eko pramono (Pixabay)
En bref

Les normes contre le "greenwashing" pointent à l'horizon

Quelques jours avant la conférence mondiale sur le climat à Glasgow en octobre dernier, la plus grande entreprise pétrolière de la planète, Saudi Aramco, annonçait un objectif tonitruant: "zéro net" émission opérationnelle de carbone d'ici 2050.

Comme elle, plus du tiers des 2.000 plus grands groupes mondiaux cotés ont adopté un objectif de neutralité carbone ou bien de zéro gaz à effet de serre, en général d'ici 2050. Des promesses lointaines, faites selon des définitions variables, sans vérification, laissant le champ libre au pire du "greenwashing", ou écoblanchiment - le fait de promouvoir une image de l'entreprise plus vertueuse pour l'environnement qu'elle ne l'est en réalité.

Mais après des années de Far West, l'harmonisation mondiale est en marche et pourrait se concrétiser d'ici à 2024 ou 2025. "Le greenwashing est en train de croître et il sera croissant tant qu'il n'y aura pas de normes qui viendront clarifier qui fait quoi de façon précise", dit à l'AFP Emmanuel Faber, ancien PDG débarqué de Danone, nommé en novembre président du tout nouveau Conseil des normes extra-comptables internationales (ISSB), organisme totalement inconnu du grand public mais chargé d'une révolution: définir une norme universelle sur le climat pour les entreprises.

Il était temps! Les entreprises calculent leur empreinte carbone depuis les années 2000. Pour compter leurs émissions, venant de leurs usines, bureaux, fournisseurs, salariés ou clients, la méthode mondiale de référence est américaine, le GHG Protocol. Mais elle a de nombreuses lacunes et n'est pas obligatoire. Il reste hasardeux de comparer les émissions de différentes entreprises, comme on compare leurs bénéfices.

Par exemple, de nombreuses multinationales ne publient qu'une faible partie de leurs émissions réelles, comme l'a démontré récemment l'ONG Carbon Market Watch. Quant à Saudi Aramco, elle a utilisé une astuce répandue: sa promesse de "net zero" est réduite à ses émissions "opérationnelles", c'est-à-dire principalement ce que rejettent ses sites industriels... omettant le plus gros, les émissions "indirectes" de CO2 liées au pétrole qu'elle vend. L'entreprise, interrogée par l'AFP, répond qu'elle suit le GHG Protocol, et investit dans des technologies bas carbone pour ses clients.

Normes obligatoires ? 

L'écoblanchiment est "flagrant" de la part de certaines entreprises, dit Thomas Koch Blank, expert du Rocky Moutain Institute, mais même pour les entreprises bien intentionnées, l'absence de règle aussi stricte que dans la comptabilité financière laisse trop de place à "l'arbitraire". La vraie accélération dans l'effort d'harmonisation date de 2021, affirme Peter Paul van de Wijs, de la Global Reporting Initiative, un organisme basé à Amsterdam, qui développe depuis 2000 ses propres standards environnementaux et sociaux.

La plus ambitieuse est l'Union européenne, dont l'organisme Efrag prépare des normes environnementales et sociales pour 50.000 entreprises à partir de 2024. Mais le gendarme américain des marchés financiers, la SEC, a aussi surpris tout le monde avec un projet de réglementation poussée pour obliger les entreprises cotées à publier leurs émissions. L'UE, les États-Unis, le G20 et d'autres pays soutiennent ou discutent avec l'initiative pilotée par Emmanuel Faber, incontournable car elle émane de la fondation gérant les normes comptables IFRS, utilisées dans... 120 pays.

Sans standardisation, sans transparence comptable, nous en serons réduits à un concours de paroles.

"Il n'y aura pas de moments [plus propices] que les douze mois qui viennent, avec à la fois l'Europe, les États-Unis (...) et d'autres juridictions qui sont en train de poser les bases", continue Emmanuel Faber. Avec une future norme obligatoire, toute entreprise devra dire la vérité sur son empreinte carbone et son plan de transition climatique, sous peine de sanction... Le mensonge environnemental sera, en théorie, plus facile à débusquer.

"Concours de paroles"

Reste un problème: comment croire les entreprises qui promettent le "net-zero" pour après-demain, en 2040 ou 2050 ? Une organisation s'est imposée pour labelliser ces engagements, en vérifiant que l'entreprise a un plan rigoureux de réduction des émissions: l'initiative Science-Based Targets (SBTi), animée par les ONG WRI et CDP. Les critères de ce tampon "SBT" de respectabilité climatique, obtenu par 1.480 entreprises, sont en train d'être resserrés, afin d'être plus exigeants que dans les premières années. Là aussi, son patron, Luiz Amaral, attend une règle du jeu commune: "Sans standardisation, sans transparence comptable, nous en serons réduits à un concours de paroles". Une autre façon de dire que les normes peuvent changer le monde.

Avec AFP.