Pauline Becquey, Directrice Générale de Finance for Tomorrow.
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Entretiens

Pauline Becquey (F4T) : "Nous avons besoin d’intégrer plus largement cette volonté d’impact sur l’économie réelle"

Pauline Becquey, Directrice Générale de Finance for Tomorrow, revient entre autres sur la définition de la finance à impact publiée fin septembre.

Finance For Tomorrow a publié à la rentrée une définition de la finance à impact. Quels en sont les principaux points ?

La finance à impact désigne une stratégie de financement ou d’investissement qui vise à accélérer la transition juste et durable de l’économie réelle, en apportant une preuve de ses effets bénéfiques. Son objectif est donc d’ancrer les enjeux du développement durable dans les décisions d’investissement et dans toutes les composantes des entreprises et des projets financés.

La définition repose sur les trois piliers de l’impact que sont l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesurabilité. L’idée est que l’investisseur doit vraiment démontrer une recherche conjointe d’une performance écologique et sociale et d’une rentabilité financière, tout en maitrisant ses externalités négatives. Un autre point important est la définition par l’investisseur d’une méthodologie claire et transparente et d’outils de mesure pour expliquer de manière documentée comment sa stratégie d’investissement contribue effectivement aux objectifs qu’il poursuit. Ceux-ci doivent par ailleurs s’inscrire dans des cadres de référence, et notamment les Objectifs de Développement Durable.

L’idée n’était pas de réinventer une définition de l’impact, mais de partir des travaux existants en s’assurant qu’elle puisse s’appliquer à toutes les classes d’actifs et à tous les types de produits financiers, et pas uniquement aux investissements dans le non coté. Les discussions ont réuni autour de la table plus de 80 participants, et il était essentiel que tous aient une vision partagée et une ambition commune autour de la finance à impact. Nous nous sommes notamment appuyés sur les travaux du Forum pour l’Investissement Responsable et France Invest, de l’Impact Invest Lab (iiLab) (devenu FAIR depuis sa fusion avec Finansol) ou encore les cadres de référence du Global Impact Investing Network

Justement, cette définition s’inscrit dans une série d’initiatives lancées ces dernières années afin de structurer le marché. Quels sont les enjeux ?

Il est essentiel d’accélérer la transformation. Le cadre de l’ESG est nécessaire, et il faut qu’il devienne mainstream, mais il n’est pas suffisant. Nous sommes face à des défis considérables et urgents, et si l’on veut vraiment faire bouger les lignes, nous avons besoin d’intégrer plus largement cette volonté d’impact sur l’économie réelle afin d’atteindre les ODD et les objectifs de l’accord de Paris. L’action de tous les acteurs économiques est requise : les entreprises, qui doivent changer leur mode de pensée et adapter leur modèle d’affaires, les pouvoirs publics, qui doivent prendre les décisions politiques appropriées, mais aussi les acteurs financiers, qui peuvent apporter les fonds nécessaires à cette transformation.

Il s’agissait aussi de lutter contre une forme d’impact washing ?

Si l’on se met à parler de finance à impact sans définir un cadre précis, on court effectivement le risque de voir des acteurs développer des pratiques d’impact washing, comme on a eu auparavant des pratiques de greenwashing. Mais ces travaux sont plutôt préventifs.

Existe-t-il aujourd’hui une forme de contrôle sur les produits se réclamant de l’impact ?

Il n’y a pas encore de contrôle effectif. À l’échelle européenne, la réglementation SFDR apporte un début de réponse en introduisant notamment le concept de double matérialité et une catégorie de produits qui "vise l’investissement durable", mais la notion d’impact n’est pas évoquée, et on reste plutôt dans le cadre de l’ESG. Le groupe de place a fait plusieurs recommandations en ce sens, notamment la création d’un label d’impact qui serait une déclinaison du label ISR et une meilleure intégration de la finance à impact dans le cadre réglementaire pour favoriser le développement du marché.

Le devoir fiduciaire devra évoluer afin de permettre le passage à l’échelle de la finance à impact pour garantir la transformation souhaitée."   

La définition met également l’accent sur l’aspect financier, pourquoi insister sur ce point ?   

Toutes les définitions existantes intégraient déjà cette notion de rentabilité financière au moins supérieure ou égale à zéro. Il était important de la conserver car si l’on veut développer le marché, on ne peut pas rester uniquement sur des produits de niche n’ayant pas ou très peu de rentabilité. Nous sommes convaincus qu’il est possible de concilier impact et rentabilité, même si, en fonction du produit et de la stratégie de l’investisseur, celle-ci pourra être plus ou moins élevée. Le devoir fiduciaire devra évoluer afin de permettre le passage à l’échelle de la finance à impact pour garantir la transformation souhaitée.    

Qu’attendre pour la suite ?

La définition constitue la première étape des travaux de Place, et la déclinaison opérationnelle sur les produits en eux-mêmes va se faire dans un deuxième temps. Nous souhaitons désormais développer les outils sur différents types de produits et classes d’actifs pour pouvoir mesurer et traduire concrètement ce que signifie faire de l’impact. La question se pose notamment sur les leviers effectifs d’action, qui ne sont pas forcément les mêmes dans le coté et le non coté, mais le cadre reste suffisamment général pour s’appliquer à tous.

La mesure d’impact est un autre défi important. Il reste très complexe de prouver le lien de causalité entre l’action de l’institution financière et les impacts sur les bénéficiaires finaux, c’est-à-dire l’additionnalité. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à mesurer l’impact réel exact qu’il ne faut pas essayer de développer cette pratique. Nous travaillons en parallèle sur un outil d’évaluation applicable aux fonds, qui estime leur potentiel de contribution à la transformation durable en fonction d’un certain nombre de critères. L’idée est de rassembler un faisceau d’indices pour montrer qu’il y a effectivement un potentiel de contribution à l’impact. Cette grille est actuellement en consultation publique, et de nouveaux groupes de travail vont être mis en place dans les prochains mois pour la faire évoluer et calibrer son efficacité.

La transition doit être juste, équitable et inclusive."

Finance for Tomorrow a également lancé en début d’année une coalition mondiale d’engagement autour de la "transition juste". De quoi parle-t-on exactement ?

La transition juste consiste à considérer le fait que le changement climatique va avoir des impacts socio-économiques forts qui peuvent remettre en cause les fondamentaux de l’inclusion dans notre société. En parallèle, la transition énergétique et écologique va également avoir des impacts en matière d’emploi, de santé, d’aménagement des territoires… Il est essentiel de prendre en compte les conséquences sociales des décisions que l’on prend pour atteindre les objectifs climatiques afin de ne laisser personne de côté : la transition doit être juste, équitable et inclusive. Nous avons eu en France un exemple très concret avec le mouvement des Gilets jaunes : la mise en place d’une taxe carbone peut avoir des conséquences sociales importantes qui impactent directement le quotidien des citoyens.

La coalition rassemble aujourd’hui 21 membres représentant 4 300 milliards d’euros d’encours sous gestion et voulant intervenir sur trois volets : développer le dialogue et l’engagement avec les entreprises autour de la question de la transition juste ; développer une chaire académique pour mieux comprendre les conséquences sociales et sociétales de la transition écologique ; mettre en place un hub de données rassemblant les données et indicateurs publiés par les entreprises.

Que retenez-vous vous des annonces faites à la COP26, notamment de la part des acteurs financiers ?

Je pense qu’il y a une mobilisation réelle et nous avons vu un certain nombre d’engagements relatifs notamment aux énergies fossiles et aux objectifs "net zero".  Maintenant, la question porte sur le temps que l’on va prendre pour mettre en œuvre ces différents engagements. Il faut qu’ils soient suivis d’actions très rapidement, avec des calendriers ambitieux, sous peine de rater les délais impartis. Les investisseurs notamment devront très vite traduire concrètement leurs ambitions de neutralité carbone en objectifs et cibles intermédiaires.

Il est également essentiel que l’on se place collectivement sur la bonne trajectoire, parce que la neutralité carbone à l’échelle d’une entreprise a peu de sens. L’action doit être globale et transparente. Nous avons lancé l’an dernier l’Observatoire de la finance durable en France avec l’objectif de suivre l’alignement des flux financiers avec l’accord de Paris. Nous saluons également le lancement de l’initiative One Planet Data Hub, dont l’ambition est de rassembler et, de promouvoir et de suivre les engagements des acteurs financiers en faveur de la transition écologique.

Propos recueillis le 10/11/2021. 

 

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