Thomas Huriez, fondateur de la marque de jeans 1083.
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Campagne Havas pour Shein : « un coup de poignard dans le dos » selon Thomas Huriez (1083)

Alors qu'une nouvelle campagne de communication du géant de l'ultra-fashion, Shein, sur le thème d'une "mode accessible" se déploie avec l'agence Havas à la manoeuvre, le fondateur des jeans français 1083 réagit. Pour Thomas Huriez, c'est un "coup de poignard dans le dos"à toute l'industrie de la mode française. ID s'est entretenu en exclusivité avec le jeune patron.

À propos d'une nouvelle campagne Havas pour Shein, vous évoquez « un coup de poignard dans le dos ». Pourquoi une telle symbolique ?

Nous traversons actuellement une période complexe pour le marché de la mode et de l'industrie textile. Il existe beaucoup d'ambition autour de la réindustrialisation, mais le contexte est particulièrement difficile. Après les fortes augmentations des prix de l'énergie, nous faisons également face à une crise liée à l'accumulation des vêtements en fin de vie. Une loi a été adoptée l'année dernière à l'unanimité afin de limiter les effets néfastes de la fast fashion. Parallèlement, nous avons un discours fort sur le patriotisme économique : on encourage les consommateurs à acheter français, on demande aux collectivités publiques d'augmenter la part du made in France dans leurs commandes. Ce patriotisme économique concerne aussi les entreprises françaises, les fleurons de notre économie, afin qu'ils défendent ensemble nos intérêts communs. Lorsque j'ai appris qu'une agence française historique de renom avait décidé de défendre les intérêts de Shein, avec une campagne dont on peine à comprendre comment elle a pu passer l'examen de l'ARPP, l'autorité régulant les pratiques publicitaires, j'ai ressenti cela comme une trahison. En tout cas, c’est un sentiment de trahison que j'ai éprouvé, car au moment où nous devrions tous nous serrer les coudes, nous entraider et unir nos forces, voilà qu'une agence de publicité trahit notre écosystème, les intérêts de notre pays, et même ses propres engagements envers ses clients, clairement affichés sur leur site internet à travers leur mission et leurs valeurs. Ce contraste est stupéfiant.

Havas est une entreprise libre de ses choix, mais elle s'engage publiquement sur l'impact positif de ses actions.

Exemple de visuel de la campagne pensée par Havas pour Shein

Cette campagne dit : « Pourquoi la mode serait-elle réservée aux riches ? Chez Shein, nous œuvrons pour rendre la mode accessible à toutes et à tous, et travaillons chaque jour à l'amélioration continue de notre modèle ». Selon vous, cette publicité n'aurait jamais dû être autorisée ?

En lisant cette publicité, on pourrait croire à une marque engagée et éthique. Pourtant, Shein réalise des milliards d'euros de chiffre d'affaires en incitant à la surconsommation. Ce principe même de surconsommation ne peut aboutir à un monde durable. On extrait toujours plus de matières premières, on pousse constamment à acheter davantage, ce qui ne permet pas réellement aux consommateurs de réaliser des économies. Au contraire, cela les incite à multiplier les petits achats qui finissent par représenter des dépenses importantes. Les chiffres astronomiques de la fast fashion prouvent que ce modèle ne permet pas aux populations modestes de mieux gérer leur budget.

Pensez-vous qu’un groupe comme Havas devrait davantage sélectionner les campagnes qu'il réalise ? Est-ce le rôle d'une agence dans le contexte actuel ?

Havas est une entreprise libre de ses choix, mais elle s'engage publiquement sur l'impact positif de ses actions. J’invite d'ailleurs chacun à consulter leur page « Mission et Impact ». Je lance simplement un appel à la cohérence : s’ils ne ressentent pas le besoin de loyauté envers l’économie française, c’est leur droit. Mais ils devraient au minimum respecter leurs propres engagements affichés publiquement. Leur site met en avant un « impact positif sur la planète ». Or, stimuler la surconsommation, même avec des vêtements dits bio ou éthiques, est incompatible avec une démarche durable. La surconsommation annule tous les effets positifs éventuels. Il s'agit donc d'un appel à la cohérence, en plus de la loyauté envers le patriotisme économique, une valeur forte dans notre société aujourd'hui, qui concerne directement l’emploi. Le devoir de ces professionnels est donc d’être cohérents avec ce qu’ils annoncent publiquement.

Vous mentionnez Christophe Castaner dans votre communiqué. Pourquoi ?

Lorsqu'une personne a l'honneur de représenter et de défendre les intérêts de la France en tant qu’élu du peuple, il devient incompréhensible qu'elle puisse ensuite travailler pour des intérêts contraires à ceux de notre pays. Être capable de défendre une chose et son contraire à ce niveau-là fragilise considérablement notre économie. On voit bien que cette fragilité coûte sans doute quelques millions d'euros, une somme insignifiante à l'échelle nationale mais suffisante pour nous diviser. Cela crée une brèche dans notre communauté d’intérêts, et certaines entreprises ou personnes n'ont aucun scrupule à jouer contre leur propre camp. Ce n'est pas uniquement une question nationale, mais aussi une question de valeurs. Je m’appuie donc sur les discours forts de Christophe Castaner lorsqu’il était ministre, tout comme je m’appuie sur les engagements affichés clairement par Havas sur leur page « Impact et Mission ».