Me Olivier LAFFITTE, Avocat à la Cour, Président de l’Observatoire du Droit de la Finance Durable et Administrateur du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR).
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Analyse juridique

Préférences ESG: attention aux nouveaux risques juridiques pesant sur les conseillers financiers !

Par Me Olivier LAFFITTE, Avocat à la Cour, Président de l’Observatoire du Droit de la Finance Durable et Administrateur du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR).

Préférence ESG des clients : de quoi parle-t-on ? 

Avec les récentes modifications des réglementations européennes AIFM, OPCVM, MIFID 2, et l’évolution à compter du 1er janvier 2023 du règlement général de l’AMF pour ce qui concerne les CIF, l’ensemble des conseillers financiers devront désormais prendre en compte les préférences ESG de leurs clients.

Concrètement, et quel que soit leur statut juridique, les conseillers financiers devront obligatoirement, via un questionnaire ad hoc, procéder à une évaluation préalable des préférences ESG de leurs clients afin de s’assurer de l’adéquation du produit recommandé.

Rien de révolutionnaire en apparence. Et pourtant ce faisant, les conseillers financiers deviendront des conseillers extra-financiers, ce qui modifiera substantiellement tant la conduite de leur activité que le régime juridique de leur responsabilité professionnelle.

Un nouveau régime de responsabilité professionnelle : de conseiller financier à conseiller extra-financier ! 

En termes de responsabilité professionnelle, la jurisprudence a identifié quatre types d’obligation pesant sur les conseillers financiers : l’obligation de s’informer, sur son client comme sur le produit recommandé, l’obligation d’informer son client, de le conseiller, et le cas échéant de le mettre en garde. L’évolution de la jurisprudence en la matière a été particulièrement exigeante, faisant peser sur les conseillers financiers un risque de responsabilité professionnelle majeur, les clients insatisfaits n’hésitant pas à ce titre à les mettre en cause afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Sur ce point, la jurisprudence a toujours exigé jusqu’ici, que le préjudice allégué par le client mécontent corresponde à une perte financière éprouvée ou un gain manqué. Autrement dit, le préjudice du client ne saurait être que financier.

Or, avec l’apparition des préférences ESG, un client pourra désormais considérer avoir été mal conseillé et avoir subi un préjudice, dès lors que l’investissement réalisé ne correspondrait pas in fine aux attentes ESG qu’il avait exprimé, et ce quand bien même aucun préjudice financier n’en aurait résulté ! Ce préjudice, d’un type nouveau et relativement subjectif, sera évalué à l’aune de l’importance accordée aux critères ESG lors de l’évaluation préalable susmentionnée.

A cet égard, et même si les conseillers financiers ne sont pas soumis à une obligation de résultat, il est fort probable que l’exigence d’une analyse personnalisée et approfondie du produit financier recommandé, telle que déjà posée par la jurisprudence, sera étendue aux produits ESG. Dans ces conditions, les conseillers financiers ne pourront espérer échapper à leur responsabilité en invoquant la conformité du produit recommandé à la taxonomie européenne ou à un label ESG, l’AMF ayant notamment déjà alerté sur le greenwashing affectant de nombreux produits financiers dont les performances ESG réelles sont in fine bien en-deçà de celles affichées.

Ce nouveau préjudice ESG, qu’il soit invoqué isolément par un client mécontent ou en complément d’un préjudice financier classique, augmentera substantiellement la responsabilité professionnelle des conseillers financiers, ainsi que le montant des indemnisations potentiellement demandées à leur encontre.

Comment prévenir le risque ? Audit ESG des contrats et adaptation des pratiques

La responsabilité des conseillers financiers étant principalement contractuelle, ce sont donc les termes de leurs contrats qui devront être revus au prisme de ce nouveau risque juridique.

Pour ce faire, un audit juridique ESG apparaît indispensable en vue d’identifier les nécessaires adaptations tant des termes contractuels existants que des modalités de la relation conseiller-client, afin non seulement de pré- venir l’apparition de ce nouveau risque mais également de permettre aux conseillers financiers de prouver le moment venu, le parfait respect de leurs obligations d’information et de conseil en la matière.

 

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