Nicolas Jacob, responsable de la recherche ESG chez ODDO BHF AM.
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INFO PARTENAIRE

Les défis du capital humain

Alors que la pandémie a démontré la résilience des entreprises qui placent au même niveau capital humain et financier, la question de la transparence et de la standardisation des données est devenue clé.

De nombreuses décennies ont été nécessaires pour que le concept de capital humain, lancé par le prix Nobel d’économie Théodore Schultz en 1961, s’impose comme un facteur clé de différentiation auprès des entreprises et des investisseurs. Si ce concept "les compétences, l'expérience et les connaissances des employés" a gagné progressivement du terrain, ce n’est qu’au début du nouveau millénaire qu’apparait l’idée selon laquelle la gouvernance des entreprises doit tenir compte des salariés en tant que propriétaires du capital humain, élément essentiel à la performance globale au même titre que le capital financier ou le capital naturel.

Une consécration, fondée sur un lien direct entre valorisation des salariés, productivité, création de valeur et bonne santé de l’entreprise à long terme. De là à investir dans le capital humain, il n’y avait qu’un pas qu’ont franchi de nombreuses entreprises en déployant des stratégies visant à développer le capital humain, à travers notamment des politiques généreuses de formation, de rémunération, et de rétention.

Reste un défi majeur pour convaincre la communauté des investisseurs ainsi que les entreprises récalcitrantes du bien-fondé des investissements en capital humain, celui de la mesure de leur impact. Il en va de la possibilité de comparer la performance des entreprises selon leur niveau d’investissement en capital humain.

Une reconnaissance croissante mais non dénuée d’obstacles

Plusieurs obstacles se dressent sur la route de la reconnaissance de la valeur du capital humain. Le premier d’entre eux tient à la normalisation des données disponibles pour quantifier cette valeur qui n’est captée ni par les instruments comptables ni par les critères ESG traditionnels.

Contrairement aux autres catégories d’investissements clairement identifiées dans le bilan, les investissements en capital humain – en partie à cause de leur nature qualitative – ne sont pas comptabilisés séparément, donc pas identifiés ni déclarés. Ils sont dès lors facilement assimilés à un coût pur et simple plutôt qu’à un investissement rentable sur la durée.

Ce vide comptable est doublement négatif et entretient un cercle vicieux : d’une part, il conduit les investisseurs à négliger un indicateur qu’ils ne peuvent ni appréhender précisément ni utiliser pour comparer des entreprises entre elles ; d’autre part, les entreprises ne sont pas incitées à accroître leurs dépenses pour développer leur capital humain puisque cet investissement ne sera ni reconnu ni salué par les marchés.  Et ce, alors même que les actifs immatériels, dont fait partie le capital humain au même titre que la culture d’entreprise, représenteraient 52 % de la valeur de marché des entreprises selon une étude publiée par EY en 2019.

Mesurer l’impact des investissements

Parmi les solutions au problème de la valorisation du capital humain, devenu une priorité des investisseurs responsables jusque-là davantage focalisés, à juste titre aussi, sur les enjeux environnementaux, l’évolution des normes comptables figure en première ligne.

L’intégration de bonnes pratiques (dans les domaines du recrutement, du développement des compétences, de la santé et de la sécurité des employés, etc.) contribuent directement à atteindre les objectifs 3, 4, 5, 8 et 10 pour ne citer qu’eux.

Ainsi, le comité technique de l’ISO a-t-il ouvert la marche en proposant en 2018 la norme ISO 30414 intitulée "Management des ressources humaines – Lignes directrices sur le bilan du capital humain à l’attention des parties prenantes internes et externes", qui permet aux entreprises de tous types et de toutes tailles d’avoir une vision claire de la valeur ajoutée réelle de leur capital humain.

Le SASB (Sustainability Accounting Standards Board) n’a pas été en reste et a lancé en 2019 un projet de recherche qui a pour objectif la définition d’un cadre comptable permettant de valoriser les impacts financiers matériels de la gestion du capital humain.

Ces initiatives s’inscrivent sur fond de mobilisation internationale pour promouvoir les meilleures pratiques en matière de capital humain, dont le Protocole du capital social et humain publié en 2019 par le WBCSD (World Business Council for Sustainable Development), coalition d’entreprises internationales en faveur du développement durable. Ce protocole reconnaît un lien entre la stratégie des entreprises en matière de capital humain, leur performance et la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).

Autrement dit, l’intégration de bonnes pratiques (dans les domaines du recrutement, du développement des compétences, de la santé et de la sécurité des employés, etc.) contribuent directement à atteindre les objectifs 3, 4, 5, 8 et 10 pour ne citer qu’eux. Tout en ouvrant aux entreprises de nouvelles opportunités d’activités, que ce soit dans la transition écologique, les services à la personne, l’éducation en ligne, etc.

Un cercle vertueux est en train de s’installer, qui se nourrit d’une meilleure prise en compte du capital humain pour attirer des investissements et de nouveaux investisseurs responsables dans une économie qui repose sur un triptyque équilibré : financier, naturel, et humain. Gageons que s’il est une seule conséquence positive à la crise sanitaire et économique que nous traversons, ce sera l’émergence d’un modèle qui replace l’humain au cœur de leur prise de décision.

Par Nicolas Jacob, ODDO BHF AM SAS.