Jocelyne Ozdoba, directrice Publications et Evénements du think tank, Ambitious Finance.
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Entretiens

Finance durable : "le greenwashing, c'est quand on ne veut pas admettre qu'on est dans une démarche de progrès"

Rencontre avec Jocelyne Ozdoba, directrice Publications et Evénements du think tank, Ambitious Finance. Créée il y a un an par le cabinet de conseil Ailancy, cette initiative “vise à recadrer le rôle donné au secteur financier par rapport aux défis environnementaux, sociétaux et géopolitiques actuels." 

Qu’est-ce que l’anti-greenwashing ? Comment accélérer la transformation du secteur financier vers plus de durabilité ? Eléments de réponse avec Jocelyne Ozdoba, directrice publications et événements du think tank, Ambitious Finance

Quel est le rôle du think tank Ambitious Finance ?  

L’objectif du think tank est de faire progresser les pratiques sur les thématiques clés de la finance durable. Elles se situent entre la stratégie, la mise en oeuvre opérationnelle et les déclinaisons stratégiques dans les métiers où des engagements de finance durable ont été pris. C’est un écosystème d’experts, de spécialistes des métiers de la finance (banque de détail ou d’investissement, assurance, asset management, gestion patrimoniale…), mais aussi d’acteurs et d’influenceurs, de dirigeants et même d’ONG.  

Ces derniers mois, nous avons animé un certain nombre de rencontres sur la finance durable. Notre dernier communiqué de presse portait sur un séminaire des dirigeants des banques de la finance et des assurances avec 200 participants qui n’étaient pas issus de la finance durable ni même de la RSE. Ce n’était pas des convertis mais plutôt des personnes à responsabilité dans l’administration financière. Durant ce séminaire de co-construction, ils ont planché sur des thématiques clés pour chacun de leurs métiers. Tous s’accordent pour dire que nous sommes dans un moment charnière et qu’il ne faut pas de naïveté. Et ce, même si l’ESG et la finance durable sont dans toutes les bouches, rien n’est à dédaigner. 

Il existe déjà beaucoup d’organisations, d’ONG ou de labels porte-paroles sur ces sujets. Quelle est votre valeur ajoutée ?  

C’est de travailler sur la capacité de transformation des acteurs, d’oeuvrer pour une vision plus stratégique, normative et conceptuelle du sujet et d’identifier les facteurs clés sur le terrain. Les experts et les associés impliqués dans les travaux mènent des projets de transformation sur le terrain, dans l’ensemble des métiers de la banque et de la finance. Ce ne sont pas des convertis depuis dix ou quinze ans de la finance durable mais ils voient que c’est un enjeu pour les métiers qu’ils accompagnent. Nous avons beaucoup d’exemples ces deux dernières années de projets de finance durable qui ont mobilisé énormément de moyens dans les organisations et qui n’ont pas nécessairement réussi à faire ce lien.  

Autrement dit, la pratique c’est pour vous, et la théorie pour les autres... 

C’est la pratique avec du sens, oui. Ce n’est pas pour dénigrer le travail des autres mais on parle beaucoup d’interroger les clients sur leurs préférences ESG. Cette mesure va entrer en vigueur la semaine prochaine. Sur ce sujet, au-delà des contraintes opérationnelles, il faut faire un nouveau questionnaire qui soit conforme. Que fait-on pour continuer à distribuer des produits d’épargne dans un cadre aussi contraint sans greenwashing ? C’est une question que nous avons traitée lors de cette journée de co-construction du think tank.  

Aujourd'hui, la nature des questionnaires est extrêmement diversifiée par rapport à l’objectif de la Commission européenne qui est de redonner de la crédibilité au secteur bancaire, d’allouer les flux de capitaux vers les activités plus vertueuses. On pose sincèrement la question à l’épargnant en étiquetant les offres de manière transparente. L’intention est louable mais pour la mise en pratique, on sait déjà que des banques ne seront pas prêtes la semaine prochaine. Certaines auront des questionnaires complètement incompréhensibles auprès du client pour ne pas avoir un impact trop fort sur la distribution. Mais celles qui vont avoir ce rapport vraiment sincère en termes d’épargne sont une minorité. Pourquoi ? Parce qu’il y a des enjeux de relais, de coûts, de connaissances et de compétences. Les personnes qui ont ces projets entre les mains n’étaient pas des spécialistes il y a encore quelques mois. On essaie d’identifier les problématiques opérationnelles qui se posent dans la mise en oeuvre de la finance durable. Et dans le contexte actuel, il y a un enjeu de défiance de tout ce qui se rapproche de l’ESG. Cela faisait la Une de The Economist cette semaine. C’est particulièrement vrai dans le contexte macroéconomique et géopolitique actuel qui rebat les cartes des thématiques qui sont au coeur des décisions et notamment sur l’énergie.  

Est-ce que vous trouvez qu’il y a particulièrement un risque de greenwashing dans le secteur financier compte tenu de la technicité et des fondements mêmes de la finance ?  

Le risque de greenwashing est certain. Les outils anti-greenwashing existent et ils ont été formalisés il y a déjà quinze ans par des institutions internationales comme le Global Reporting Initiative (GRI) qui voulait que la communication non-financière soit aussi crédible que la communication financière. On parle aujourd’hui de toutes les normes qui sont revues au niveau international ou au niveau européen. C’est un état d’esprit. Le greenwashing c’est quand on ne veut pas admettre qu’on est dans une démarche de progrès. Par exemple, aujourd’hui c’est très difficile de fournir un produit d’épargne avec un bon rapport rendement/risque à un client qui est très engagé. Mais il y a une différence entre dire au client “nous sommes dans une démarche de progrès, nous allons prendre en compte vos préférences et nous allons sincèrement les intégrer en interne dans notre conception de produits et services parce que votre avis et votre appétence pour le durable comptent”. Et dire : “je refile ce que j’ai sur l’étagère” sans en dévoiler davantage. Dans ce cas, on est sur du greenwashing.  

Qu’est-ce que l’anti-greenwashing ? 

L’anti-greenwashing c’est d’accepter d’être dans une démarche d’humilité et de progrès. Si on veut éviter le greenwashing sur tous les secteurs de la finance, il faut accepter d’être dans une démarche d’humilité et de progrès parce que ce sont des sujets complexes. Le risque de greenwashing est certain mais il est vrai que des personnes qui savent lire les communications, les rapports d’investissement responsable, les documentations produits… auront l’oeil qu’un client lambda n’aura pas. Mais les ONG et autres parties prenantes notamment dans les médias l’auront aussi pour dire si un client très appétant à qui on donne un fond, ne l’utilise que pour réduire les impacts négatifs ou pour vraiment justifier de sa contribution positive en mesurant son impact positif. Mais je ne pense pas que ce soit un souhait. Pour moi, toutes ces structures souhaitent se prémunir du greenwashing mais cela demande un changement d’état d’esprit dans les équipes qui portent ces projets et dans la culture des établissements qui a jusqu’à présent été très défensive. Donc de dire “on n’est pas parfait, c’est complexe, on va y travailler” mais ce n’est pas forcément très naturel. 

 
Donc si je résume, vous proposez de rentrer dans des perspectives et enjeux opérationnels pour une finance vraiment durable, vous organisez des journées et des temps de réflexion pour essayer de proposer des solutions. Mais comment les poussez-vous ces solutions ? Quels sont vos moyens pour influencer les pratiques ou la réglementation ?  

 
Nous avons le projet de publier un ouvrage collectif fin décembre. Il rassemblera l’ensemble des contributions que nous avons pu avoir dans le cadre de ce séminaire et d’autres échanges. Ce think tank se veut très ouvert et nous souhaitons faire un ouvrage pour légitimer dans un premier temps la complexité et “l’envers du décor”. L’idée est de faire un constat, si on souhaite que ces projets de transformation aillent plus loin, sur quel point faut-il travailler ? Ce qu’il faut aussi noter c’est que dans les thématiques traitées dans le séminaire des dirigeant des banques, de la finance et des assurances, nous avions des thématiques “hard”, des thématiques de fonds, techniques mais nous avions aussi fait venir des intervenants qui travaillaient sur des thématiques plus “softs” de culture d’entreprise et d’accompagnement du changement. Ce ne sont pas que des solutions techniques, ce sont aussi des solutions dans les modes de collaboration et de travail. 

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