Jean-Philippe Desmartin, Directeur de l’Investissement Responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management.
©Edmond de Rotschild
Entretiens

COP27 : "les gouvernements n’ont collectivement pas été au rendez-vous"

Quelques jours après la clôture de la COP27, Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management, dresse un premier bilan de l'évènement. 

Qu'attendiez-vous initialement de cette COP27 ?

La guerre en Ukraine fragilise provisoirement la position européenne sur les énergies fossiles, sujet qui a fait l’objet de tant d’arbitrages lors de la COP précédente à Glasgow. On assiste ainsi en 2022 au grand retour des subventions publiques aux énergies fossiles. Dans ce contexte, on pouvait craindre de l’attentisme, et peu d’amélioration des engagements nationaux des pays les plus émetteurs (Chine, Etats-Unis, Inde, Japon, Europe) malgré l’engagement important pris l’année dernière de revoir chaque année les engagements nationaux et plus simplement tous les 5 ans jusqu’alors.

La COP 27 se déroulant en Egypte, l’espoir principal, au-delà d’initiatives ponctuelles sectorielles ou autre, résidait dans des avancées tournées vers les pays émergents.

La COP 27 s’est déroulée en Egypte. L’espoir principal, au-delà d’initiatives ponctuelles sectorielles ou autre, résidait dans une avancée tournée vers les pays émergents. On aurait ainsi pu voir régler enfin en 2023 la question des engagements pris à Paris fin 2015 d’un fonds de 100 milliards de dollars par an des pays riches vers les pays les moins avancés pour les aider à financer leurs transitions énergétiques et environnementales.

Quelques jours après sa clôture, quel bilan en tirez-vous finalement ?

En matière d’amélioration des engagements nationaux, l’attentisme a prévalu. Certes, les annonces de l’UE, de l’Australie, du Mexique et du Brésil (en particulier en matière de reforestation/déforestation) sont des signaux positifs mais au global, les gouvernements n’ont collectivement pas été au rendez-vous alors que toute l’année 2022 a mis en avant l’urgence climatique ; dômes de chaleur au printemps au Canada, canicules records cet été partout en Europe, inondations destructrices au Pakistan.

Une crainte avant la COP 27 a été confirmée par les faits. La géopolitique actuelle - guerre en Ukraine, confrontation entre Chine et Etats-Unis, accès aux énergies fossiles - a fragilisé les avancés de la COP précédente à Glasgow. La référence au charbon persiste mais "the elephant in the room", la réduction de l’usage de l’ensemble des énergies fossiles (y compris gaz et pétrole), ne semble plus à l’ordre du jour. La prochaine COP 28 ayant lieu fin 2023 à Dubaï aux Emirats Arabes Unis, il faut probablement se projeter fin 2024 pour espérer un changement sur les énergies fossiles qui concentrent 80% des enjeux climat.

La COP 27 se déroulant en Egypte, l’espoir principal, au-delà d’initiatives ponctuelles sectorielles ou autre, résidait dans des avancées tournées vers les pays émergents. Bonne nouvelle, il s’est confirmé et cela est clé pour la confiance entre le Nord et le Sud. On s’attendait à voir régler la question des engagements pris à Paris fin 2015 d’un fonds de 100 milliards de dollars par an des pays riches vers les pays les moins avancés pour les aider à financer leurs transitions énergétiques et environnementales. En fait c’est un sujet encore plus épineux qui a été traité. Demandé par les pays pauvres depuis 30 ans, l’ensemble des gouvernements a accepté le principe de la création d’un fonds pertes et dommages ("loss & damages"), afin de compenser les dégâts déjà causés par le changement climatique dans les pays les plus vulnérables, à commencer par certains Etats insulaires. Les caractéristiques de ce fonds sont encore très floues alors même que le diable se trouve dans les détails. Le président français Macron a rapidement appelé à une conférence en 2023 pour clarifier les modalités de ce fonds qui en l’état est une coquille vide.

Le bilan décevant de la COP 27 n'entamera pas l'appétit des investisseurs pour les investissements durables.

L'objectif climatique de 1,5° C semble s'éloigner. Est-ce selon vous un défi toujours réalisable ?

La COP 27 peut être considérée comme le moment charnière où la trajectoire +1,5°C devient hors de portée, remplacée par un objectif "inférieur à 2 degrés". Si les prochaines COP confirment la COP 27, les experts nous indiquent que nous pourrions atteindre le seuil des 1.5°C en 2035. Nous sommes déjà aujourd’hui à +1.1°C / +1.2°C et cela pour les cent prochaines années. Le scénario central que nous indiquent les experts est dans une fourchette comprise entre +2.6°C et +2.8°C. Tout en planifiant de plus en plus l’adaptation, il n’est pas trop tard pour changer, car +1.8°C ou +2.8°C ce ne sera pas du tout la même histoire. Rappelons que le sujet n’est pas de sauver la planète, elle se sauvera toute seule, mais, beaucoup plus égoïstement, de sauver une partie de l’humanité.

En quoi cette COP27 change-t-elle la donne pour les investisseurs ?

Le bilan décevant de la COP 27 n'entamera pas l'appétit des investisseurs pour les investissements durables. Toutefois, des entreprises et investisseurs pourraient être tentés de délaisser leurs engagements en faveur d’un objectif de +1,5°C au profit d’une trajectoire inférieure à +2°C, si les gouvernements abandonnent en pratique l'objectif de +1,5°C. Ils pourraient ainsi cesser de se référer aux scénarios de +1,5°C dans le cadre de leurs rapports sur le climat. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Le débat s’ouvrira sans doute en 2023.