Plusieurs associations craignent que le texte devienne "une coquille vide" après son passage au Sénat.
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Politique

Le Sénat face au défi de freiner l'essor de la "fast fashion"

Après avoir longtemps traîné au Parlement, une proposition de loi pour freiner la "fast fashion" est examinée lundi au Sénat, qui entend légiférer contre cette mode "éphémère" ou "jetable" expédiée à prix cassés depuis la Chine, avec les géants Shein et Temu dans le viseur.

Peu coûteux, de piètre qualité, faciles à commander, souvent très polluants et constamment renouvelés, ces vêtements qui saturent le marché et concurrencent les acteurs historiques de l'industrie textile verront-ils leur afflux en France bientôt régulé ?

C'est tout l'objet du texte examiné dans la soirée à la chambre haute. Portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland, la proposition de loi pour "réduire l'impact environnemental de l'industrie textile" a pris la poussière pendant plus d'un an sur le bureau du Sénat, après son adoption en mars 2024 à l'Assemblée nationale.

Le phénomène, lui, ne s'est pas arrêté : entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements mis sur le marché en France est passé de 2,3 milliards à 3,2 milliards. Selon l'Ademe, plus de 48 vêtements par habitant sont mis sur le marché chaque année en France et 35 sont jetés chaque seconde dans le pays.

"Aujourd'hui, ces géants de la mode ultra éphémère envahissent le marché sans aucun contrôle. Il faut établir des règles, les frapper le mieux possible et le plus fort possible", martèle pour l'AFP Sylvie Valente Le Hir, sénatrice Les Républicains chargée de rapporter le texte au Sénat.

Viser "l'ultra éphémère"

Parmi les mesures phares se trouve l'établissement d'une définition de la "fast fashion", avec des critères basés sur le nombre de modèles mis en vente, et non de produits, et leur vitesse de renouvellement. Une façon pour les sénateurs de tenter de viser exclusivement les géants asiatiques du textile, Shein mettant chaque jour en vente plus de 8 000 nouveaux modèles. En comparaison, une enseigne comme Zara en propose 500 tous les jours. 

La proposition de loi prévoit également des sanctions renforcées pour les plateformes concernées à travers un système revu de "bonus-malus" tenant compte des "coûts environnementaux" d'une production excessive, ainsi que l'obligation de sensibiliser les consommateurs à "l'impact environnemental" de leurs vêtements.

Sur ce dispositif, une divergence apparaît entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Les députés souhaitent lier ces pénalités à "l'affichage environnemental" des produits, une méthode récente de notation. Le Sénat, en accord avec le gouvernement, a toutefois supprimé cette référence en commission, préférant des critères liés à la "durabilité" et aux "pratiques commerciales" propres à ces plateformes, des notions encore floues.

Cette nouvelle rédaction entend également viser davantage "l'ultra fast fashion" de Shein et Temu et préserver les entreprises européennes ou françaises qui auraient pu être concernées par le texte voté à l'Assemblée, même si celles-ci relèvent aussi de la mode rapide.

"Cibler les modèles outranciers"

"L'idée est de cibler les modèles outranciers", assume-t-on au ministère de la Transition écologique. "C'est le cas de la mode ultra éphémère parce que le nombre de références est sans commune mesure avec ce qu'on pourrait appeler la mode simplement éphémère".

Le texte semble aussi vouloir épargner les plateformes multimarques, telles que Zalando et Asos, des entreprises européennes. Une bonne nouvelle pour Shein, qui pourrait contourner la nouvelle loi en s'appuyant sur cette partie du texte, alors que l'enseigne a déjà annoncé vouloir "favoriser le développement de petites et moyennes marques de mode françaises en leur donnant accès à l’ensemble de (son) écosystème".

L'entreprise chinoise ne cache pas sa volonté de redorer son image en France et d'échapper à la loi par la même occasion. Il y a quelques semaines, l'influenceuse Magali Berdah collaborait avec l'enseigne dans une série de vidéos publiées sur TikTok, affirmant que "la mode est un droit, pas un privilège". Elle a également engagé l'ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner en décembre dernier pour rejoindre son comité RSE.

Encadrer la publicité

Les évolutions du texte inquiètent la coalition Stop Fast Fashion, qui rassemble 14 associations environnementales et des droits humains, dont Emmaüs, France Nature Environnement, Les Amis de la Terre et Zero Waste. Pour elles, l'initiative pourrait dès lors "ne devenir qu'une coquille vide, sans portée dissuasive".

Autre signe que le débat sera scruté, deux associations, Les Amis de la Terre et l'Observatoire des multinationales, ont fait monter la pression sur Shein ces derniers jours en demandant à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) "d'exercer son droit de contrôle" sur les activités de lobbying de l'entreprise, accusant "d'irrégularités" le géant fondé en Chine mais basé à Singapour.

"J'espère que mes collègues auront la capacité de repousser les lobbies", s'inquiète aussi la sénatrice socialiste Nicole Bonnefoy, alarmée d'une "tendance actuelle au Parlement qui fait la part belle aux régressions environnementales".

Les discussions dans l'hémicycle tourneront également autour de l'interdiction de la publicité pour les entreprises de la "fast fashion".

La majorité sénatoriale, une alliance droite-centristes, s'y est opposée au motif qu'elle briderait la "liberté d'entreprendre" et soutient simplement un nouvel encadrement de la promotion des marques concernées par les influenceurs. Mais le gouvernement y est favorable et tentera de réintroduire cette interdiction, soutenue par la gauche.

Avec AFP.