75 % des 15-25 ans se disent plus engagés que les autres générations.
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Politique

Pierre Madelin : “Plus la crise environnementale va s’aggraver, plus l'extrême droite va s’approprier les enjeux écologiques”

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Dans son livre "La tentation écofasciste", le philosophe Pierre Madelin éclaire sur la pensée écofasciste. Si celle-ci reste embryonnaire, elle pourrait bien gagner du terrain dans les années à venir, estime l'auteur. Entretien. 

Le 13 avril dernier, le journaliste et militant Hugo Clément a suscité de vives critiques en allant débattre d’écologie avec le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, chez Valeurs Actuelles. Derrière cette polémique, se posent ces questions : l’écologie et l’extrême droite sont-elles compatibles ? Une alliance entre le vert et le brun va-t-elle s’intensifier dans les prochaines années ? Pour y voir plus clair, ID a interrogé le philosophe Pierre Madelin, auteur de La tentation écofasciste. Dans ce livre, il revient sur les fondements du concept d’écofascisme et ses possibles évolutions. 

Le philosophe Pierre Madelin, auteur de "La tentation écofasciste".
© Ecosociété

Comment définiriez-vous l'écofascisme ? 

Serait ou est écofasciste une idéologie ou un régime politique qui engagerait une gestion autoritaire et sacrificielle des effets produits par la crise écologique. Cela affecterait principalement des groupes racisés.  

A partir de quand nait le terme “écofascisme” ?  

Le terme apparait globalement dans les années 70. On le retrouve dans l’écologie politique française de cette période-là, notamment chez des auteurs comme André Gorz ou Bernard Charbonneau mais aussi dans des médias comme La Gueule ouverte

Dans l’histoire, le vert a flirté avec le brun des fascistes. La nature occupe notamment une place dans l’idéologie nazie. Comment l’expliquer ? 

Cette association entre nature et nazisme subsiste car l’idéologie nazie est naturaliste. Hitler disait même que le nazisme était de la biologie appliquée. Les nazis prétendaient fonder leur organisation sociale sur les lois de la nature telles qu’elles étaient appréhendées dans le darwinisme social. Cette théorie considérait qu’il y avait une hiérarchie naturelle entre les races. La race aryenne était au sommet de cette hiérarchie, à l’inverse des juifs et des tsiganes qui pouvaient être soumis et exterminés.

Mais quand on s’intéresse aux travaux d’histoire environnementale sur la question des rapports entre les nazis et la nature, on se rend compte que le régime nazi a été dévastateur pour l’environnement. En dépit de quelques mesures cosmétiques et de quelques dimensions romantiques d’exaltation des paysages du Volk, il n’y a eu aucune ambition écologique réelle. 

La pensée écofasciste se développe dans les années 80 avec la nouvelle droite et l’idéologue Alain de Benoist. Quels thèmes ont-ils réussi à imposer dans le débat ? 

Au début la nouvelle droite est plutôt hostile à l’écologie. Ce n’est qu’à la fin des années 80 et au début des années 90 qu’elle s'ouvre à l’écologie en défendant un racisme éthno-différentialiste. Ses partisans renoncent à l’idée de défendre une hiérarchie entre les races pour parler de cultures qui sont différentes et incommensurables les unes aux autres. Il y a une hantise du métissage. Cela va ouvrir la porte à des analogies avec la protection de la nature.  

Quelle place occupe aujourd’hui l’écofascisme ? 

Comme je le dis dès le début du livre, cela reste un courant marginal. Ces idées ne sont pas hégémoniques. L’extrême droite reste plutôt productiviste, voire climato-négationniste. On le voit notamment avec Trump ou Bolsonaro.Pour le moment, l'extrême droite va plutôt allier politique raciste, patriarcale, anti-migratoire et défense inconditionnelle des énergies fossiles. Le carbofascisme reste dominant. L'avenir nous dira si les tendances écofascistes minoritaires de l’extrême droite contemporaine gagnent du terrain ou si elles restent plutôt anecdotiques. Dans tous les cas, plus la crise environnementale va s’aggraver, plus l'extrême droite va s’approprier les enjeux écologiques. 

"La tentation écofasciste", Pierre Madelin.
© Ecosociété

En France, le Rassemblement national investit peu à peu le thème de l’écologie. En quoi ce discours s’apparente-t-il davantage à du “greenwashing nationaliste”, comme vous le qualifiez ? 

Le journal Le Monde a fait une enquête sur le vote des députés RN au Parlement européen. Quand le parti avait la possibilité de voter pour une mesure vertueuse d’un point de vue écologique, il s’y opposait. Pour le moment dans les instances où le RN a un peu de pouvoir, l’écologie est plutôt le cadet de leurs soucis. Il y a une communication politique autour de ce sujet mais elle reste cosmétique et opportuniste. 

Dans votre livre, vous expliquez que les théories écofascistes ont gagné du terrain en France mais aussi aux Etats-Unis au point d’inspirer des attentats terroristes. Pouvez-vous revenir sur ces événements ? 

Il y en a eu deux en réalité. Le premier a eu lieu le 15 mars 2019, dans une mosquée de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et a été perpétré par Brenton Tarrant. Le second s’est produit le 3 août de la même année à El Paso, ville texane située à la frontière du Mexique, et a été revendiqué par Patrick Crusius. Pensant qu’ils allaient mourir, les auteurs de ces attentats ont laissé des manifestes dans lesquels ils se présentent notamment comme des écofascistes. En commettant ces actes terroristes, ils expliquent vouloir éliminer ceux qui participent à la surpopulation. Cette association entre hantise de la croissance démographique, de l’immigration et de ses supposés effets dévastateurs sur l’environnement, on la retrouve plutôt dans l'histoire des idées américaines à partir des années 50-60-70. L’arrivée supposée massive de migrants aux Etats-Unis est vue comme une menace pour les écosystèmes, pour les réserves de nature sauvage...Ces auteurs d’attentats reprennent cette rhétorique néomalthusienne verte, mais ils la radicalisent au point de commettre des attentats terroristes.  

A la fin du livre, vous évoquez les défis de l’écofascisme. Vous abordez notamment la question de la démographie. Pourquoi ? 

Pour l’écologie politique, la priorité n’est pas de décroître démographiquement mais bien de décroître au sens de sortir d’une logique de croissance économique. Je pense malgré tout que la question de la croissance démographique ne doit pas être bottée en touche et laissée à l’extrême droite. Il faut imaginer ce que pourrait être une décroissance démographique qui n'impliquerait pas de racisme, ni de vision coercitive du corps des femmes sous la forme de stérilisations forcées. Dans mon livre, j’essaye de remettre en lumière la figure de Françoise d’Eaubonne. Cette pionnière de l’écoféminisme s’est notamment attaquée, dans les années 70-80, au “lapinisme phallocratique”. Elle montrait qu’il y avait un lien entre l’exploitation de la terre par le capitalisme et la surfécondation du corps femme par le système mâle. Elle en appelait à la grève des ventres. Selon moi, la démographie n’est pas la principale cause de la crise écologique mais elle peut en être un facteur d'intensification.

 

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