Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et conférencier reconnu pour ses travaux universitaires sur l'éthologie et sur le concept de résilience.
ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP
Social

Boris Cyrulnik : "Après une désorganisation sociale, un nouvel ordre se mettra en place"

Frappée par une nouvelle vague du Covid qui serait éventuellement plus meurtrière que la précédente, la société se retrouve en plein basculement. Un nouvel ordre sociétal post-Covid pourrait voir le jour, mais reste à savoir lequel prendrait place !

Le confinement affecte de nouveau le train de vie actuel des citoyens. Au-delà d'une simple crise économique, le coronavirus pourrait même bouleverser les rouages de la société actuelle. ID s’est entretenu avec le neuropsychiatre et conférencier Boris Cyrulnik, pour discuter du concept de la résilience et de l’hypothèse de l’effondrement de la société au profit d'un nouvel ordre sociétal.

Est-ce que nous sommes en train de prendre le chemin de la résilience avec cette crise sanitaire ?

Le choix est clair ! Soit, nous ne prenons pas le chemin de la résilience et nous prenons le chemin de l'effondrement traumatique, ou bien nous débattons pour nous remettre à vivre et c'est la définition de la résilience, c'est un choix très simple.

Nous sommes quand même programmés pour vivre, n'est-ce pas ?

Nous sommes programmés pour vivre mais pas programmés pour donner sens à la vie, c'est-à-dire que nous sommes programmés pour vivre biologiquement c'est nécessaire, mais c'est loin d'être suffisant. Pour donner sens à la vie, il faut que nous ayons un projet et des rêves à réaliser. À ce moment là, nous pouvons attribuer un sens à la vie qui métamorphose la manière dont nous éprouvons la vie. Les jeunes et les gens qui ne donnent pas de sens à la vie ont une vie sans sens : ils vivent dans l'instant, ils n'ont que la vie biologique. Alors que les gens qui donnent sens à la vie, ils se débattent, ils ont des espoirs, des désespoirs, mais voilà, la vie a pris sens.

Le récit et le sens pourraient être des ressorts assez puissants de mobilisation, pour venir contrer cet instinct ''primaire'' de l'instant présent et surtout de surconsommation et de l'hypermobilité. Est-ce que selon vous, la transition écologique, au sens large, manque de ce récit pour mobiliser ?

Je ne dirais pas les choses de la même manière. Je pense que comme vous l'avez dit, nous sommes contraints à la survie, ou à la vie biologique, ce qui est pareil, et les récits font partie de l'écologie. Nous avons une écologie proche, c'est-à-dire l'oxygène, l'air, la température, le climat. Nous avons une écologie un peu plus éloignée, c'est-à-dire l'affectivité, les gestes, l'action physique. Et nous avons l'écologie verbale, qui est faite de récits, et ces récits agissent sur nous.

Jusqu'à maintenant, nous nous sommes crus au-dessus de la nature, nous vivions uniquement dans un monde de technologies qui effectivement fait des performances stupéfiantes.

Par exemple, si je vous insulte, je vais modifier votre biologie, par contre si je vous fais un compliment en disant que derrière vous il y a un jardin magnifique, vous allez rougir de plaisir. J'ai modifié votre sécrétion de vasodilatateurs uniquement en faisant un compliment et en articulant des mots avec ma bouche. Vous voyez donc que les mots agissent sur votre biologie. 

Justement, cet apprentissage de la crise dite sanitaire, peut être d'ailleurs presque existentielle parce que nous réalisons d'un coup que nous sommes mortels, fragiles et que nous vivons dans la finitude... Est-ce qu'il y a quelque chose qui se passe ?

Absolument, c'est même un choc presque philosophique. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes crus au-dessus de la nature, nous vivions uniquement dans un monde de technologies qui effectivement fait des performances stupéfiantes. La preuve c'est que nous nous parlons côte à côte comme si vous étiez dans mon bureau, comme si j'étais dans votre jardin. Malgré cette performance, nous ne sommes pas au-dessus de la nature. Nous venons de découvrir grâce au virus que nous sommes dans la nature et que si notre technologie, notre mobilité, nos cultures, nos commerces modifient l'écologie, si nous tuons des animaux et les végétaux, nous partirons avec eux !

Vous dites que nous entrons dans une période plutôt ''sensible". Comment regardez-vous les comportements et la façon dont nous réagissons face à cette nouvelle situation ?

Il faut prendre en compte la diversité de la condition humaine, c'est-à-dire que nous réagissons de manière incroyablement différente et souvent même opposée. Cela dépend de notre lieu géographique, de notre culture, de notre sexe, de notre âge, cela dépend beaucoup de notre portefeuille. En effet, les riches ne réagissent pas de la même manière que les pauvres qui sont prisonniers d'une écologie proche et difficile. Les riches, quant à eux, se sont organisés une niche écologique confortable, donc ils souffrent moins du virus. Nous voyons dans le confinement ceux qui ont la chance d'avoir un jardin, ceux qui ont la chance d'avoir un diplôme et qui ont un métier suffisamment bien payé, ceux-là supportent mieux le virus que les pauvres qui sont six ou huit dans une pièce de 40 m² où ils ne peuvent pas dormir, sachant que si l'un d'entre eux a le virus, tous l'auront. 

Le monde d'après me paraît prendre trois scénarios possibles.

Nous parlons de cette épidémie et la façon dont elle a explosé comme le symptôme d'un modèle de société marquée par la surconsommation, l'hypermobilité. Cette situation peut-elle porter en elle les germes de ce fameux monde d'après ?

Oui, plus je lis, plus je m'interroge et plus je discute, le monde d'après me paraît prendre trois scénarios possibles. Premier scénario : nous remettons en place le monde d'hyperconsommation et d'hypermobilité comme c'était fait au cours de toutes les épidémies précédentes et dans ce cas, dans trois ans nous aurons un nouveau virus dont nous ne saurons pas la formule chimique, l'effet clinique et donc ni le vaccin, ni le traitement. C'est ce qui s'est régulièrement passé au cours du ''siècle des pestes''. J'entends que certains veulent remettre en place ce système, mais est-ce que nous pourrons le remettre en place ? 

Pour la deuxième voie, ce que nous voyons c'est qu'après toutes les périodes de désorganisation astronomiques, climatiques et sociales naissent de nouvelles directions. Lorsque nous sommes en KO social ou économique, ce sont nos enfants et nos petits enfants qui vont payer la dette. Le virus finira par sécher avec le temps et grâce au progrès médical. Après un KO, un nouvel ordre apparaît et un nouvel équilibre se mettra en place en créant de nouvelles directions.

Nous pouvons voir de nouvelles lois apparaître et de nouvelles façons de vivre ensemble.

Dans ce scénario, nous voyons quelqu'un qui dira "Regardez-moi, j'ai la solution, votez pour moi je vais vous sauver !". Et lorsque les gens d'un groupe, d'une culture ou d'une nation sont désespérés, ils votent pour un dictateur. Regardez autour de vous le nombre de dictateurs qui ont été élus démocratiquement, c'est toujours parce qu'il y avait un KO social et culturel. Donc c'est un risque qui nous menace et qui peut arriver même dans les pays cultivés, comme l'Allemagne en 1930. 

Mais il y a aussi une troisième possibilité : la réorganisation d'un véritable ordre social qui tient compte des conditions de la catastrophe. Nous voyons qu'après un grand nombre de pestes (de maladies, ndlr) ou de KO sociaux, est apparu un nouvel ordre qui a permis l'épanouissement social. Donc bien sûr, le rêve serait que ce dernier scénario soit effectué.

Nous assistons à une prise de pouvoir par les médecins, la valorisation de la santé, l'hygiène, du bien-être, des vaccins, des médicaments (...) et je dirais que le virus donne le pouvoir au monde médical."

Un exemple pour illustrer ce que je vous expose : la Seconde Guerre Mondiale qui était un KO fantastique où les hommes font la guerre. Pendant ce temps les femmes ont découvert qu'elles avaient tout fait marcher, et elles ont compris qu'elles ne pouvaient pas reprendre le statut d'avant, ce sont les premiers pas du féminisme. Nous pouvons voir de nouvelles lois apparaître et de nouvelles façons de vivre ensemble.

Nous voyons l'idée selon laquelle les citoyens tiennent la barre de ce pays, et au final nous voyons que l'État a été erratique. Est-ce que vous pensez que l'évolution se fera du bas vers le haut, parce que nous sommes dans un système très verticalisé ?

Oui, mais je ne dirais que ce sont les citoyens qui tiennent la barre. L'humanité a d'abord fait preuve de violence, puis les aristocrates ont gouverné et ont racketté le peuple pendant mille ans, ensuite il y a eu les prêtres qui ont aidé les aristocrates, puis les militaires, et il y a eu la colonisation et les guerres incessantes qui organisaient les sociétés avec des principes d'une violence extrême. C'est la violence qui a fait le social ou encore la valorisation de la violence virile qui n'est plus une valorisation aujourd'hui bien au contraire. Je pense que maintenant c'est un discours médical, ce sont les médecins qui prennent la barre et les personnes politiques s'inspirent de leurs décisions médicales. Donc nous assistons à la valorisation de la santé, de l'hygiène, du bien-être, des vaccins... Je dirais même que le virus donne le pouvoir au monde médical qui était déjà en train de le prendre.

C'est toujours à travers une catastrophe écologique que nous voyons apparaître un nouvel ordre de la faune et de la flore.

Êtes-vous plutôt optimiste dans la façon dont l'être humain, notre espèce occidentale et notre culture notamment française, pourrait faire quelque chose et transformer cette essai ?

L'évolution écologique se fait par catastrophe, c'est-à-dire que c'est toujours à travers une catastrophe écologique que nous voyons apparaître un nouvel ordre de la faune et de la flore. Et j'ai bien peur que l'évolution sociale et culturelle se fasse aussi par catastrophe : c'est ce que nous sommes en train de connaître actuellement. Donc, nous allons probablement donner la parole aux philosophes et le pouvoir aux médecins, c'est-à-dire qu'il va falloir débattre de comment voulons-nous vivre ensemble maintenant. Cela sera passionnant parce que ça fera partie de l'histoire humaine, donc en ce sens je serai optimiste mais il y aura des périodes de fièvre.

Je pense que nous allons entrer dans une période de turbulences.

Et avec le réchauffement climatique, ce sera une autre manche ?

Oui, il va y avoir la sécheresse, des famines, et les famines provoquent toujours des guerres. Donc je pense que nous allons entrer dans une période de turbulences et que le climat va nous aider à nous poser des questions, et peut-être à trouver des solutions. Cela va être passionnant mais ce sera fiévreux.

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Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Pour écouter la chronique Social Lab

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