La santé a engendré la plus forte proportion d'émissions d'obligations sociales à l'échelle mondiale en 2020, devant l'emploi.
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Analyses

Dans le sillon de la dette verte, la dette sociale trace aussi son chemin

Les émissions d'obligations sociales ont bondi de 720 % dans le monde pour représenter 147,7 milliards de dollars, dont 42 % réalisées en Europe.

Maintenir l'emploi ou favoriser l'accès aux soins : les émissions obligataires à vocation sociale - un marché resté jusqu'alors dans l'ombre de la finance verte - ont explosé l'an dernier, même si elles sont encore largement l'apanage du secteur public.

Pendant des obligations vertes destinées à financer des projets favorables à l'environnement ou à la transition énergétique, les obligations sociales permettent de lever des fonds destinés à des projets à objectifs sociaux.

Jusqu'alors plutôt timide, ce marché a été dopé par les besoins de financement engendrés par le Covid-19 : l'an dernier, les émissions d'obligations sociales ont bondi de 720 % dans le monde pour représenter 147,7 milliards de dollars, dont 42 % réalisées en Europe, selon un rapport publié par BloombergNEF fin janvier.

Même si cela reste moitié moins que les quelque 305 milliards de dollars levés sous forme de dette verte (+13 %) en 2020, ce jeune marché - la première obligation sociale remonte à 2015 - progresse à vitesse grand V quand celui des "green bonds", né en 2007, a atteint aujourd'hui une certaine maturité.

"En 2017, 2018 et 2019, les obligations sociales ont représenté entre 6 % et 8 % de l'ensemble du marché des obligations 'durables'", une proportion qui a bondi à 30 % en 2020, détaille auprès de l'AFP Paula Dunin-Wasowicz, directrice obligations durables pour Société Générale.

"La très grande partie" de cette progression est liée au "financement des charges supplémentaires dues au Covid-19", complète-t-elle, alors que le soutien monétaire et budgétaire massif consenti pour lutter contre la pandémie a été essentiellement financé par de la dette.

Qu'il s'agisse de promouvoir l'accès aux soins ou à l'éducation, de favoriser le maintien dans l'emploi ou de permettre l'acquisition d'un logement, les catégories de projets éligibles à ce type de financement sont très variés, avec un prérequis : la nécessité de désigner une population spécifique bénéficiaire, généralement défavorisée.

Les investisseurs, juges de paix

Si aucune régulation internationale n'encadre les obligations sociales, de grands "principes", comme pour les "green bonds", ont été élaborés sous l'égide de l'Association internationale des marchés de capitaux (ICMA), auxquels la majorité des acteurs se conforment.

Que ce soit, en amont, sur la sélection des projets financés et la gestion des fonds jusqu'à leur versement effectif, ou en aval, sur la destination finale de l'argent et la mesure des impacts sociaux obtenus, ces principes obligent les acteurs à faire preuve de transparence, le tout sous l'oeil de tierces parties (auditeurs et agences extra-financières). "Le deuxième garant quelque part est un peu le marché lui-même", explique Laurie Chesné, membre du pôle finance verte et durable de Natixis, d'autant que les investisseurs "sont de plus en plus compétents sur ces sujets-là". Et pour les émetteurs, "il y quand même un risque de réputation qui est non nul", abonde Isabelle Vic-Philippe, responsable du marché obligataire euro chez Amundi.

Sans surprise, c'est la santé qui a engendré la plus forte proportion d'émissions d'obligations sociales à l'échelle mondiale l'an dernier (24 %), devant l'emploi (22 %), avec quelques opérations phares qui sont restées essentiellement l'apanage du secteur public, France en tête.

Derrière les près de 47 milliards de dollars cumulés d'obligations sociales émises en 2020 par l'Union européenne pour financer son fonds de soutien à l'emploi (SURE), c'est à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) que revient le record d'émissions sociales: 23,4 milliards. Juste devant l'Unédic, qui gère le régime d'assurance-chômage français, et qui a émis 19,4 milliards de dollars d'obligations sociales l'an dernier.

Quant aux entreprises, elles restent pour l'instant une partie mineure de ce marché. "La proportion d'obligations sociales parmi toutes les obligations ESG (répondant à des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance) émises par des entreprises est de moins de 10%, en dépit d'une petite progression l'an dernier", selon Mme Dunin-Wasowicz.

"Depuis la COP 21, l'effort s'est porté plutôt sur le climat parce qu'il représente un sujet systémique pour tous les portefeuilles", analyse de son côté Thomas Girard, également membre du pôle finance verte et durable de Natixis.

Mais le pilier social fait désormais de plus en plus "jeu égal avec le pilier environnemental", note Mme Vic-Philippe chez Amundi, qui a lancé en décembre son premier fonds commun de placement d'obligations sociales.

C'est porteur "en termes d'image", et face à une clientèle qui réclame "du sens dans ses investissements", ajoute-t-elle.

Avec AFP.