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Sycomore AM : "Réinitialisons"

Réinitialisation, en anglais, reset… La Covid 19 a réinitialisé notre quotidien et a volé l’année 2020 de beaucoup de personnes. Comment éviter que notre année 2021 ne se fasse "covider" ? Petite invitation à une réinitialisation économique et sociétale.

Quels premiers enseignements pouvons-nous tirer de cette année terrible ? Un tri s’impose, car force est de constater que nous sommes allés loin, très loin dans la privation de liberté, très loin aussi dans le rôle protecteur et amortisseur des Etats, très loin dans les « fake news » pour les médias débordés par leurs nouveaux rivaux, les réseaux sociaux.

D’un côté, il y a les « plus jamais ça ! » : les faillites, les emplois qui disparaissent, les fractures affectives, l’isolement, la perte de contact humain, le ras-le-bol des écrans, la perte de repères… D’un autre côté, il y a les « pourquoi pas ? » : moins de déplacements inutiles, moins de consommation impulsive, plus de temps pour être en famille, jouer, cuisiner, aménager, lire, se retrouver... Nous avons vécu des cauchemars éveillés, mais avons aussi exploré un champ des possibles plus vaste… Essayons d’aller plus loin.

DES EMPLOIS DANS L’ŒIL DES CYCLONES

Une certitude émerge de cette année 2020 inédite : nous sommes face à des transitions multiples et en accélération : ruptures générationnelles, transition sociale, digitalisation, crise écologique, futurs virus… Leur impact sur l’emploi continuera d’être considérable.

Les conséquences de la crise sanitaire accélèrent les transformations à l’œuvre sur le marché du travail, sources à la fois de doutes et d’opportunités pour la société et les entreprises. Au cœur de l’économie de demain se trouvent des emplois porteurs d’utilité sociale, de sens, en harmonie avec la vie privée et qui favorisent l’épanouissement. Ils côtoieront des emplois menacés par les mutations en marche et à venir.

Aucun secteur ne sera épargné. Le dumping social, très souvent accompagné de dumping environnemental, a été le sous-produit de la mondialisation, dont les limites nous apparaissent très clairement aujourd’hui. Il n’a plus sa place dans une économie qui aurait retrouvé son sens étymologique[1], l’art de gérer son foyer, son habitat, un habitat collectif partagé avec le reste du vivant.

Notre conviction en tant que gestionnaire d’actifs est que ces transitions pourront générer des emplois non-délocalisables ou relocalisés, nourrissant une employabilité future des collaborateurs, au service de missions et de modèles économiques durables et inclusifs, respectueux de la biosphère, faisant du sens pour ses clients, traitant ses fournisseurs en partenaires et privilégiant des actionnaires de long-terme et des gouvernances diverses et ouvertes.

Les potentiels d’emplois futurs sont très vastes : éducation des enfants et des jeunes adultes, formation professionnelle, service à la personne, soins aux plus âgés, agro-écologie, rurbanisation, circuits courts, services de réparation, économie de fonctionnalité, solutions low-tech, filières industrielles relocalisées, économie circulaire, réseaux électriques intelligents, digitalisation sélective...

Notre rôle d’investisseur est de détecter ces potentiels en faisant le tri entre, d’un côté, les vitrines trop léchées, les mirages technologiques ou les annonces cosmétiques, et d’un autre côté, les vraies transformations et les emplois durables. Plus que jamais notre modèle d’analyse par partie prenante, SPICE, et notre analyse de l’emploi, grâce à The Good Jobs Rating, seront d’une aide précieuse pour ce travail de décryptage au service de notre mission.

RÉINITIALISER LA SCIENCE ÉCONOMIQUE ET NOTRE RELATION AVEC LE VIVANT

Ces transitions multiples ne vont pas s’auto-organiser pour s’étaler gentiment dans le temps et nous laisser souffler entre leurs arrivées. Pour les traverser, nous avons besoin d’y voir particulièrement clair sur le cap à tenir et les moyens de naviguer. Pour cela, certains logiciels séculiers ou modèles mentaux sont à reprogrammer : prenons deux exemples, l’économie et la relation au vivant.

La théorie du « Donut »

Kate Raworth, dans son ouvrage « la théorie du Donut[2] », nous invite à une réinitialisation complète de la pensée économique. Faisant le constat que le corpus de la science économique tel qu’il est enseigné depuis un demi-siècle se révèle inadapté à l’Anthropocène[3], elle propose de reprogrammer ce logiciel périmé autour de 7 principes en commençant par le but : passer de la croissance du PIB, « l’un des objectifs les plus stupides qu’une culture ait jamais inventés » [4], au pilotage dans l’espace sûr et juste du « donut » entre le plafond des limites planétaires et le plancher des limites de la justice sociale.

Le modèle dominant de croissance infinie dans un monde fini nous aveugle et nous plonge dans une schizophrénie délétère. Un pilotage du bien-être de l’humanité sous contrainte écologique constitue une rupture théorique majeure, mais porteur d’un extraordinaire soulagement ! Très pédagogique et documenté, ce livre nous propose des voies conceptuelles et des solutions opérationnelles pour nous guider dans la transition solidaire et écologique !

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RENOUER AVEC LE VIVANT

Notre relation à la Nature pose également problème. Dans son ouvrage « Manières d’être vivant », le philosophe Baptiste Morizot a médiatisé les résultats d’une étude américaine montrant que les enfants sont capables de distinguer mille logos de marques alors qu’ils ne parviennent pas à reconnaître, ni nommer, dix espèces d’arbres de leur région.

Ce constat affligeant est une des nombreuses illustrations de l’impasse dans laquelle notre conception historique occidentale d’une nature chosifiée, réserve de ressources gratuites, extérieure à l’humain, est erronée et handicapante pour construire le monde de demain.

« Renouer avec le vivant »[5], dont nous faisons partie et dont le fonctionnement collectif et coopératif est une source permanente d’émerveillement, est une des clefs d’une relation plus humble[6], plus apaisée et surtout bien plus pertinente avec la biosphère.

Une des bonnes nouvelles de la crise sanitaire est que le chemin de la neutralité carbone mondiale visée à 2050 n’apparaît plus comme complètement hors de portée !

En effet, pour atteindre cette cible pointée dans le rapport spécial du GIEC de 2018 sur le scénario de réchauffement climatique de 1,5°C à l’horizon 2100, nos émissions de gaz à effet de serre doivent décroître de l’ordre de 4% par an[7] d’ici 2050 : nous allons dépasser ce niveau de décroissance en 2020.

La recette, on s’en doutait un peu, a été la frugalité, malheureusement contrainte ! « Le meilleur déchet est celui qui n’est pas produit » scande régulièrement l’ADEME, devenue l’Agence de la Transition Écologique. De même, « la meilleure consommation est celle qui n’existe pas » du point de vue de la biosphère. La nouveauté est que de plus en plus de personnes et d’entités s’y mettent et s’engagent dans des dynamiques de réduction.

A ce titre, l’explosion des annonces d’entreprises et d’investisseurs souhaitant contribuer à cet objectif en s’affichant « zéro net » à 2030 ou 2040 est très révélatrice. Les plans d’action sont souvent limités ou flous, les compensations, qui n’annulent rien, sont souvent mobilisées, mais le momentum est indéniablement là !

Et si tous ces investisseurs et entreprises y voient, à juste titre, des opportunités de croissance, cette croissance déjà observable signifiera une décroissance accélérée des modèles obsolètes qu’elle va remplacer. La fosse commune du monde d’avant va grossir et les cadavres économiques s’y entasser, auprès des zombies du charbon thermique ou des pétroles non conventionnels [8].

Le choc de 2020 a été un accélérateur d’histoire pour beaucoup de monde et d’entreprises. Nous avons traversé une expérimentation mondiale, grandeur nature, de la réaction de notre système socio- technique mondialisé hyper-complexe à un double choc de décroissance et d’immobilité, avec à la clef une année 2020 neutre ou positive en termes d’indices boursiers, alors que le gros de la casse sociale reste devant nous et que l’activité perdue restera perdue à jamais, comme si les bourses étaient déjà vaccinées à la Covid, en plus d’être perfusées aux liquidités des Banques Centrales…

Quelques chiffres illustrent l’affolement des marchés en 2020. Entre le 19 février et le 16 mars, l’EuroStoxx a marqué une baisse de 38% puis a rebondi de 48 %, effaçant 78 % de sa baisse. Le DAX a effacé 100 % de sa baisse et beaucoup d’indices ont rebondi au-delà, comme le NASDAQ qui a rebondi de 89 % après une baisse de 30 % et l’indice Russel 2000 qui a rebondi de 108 % après sa chute de 43% des mois de février et mars. Grande année de rotation vers les cycliques et la Value, 2020 a été aussi une année de la Tech, des énergies renouvelables et de l’ESG.

Reste à faire le tri entre les mouvements solides et ceux qui nourrissent des bulles qui risquent d’éclater. Ceux qui reposent sur des fondamentaux solides comme l’ESG authentique, les thématiques écologiques, la qualité des emplois offerts, le vieillissement de la population ou la pénétration de la technologie dans nos vies devraient perdurer. Les autres, l’ESG-washing, les fausses solutions écologiques, les miracles technologiques ou la domination des GAFA devraient être moins durables.

Par Jean-Guillaume PÉLADAN, Directeur de la Stratégie Environnement chez Sycomore AM. 

[1] Du grec oikos, maison, propriété, avoir et nomos, usage, règle de conduite.

[2] « La théorie du donut », novembre 2018, Plon.

[3] Epoque de l’histoire de la Terre, qui succède à l’holocène, qui a été proposée pour caractériser l’ensemble des événements qui se sont produits depuis que les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre, du niveau d’une force géologique. Le terme Anthropocène, ère de l’humain, a été popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995 et par Eugene Stoermer, biologiste. La période la plus récente de l’Anthropocène est parfois appelée la Grande Accélération, car de nombreux indicateurs y présentent des courbes de type exponentiel.

[4] Donella Meadows (1941-2001), scientifique américaine, co-autrice du rapport au Club de Rome « The limits to growth » de 1972.

[5] Titre de la revue Socialter d’octobre 2020.

[6] Cf. « une espèce à part », documentaire de vulgarisation scientifique de 31’, Arte, 2019.

[7] Cf. estimation de Jean-Marc Jancovici de novembre 2020 et « Les scénarios 1.5°C quant à eux projettent une baisse de l’intensité énergétique du PiB qui atteint en moyenne -5 %/an entre 2020 et 2030 », The Shift Project, 2019.

[8] Principalement les sables bitumineux et le pétrole de schiste.