer les auteurs et éditeurs.
Ni monotone ni surjoué
Pour un roman de 300 pages, un lecteur bénévole devra travailler 30 à 40 heures, pour un enregistrement final de 10 à 12 heures. "C'est une activité très chronophage, et beaucoup plus technique qu'on ne l'imagine", raconte Marie-Françoise Jourdrin, 74 ans, qui a ainsi enregistré quelque 70 livres depuis 10 ans, au sein de l'association des "Donneurs de voix". "Il faut éviter un ton trop monotone, mais également de trop jouer ou interpréter, pour ne pas empiéter dans l'imaginaire de l'auditeur", détaille la lectrice. Les bénévoles sont libres de "choisir ce qu'ils enregistrent", et la septuagénaire dit apprécier l'éclectisme d'une activité qui lui a récemment permis de passer de "L'anomalie", d'Hervé Le Tellier (le dernier Goncourt), à un essai sur la place des femmes dans l'Eglise catholique, ou à une "Histoire mondiale de la France".
"Le bouquin que vous enregistrez, vous devez l'aimer, sinon le résultat risque d'être désastreux", souligne Guy Rey des "Donneurs de voix", qui animent un réseau d'une centaine de "bibliothèques sonores" recensant environ 16.000 titres. "Récemment, un utilisateur m'a demandé un ouvrage de Schopenhauer. Mais je n'ai pas trouvé de bénévole pour le lui enregistrer", raconte le responsable associatif, observant que la plupart des lecteurs aveugles ont cependant des goûts plus banals, vu le succès parmi eux de Marc Levy ou d'Amélie Nothomb. Autrefois stockés sur cassettes, puis en MP3, les livres audio se sont modernisés: le format standard est désormais le "Daisy", une norme internationale qui permet de naviguer plus facilement à l'intérieur du livre ou d'y laisser un marque-page virtuel.
De nombreux bénévoles prêtent également leur voix à la médiathèque de l'association Valentin Haüy, dont le catalogue compte quelque 54.000 ouvrages en français, partagés sur une plateforme internet qu'alimentent également des organisations belges, suisses ou canadiennes. Si ce chiffre peut sembler impressionnant, il ne doit pas occulter le fait que "92% des ouvrages édités chaque année restent inaccessibles aux personnes déficientes visuelles", relève Laurette Uzan, responsable de cette médiathèque. Or "ce que veulent nos abonnés, c'est avoir accès à tous les livres, comme tout un chacun. Accéder à la culture, à l'information, à la scolarité, c'est un droit fondamental", insiste-t-elle.
Avec AFP.
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