©DR/Air Liquide
Entretiens

Air Liquide : "La lutte contre le réchauffement climatique a besoin des gaz industriels"

Le géant des gaz industriels Air Liquide comptait parmi les premiers de son secteur d’activité en 2018, à définir des "objectifs Climat". Le Groupe international mise entre autres sur l’hydrogène, le biométhane, et une stratégie RSE ambitieuse. Entretien avec Davide Meneses, Directeur du développement durable d’Air Liquide.

Davide Meneses, Directeur du développement durable du Groupe Air Liquide.
©DR/Air Liquide

La stratégie de développement durable d’Air Liquide se formalise en particulier sur les objectifs Climats définis en novembre 2018. Quels sont-ils et comment le Groupe entend les atteindre ?

En termes de politique RSE, chez Air Liquide, nous servons une grande diversité de marchés. Nous travaillons depuis longtemps à concilier croissance et respect de l’environnement et des personnes en développant des services et technologies innovants. Ainsi nous voulons à la fois être leader de notre industrie, être performant sur le long terme et contribuer à un monde plus durable. Plus spécifiquement, le Groupe a défini les axes suivants qui font partie de son plan stratégique : d’une part prévenir le réchauffement climatique et améliorer la qualité de l’air, et d’autre part renforcer le dialogue avec les parties prenantes, collaborateurs, clients et patients, investisseurs et actionnaires, fournisseurs, communautés locales. 

Par ailleurs, les objectifs Climat à horizon 2025 ont une approche ambitieuse - la plus ambitieuse du secteur - et globale. Air Liquide s’est donc engagé à agir dans trois dimensions à la fois : 

  • dans ses opérations de production, de distribution et de services en réduisant de 30 % l’intensité carbone* de ses activités d’ici 2025 (sur la base des émissions de 2015). Pour cela le Groupe va augmenter de 70 % la part de ses achats d’électricité verte, améliorer de 5 % l’efficacité énergétique de ses unités de production et réduire de 10 % l’empreinte carbone de ses activités bouteille et vrac ; 
  • avec ses clients, en déployant des offres et solutions bas-carbone et en codéveloppant avec eux des procédés innovants permettant de réduire leurs émissions ou de les capturer ; 
  • en mobilisant les écosystèmes (pouvoir publics, partenaires industriels, ONG...) via un dialogue actif et contribuer ainsi à l’émergence d’une société bas carbone, via notamment le développement du biométhane (par la voie de l’économie circulaire) ou de l’hydrogène énergie. 

*en kg de CO2 équivalent/€ d’EBITDA. 

Quels sont les grands défis auxquels doit répondre le secteur dans lequel vous évoluez ? Quels sont les principaux points de tension que vous pouvez rencontrer ?

Aujourd’hui les enjeux ne sont pas d’ordre technologique car les solutions existent. L’enjeu réside davantage dans la mise en place de ces solutions parfois plus coûteuses, qui requièrent donc de nouveaux investissements. Une taxe carbone avec un prix du CO2 suffisamment élevé, permettrait de convaincre les acteurs de l’industrie et des transports d’investir dans des procédés nouveaux plus vertueux comme l’hydrogène par exemple. Une autre solution serait de mettre en place une réglementation qui éviterait la distorsion de la concurrence ; il faut donc que les pouvoirs publics mettent en place des règles de jeux qui soient identiques pour tous, quelles que soient les géographies...

La crise sanitaire a entraîné une accélération des projets en lien avec la transition énergétique. C’est une bonne chose pour Air Liquide, mais c’est surtout une bonne chose pour la planète."

Gaz industriels et développement durable... Cela peut-il vraiment faire bon ménage ?

Bien sûr ! Je dirais même que la lutte contre le réchauffement climatique a besoin des gaz industriels ! Les molécules comme l’oxygène, l’hydrogène, le CO2 sont au cœur de la transition énergétique. Je donnerais quelques exemples concrets : le recours à l’oxycombustion (un procédé d’enrichissement de l'air à l'oxygène pur) permet d’améliorer les rendements des procédés thermiques et de réduire la consommation d’énergie. Dans les hauts-fourneaux pour l’acier par exemple, l’oxycombustion permet une réduction de 20 % des émissions de CO2. Un autre exemple est celui de l’hydrogène. Dans le secteur de la mobilité par exemple, son utilisation permet la production d’électricité en ne rejetant que de l’eau au point d’utilisation. Nos technologies, maîtrisées depuis longtemps, nous permettent aussi de convertir les déchets agricoles ou domestiques en biométhane et développer ainsi l’économie circulaire

De nombreux projets voient le jour, notamment dans l’hydrogène, avec les annonces récentes de l’Europe et les plans Hydrogène de la France (avec une enveloppe de 7,2 milliards d’euros d'ici 2030, ndlr) et de l’Allemagne (avec 9 milliards, ndlr) sont des signes très positifs. La crise sanitaire a entraîné une accélération des projets en lien avec la transition énergétique. C’est une bonne chose pour Air Liquide, mais c’est surtout une bonne chose pour la planète. 

Nombre d’entreprises du CAC40 inscrivent dans leurs statuts des "raisons d’être". Qu’est-ce que cela traduit de l’ambition de ces groupes ? Quels doivent être selon vous le rôle et la place des grands groupes dans la société d’aujourd’hui (et de demain) ? Qu'en est-il pour Air Liquide ?

Les entreprises ont toujours été au cœur de nos sociétés. Par l’emploi bien sûr, mais aussi pour fournir les ressources et services nécessaires aux populations. Par leur capacité à agir, à investir et à innover, les entreprises sont un maillon essentiel de notre futur à tous. Dans un monde qui a connu de nombreuses transformations, où tout s’accélère, les entreprises ont plus que jamais leur rôle à jouer pour relever les grands défis de notre époque.

Chez Air Liquide, nous fournissons des solutions innovantes à nos clients en contribuant à l'excellence opérationnelle et à la croissance durable. Nous n’avons pas encore formalisé notre raison d’être : d'autres défis ont requis notre attention. Mais cette formalisation devra faire l'objet d'un travail approfondi. En attendant une définition plus complète et précise, le Groupe a pour ambition d'être un inventeur d'avenir, dans une démarche de croissance rentable, régulière et responsable, associant l'ensemble de ses parties-prenantes (collaborateurs, clients, actionnaires...).

Les investisseurs intègrent de plus en plus des critères ESG à leurs modèles de valorisation et leurs choix d’investissement. Performance responsable et performance financière sont de plus en plus corrélées. 

Ces positionnements plus vertueux semblent justement être largement plébiscités par les actionnaires des entreprises. Qu’observez-vous de leurs attentes ? Pensez-vous qu’à votre niveau, une transformation de vos modèles est indispensable pour répondre à ces exigences ? 

Les actionnaires individuels - et ils sont nombreux chez Air liquide - sont très intéressés par ces sujets qu’ils regardent de près. Le développement de l’hydrogène énergie est depuis de nombreuses années un de leur sujet favori ! 

Du côté des investisseurs institutionnels, une évolution importante est en marche. Autrefois, nous avions à faire à des intérêts très différents, avec des investisseurs généralistes d’un côté, plus préoccupés par les perspectives financières, et de l’autre les investisseurs RSE davantage attachés à la prise en compte des composantes ESG. Aujourd'hui, les 2 mouvements convergent : les investisseurs intègrent de plus en plus des critères ESG à leurs modèles de valorisation et leurs choix d’investissement. 

De plus, la récente crise sanitaire a certainement accéléré cette tendance. Performance responsable et performance financière sont de plus en plus corrélées. 

Chez Air Liquide, nous avons intégré pleinement les objectifs RSE dans nos opérations, notamment, les objectifs Climat que nous avons été les premiers de notre secteur à mettre en place en novembre 2018. Les plans gouvernementaux pour la décarbonisation comme l’EU Green Deal, nous permettent également d’avancer et de créer des opportunités dans le développement de l’hydrogène, que nous promouvons depuis plusieurs années avec entre autres la création en 2017 du Conseil de l’Hydrogène qui compte aujourd’hui plus de 100 membres. 

Quels indicateurs peut-on retrouver dans vos reportings RSE ? À quelles grandes difficultés faites-vous face en termes notamment d'acquisition des données ?

Les indicateurs extra-financiers reportés dans le Document d’Enregistrement Universel, tiennent compte des différentes réglementations dans ce domaine : la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) et la Loi sur le Devoir de Vigilance principalement. Ils rendent compte de la performance du Groupe dans les domaines environnementaux et sociétaux. Tout comme les rapports financiers annuels, ce Reporting environnement et société est revu chaque année par un vérificateur indépendant. En 2019, les audits réalisés par les vérificateurs indépendants couvrent 30 % des effectifs et 20 % de l’empreinte environnementale du Groupe.

Le reporting extra-financier fonctionne de façon centralisée : les données sont collectées sur les sites ou dans les filiales, reportées via des outils dédiés et régulièrement modernisés, aux équipes chargées de les compiler. Les différents périmètres de reporting sont définis dans des procédures ou des politiques contenues dans le référentiel de procédures du Groupe.

Enfin, des groupes de travail sont mis en place lorsque nous souhaitons développer des démarches de reporting spécifiques comme récemment pour l’eau par exemple. Le Groupe a ainsi reporté des données plus précises qui lui ont notamment permis d’améliorer sa note au CDP (attribution d’un double A pour les questionnaires Climat et Eau en 2019).

À horizon 2025, nous visons 35 % de femmes parmi les ingénieurs et cadres du Groupe et 33 % de jeunes diplômés parmi les embauches d'ingénieurs et cadres"

Quels sont les prochains objectifs du groupe à moyen et long terme ?

Actuellement, le Groupe se concentre sur ses objectifs Climat, évoqués précédemment, mais aussi sur ses 2 objectifs de diversité et d'inclusion : à horizon 2025, nous visons 35 % de femmes parmi les ingénieurs et cadres du Groupe et 33 % de jeunes diplômés parmi les embauches d'ingénieurs et cadres.

Le 23 mars prochain, Air Liquide présentera ses nouveaux objectifs en matière de développement durable. Cet évènement sera l’occasion de revisiter les objectifs climat du Groupe et d’exprimer la contribution du Groupe à la neutralité carbone de la planète. Des engagements sociétaux et de gouvernance seront également pris à cette occasion.

Retrouvez l'intégralité d'Investir Durable #8, le magazine de la finance durable. 

 

Retrouvez le dossier en ligne d'Investir Durable #8