En ce vendredi pluvieux de mars, une quinzaine de familles sont attroupées près de la mairie de Paris. C'est à partir de là qu'une association les oriente vers des particuliers prêts à ouvrir leur porte pour une nuit, parfois plus. Pour Fatou Karamoko, sa fille de 18 mois Djeneba, attachée dans son dos, et son mari Amadou Bamba, direction L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne).
La scène, l'angoisse de devoir dormir dehors, se répète depuis trois semaines: quand Fatou, 33 ans, a décidé de rallier Paris pour rejoindre son mari et quitter son hébergement d'urgence de Limoges, où sa demande d'asile a échoué en 2019 et où Djeneba est née. "Je suis fatiguée. Tous les soirs on vient ici. Chaque soir, je pleure, parce que j'appelle le 115 (numéro d'urgence dédié au sans-abrisme) et ils me culpabilisent, ils me disent +Retournez à Limoges, vous mettez votre fille en danger+", raconte-t-elle à l'AFP. "On n'a pas d'autre choix", glisse Amadou, 45 ans, rabatteur sans-papiers pour des salons de coiffure africains la semaine, déménageur le week-end.
"Acte militant"
20h49, la famille arrive chez Isabelle Gastou, colocataire d'une grande maison avec d'autres étudiants et quelques poules, dans le jardin. Dans la chambre, un lit deux places. "Parfois, il n'y a pas la place pour la petite, là on va passer une bonne nuit", sourit-elle, pendant que Djeneba, couettes et tutu bleu, explore la colocation.
Depuis 2018 et une décision du Conseil constitutionnel consacrant le "principe de fraternité", il n'est plus illégal d'héberger des personnes en situation irrégulière, un acte autrefois passible de cinq ans d'emprisonnement. "Je ne me suis même pas posé la question. Quand tu vois la situation, c'est juste la chose la plus humaine à faire", balaye Isabelle, bénévole à l'association Utopia56. L'étudiante de 21 ans s'est lancée en octobre dernier, un "acte militant". Depuis, la colocation héberge une famille chaque semaine: "En général, ils sont tellement crevés qu'ils dorment direct", dit-elle.
Combien sont-ils, à offrir un toit ? Les spécialistes peinent à chiffrer un phénomène qui s'étend à bas bruit. Utopia56, l'une des associations qui organise ces actions, a tissé "un réseau de 200 hébergeurs solidaires" en région parisienne, assure Kerill Theurillat, un responsable. "On ne reçoit pas de subvention publique, les citoyens qui accueillent chez eux ne reçoivent pas non plus d'argent. On ne veut pas se substituer à l'Etat, on est juste là parce que sinon ces personnes se retrouveraient à la rue", regrette-t-il.
"Tabou"
Jérôme (prénom modifié), lui, s'est improvisé hébergeur hors de tout cadre associatif. "Je voyais les tentes et je me suis juste dit: +Qu'est-ce que je peux faire, à mon niveau ?+", se souvient cet officier de police judiciaire. "On peut, dans le cadre de son travail, lutter contre l'immigration clandestine et avoir de l'empathie et de l'humanité", souligne le trentenaire qui hébergeait, jusqu'à la semaine dernière, un mineur isolé malien.
Sandrine, qui ne souhaite pas donner son patronyme, n'était "pas militante du tout" avant d'accueillir Jahadullah, un Afghan. C'était en octobre 2016, lorsque le jeune homme aujourd'hui âgé de 21 ans dormait sous le métro Jaurès à Paris. Quatre ans plus tard, il est toujours chez elle, à Malakoff, en banlieue parisienne. "Il est à mi-chemin entre un ami et un enfant", résume cette mère de famille de 43 ans, qui a été "happée" dans la vie du jeune homme: "Je me suis retrouvée dans l'administratif, à faire la queue à la préfecture..."
Longtemps, la situation a été "un tabou" et, désormais, elle ne parle plus à ses parents, qui n'ont pas compris la démarche, reconnaît-elle, assise par terre autour d'une tasse de thé avec Jahadullah. "Si elle ne m'avait pas recueilli, j'aurais pu faire des bêtises, terminer en prison", affirme-t-il, barbe finement taillée et regard marron clair. Entre deux jobs, il aide Sandrine pour la traduction pour l'association qu'elle gère désormais. "Je le fais, même si franchement, sourit-il, les problèmes des Afghans, ça prend la tête!"
Avec AFP.
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