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Le risque français

Alors qu’ils se sentaient de plus en plus à l’aise au sujet des perspectives européennes, les investisseurs sont pris à rebrousse-poil par la montée soudaine du risque politique français. Le saut dans l’inconnu que provoquerait l’arrivée du RN au pouvoir en France interroge à la fois l’édifice européen, la signature de l’Etat français, et l’environnement fiscal et règlementaire en France.

Si l’on en croit les sondages, le Rassemblement national a de fortes chances d’arriver au pouvoir en France le 7 juillet prochain avec une majorité absolue ou relative. Ce n’est pas une grande surprise : depuis le début des grands chocs populistes des années 2016-2018 – le Brexit, Donald Trump, puis l’Italie et le Brésil – les investisseurs ont eu le temps de s’habituer à cette nouvelle tendance politique « populiste ». Les dénominateurs communs à ces mouvements sont les attaques contre le libre-échange, la lutte contre l’immigration, le rejet de l’orthodoxie budgétaire et la remise en cause des politiques climatiques. Certaines de ces positions ont d’ailleurs déjà infusé les discours et les actes des gouvernements et institutions en place, comme le prouve par exemple la mise en place récente de taxes à l’importation sur les véhicules électriques chinois par la Commission européenne.

Le cas français possède cependant des spécificités qui ont amené les marchés à intégrer rapidement des primes de risque à la fois financières et microéconomiques sur les marchés des obligations et des actions. Du côté obligataire, le statut de la dette française est questionné à plusieurs titres.

A 5,5% du PIB en 2023, le déficit des administrations publiques en France est le plus élevé de l’histoire moderne hors période de récession. Le FMI estimait qu’il aurait beaucoup de mal à passer sous les 5% du PIB avant 2026 au mieux. Le programme économique concret du RN n’est pas encore établi, mais nul doute qu’il porte en lui les germes de déficits toujours très élevés, et donc d’une poursuite de la dégradation de la note de la dette française.

En soi, cependant, cette dégradation est loin d’être un problème insurmontable. Historiquement, le niveau et la prime de risque des taux français a relativement peu de lien avec le rating de la France (graphique 1) car beaucoup d’autres éléments plus importants entrent en jeu : croissance, inflation, taux mondiaux, etc. Ainsi, la baisse de la notation de la France de 2012 à 2015 n’a pas empêché une forte baisse des taux longs et même du spread avec l’Allemagne pendant la même période. Quant à la remontée des taux français depuis 2021, elle accompagne un mouvement mondial indépendant des questions françaises. Enfin, les phases de stress sur les spreads souverains s’accompagnent souvent d’une baisse des taux longs allemands (fuite vers la qualité) qui tend à limiter la hausse des taux des pays en difficulté. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au cours des derniers jours : la hausse du spread France-Allemagne, de 50 à 75 points de base, a été presque entièrement due à la baisse des taux longs allemands. A 3,10-3,20%, les taux longs français ne sont clairement pas à des niveaux inquiétants. Quant au spread OAT-BUND, il a simplement rejoint son niveau de la campagne électorale de 2017.

Taux longs, spread Oat-Bund et rating de la France

Cette situation pour l’instant assez bénigne pourrait-elle se dégrader et se transformer en véritable crise ? Le statut européen et mondial de la dette française est bien différent de celui de l’Italie, ce qui justifie cette interrogation. Avec les obligations allemandes, les OAT sont utilisés comme réserve de change en euro par de nombreux pays dans le monde (Suisse, Japon, pays du Moyen-Orient, etc.). De plus, la France est perçue comme un pilier de la construction politique, économique et monétaire de l’Europe, ce qui accroit considérablement les enjeux. Si la position de la France sur ce terrain-là venait se modifier, c’est l’architecture européenne d’ensemble qui vacillerait, avec de fortes conséquences économiques et financières.

Les enjeux sont donc importants, mais certains éléments-clefs limitent les risques. Le paradoxe du RN, d’abord, est qu’il a été démontré que ses chances d’arriver au pouvoir sont inversement proportionnelles à son agressivité anti-européenne. Le Frexit est sorti de son programme depuis la débâcle de Marine le Pen au second tour des élections de 2017, et le discours sur la préférence nationale est parfois remplacé par « préférence européenne » (par exemple sur l’accès aux marchés publics). D’autre part, Emmanuel Macron semble décidé à demeurer en place, ce qui rassurera les investisseurs quant aux engagements européens de la France. Dans ce cadre institutionnel, la BCE pourra monter au créneau à chaque fois que les remous de marchés lui sembleront exagérés, dans le cadre de son mécanisme de stabilisation dit «TPI » (Transmission Protection Instrument).

Selon nous, tant que les taux longs français ne partent pas en spirale haussière, le scénario macroéconomique favorable qui a soutenu les marchés des actions en Europe ne semble pas fondamentalement remis en cause. Reste cependant un dernier volet à la prime de risque associée à l’arrivée probable du RN au pouvoir, celui de l’impact de certaines mesures populistes potentielles sur les entreprises cotées. On se souvient qu’en Italie, Giorgia Meloni avait voulu instaurer en 2023 une taxe exceptionnelle de 40% sur les banques pour financer son programme, taxe finalement retoquée peu de temps après. La bourse française a commencé à intégrer des primes de risque de ce type sur certains secteurs, les fameuses ‘victimes nationales’ (graphique 2) : les banques, bien entendu, mais aussi les assureurs, les sociétés d’autoroutes, les fournisseurs d’énergie, les opérateurs télécom, etc.

Boisses des secteurs du SBF250 depuis le 7 juin 2024

Ces primes de risque sont-elles suffisantes ? On peut remarquer que la baisse des valeurs financières françaises (-11%) est désormais équivalente à celle observée en Italie l’année dernière au moment de l’annonce de la taxe exceptionnelle de 40%. C’est une indication, d’autant que les financières sont désormais très bien capitalisées et beaucoup plus rentables que pendant les années 2010. Etant donné leur évaluation très basse (graphique 3), seul un choc majeur justifierait de fortes baisses supplémentaires. Inversement, une levée des incertitudes provoquerait un net rebond.

La faible valorisation des financières françaises permettrait un net rebond une fois les incertitudes politiques levées

Le choc sur les valeurs françaises a eu un impact important sur les marchés européens. Les sociétés françaises cotées représentent en effet 35% de la capitalisation boursière du MSCI EMU (contre 25% pour les sociétés allemandes), et près de la moitié du marché des obligations des entreprises non financières. L’impact négatif du risque français est d’autant plus fort que les investisseurs avaient une vision positive des actions européennes depuis quelques semaines, vision qu’ils sont amenés à reconsidérer. Pour notre part, nous ne modifions pas pour l’instant notre scénario central de reprise économique européenne et de désinflation. Dans nos fonds d’allocation européens et mondiaux, nous avons couverts nos positions sur les paniers de financières européennes le lundi 10 juin 2024 avec des contrats futurs sur les banques de la zone euro. Nous modulerons ces couvertures à la hausse ou à la baisse en fonction de notre appréciation des risques et des opportunités que provoque l’émoi lié aux élections françaises.

Nos taux d’exposition sont les suivants :

  • Dorval Convictions : 66% d’exposition nette aux actions dont panier cœur Euro Stoxx 50 ISR 60%, panier financières 6.5%, Panier petites capitalisations 12%. Couverture en future Euro Stoxx 50 et en Euro Stoxx banques.
  • Dorval Convictions PEA : 84% d’exposition nette aux actions dont panier cœur Euro Stoxx 50 ISR 70%, panier financières 6.5%, Panier petites capitalisations 15%. Couverture en future Euro Stoxx 50 et en Euro Stoxx banques.
  • Dorval Global Conservative : 24% d’exposition nette aux actions, dont Sélection Responsable Internationale 19%, Reprise industrielle globale 3%, New Capex 3%, Panier financières européennes 1% (couvert partiellement en Euro Stoxx banques), couverture en options S&P 500 : -1%. Solde en titres du marché monétaire.
  • Dorval Global Allocation : 52% d’exposition nette aux actions, dont Sélection Responsable Internationale 40%, Reprise industrielle globale 5%, New Capex 5%, Antifragiles 3%, Panier financières européennes 4% (couvert partiellement en Euro Stoxx banques), couverture en options S&P 500 : -2%. Solde en titres du marché monétaire.
  • Dorval Global Vision : Sélection Responsable Internationale 73%, Reprise industrielle globale 9%, New Capex 9%, Antifragiles 4%, Financières européennes 5% (couvert partiellement en Euro Stoxx banques).

Contenu rédigé par Dorval Asset Management