"La durabilité est-elle un objectif d'investissement important pour vous" ? Désormais, les clients désirant investir une partie de leur épargne dans des produits financiers de la Banque Postale devront répondre à cette question, comme c'était déjà le cas concernant le degré de prise de risque. En cas de réponse négative, les interrogations ne vont pas plus loin.
Et si elle est positive, la deuxième question demandera si le client souhaite définir lui-même ses préférences ou laisser la main à son conseiller. S'il garde la main, le client devra donner une proportion, avec un chiffre ou un degré d'intensité que son conseiller devra respecter pour fixer divers critères durables.
La mission paraît simple, mais le secteur financier se sent mal armé à la veille de ces nouvelles exigences, imposées par la règlementation européenne. A tel point que l'Autorité des marchés financiers française a demandé un report de l'application pour les conseillers en investissements financiers (CIF) au 1er janvier 2023, même si la législation va bien s'appliquer dès mardi pour les conseillers bancaires.
Décalage
"On a mis la charrue avant les boeufs", a résumé lors d'une présentation début juillet la responsable des affaires publiques de BNP Paribas AM, Laurence Caron-Habib. En effet, le nouveau questionnaire se met en place alors même que les critères pour définir ce qu'est précisément un investissement durable ne sont pas encore totalement connus.
Si les critères de deux des six objectifs environnementaux (l'atténuation du changement climatique et l'adaptation à celui-ci) ont été définis par Bruxelles dans le cadre de sa taxonomie verte, il en reste quatre à préciser sur l'eau, la pollution, l'économie circulaire et la biodiversité. Ils ne sont pas attendus avant l'automne. Et l'obligation de publication des données environnementales pour les entreprises ne commence qu'en janvier 2023.
Autre symbole de ce faux départ : l'autorité européenne des marchés financiers (Esma) a mené une consultation auprès des acteurs financiers pour établir des règles de bonnes pratiques sur la prise en compte des préférences. Mais ses conclusions ne sont pas attendues avant la fin de l'année. Regrettant ce calendrier, l'association européenne des gestionnaires d'actifs (Efama) a également demandé à l'Esma plus de "flexibilité" dans l'application.
"Il sera commun qu'aucun produit de finance durable ne corresponde pleinement aux préférences initiales du client", craint l'association. Moins de 2 % des investissements dans les entreprises du CAC 40 seraient alignés avec la taxonomie, selon BNP Paribas AM. Pour éviter l'attente du "produit parfait" pour commencer à investir dans la finance durable, l'Efama a proposé de laisser la latitude de réorienter les attentes vers "les meilleures alternatives possibles".
Concurrence et greenwashing
Outre la taxonomie verte européenne, les distributeurs de fonds, qui sont proposés aux épargnants, peuvent se référer à la notion d'"investissement durable", selon le règlement européen sur la publication d'informations en matière de durabilité des produits financiers.
Mais cette notion est moins bien définie par l'Union européenne. Il s'agit seulement d'"un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental", ou "social", sans causer "de préjudice important" aux autres objectifs.
Il revient aux gérants d'établir selon leur méthodologie si chacun de leurs placements entre dans cette définition pour calculer leur proportion d'investissements durables. "La proportion durable d'un même fonds peut donc être variable" en fonction de "la souplesse" du gérant, a regretté auprès de l'AFP Léonard Pirollet membre de l'équipe Solutions ISR de la Banque Postale AM. Cela fait ressortir les craintes d'une concurrence faussée entre gérants, voire du "greenwashing".
Cette nouvelle réglementation a toutefois permis de repenser l'offre durable des fonds, et impulsé un effort de formation. Les équipes de différents métiers "se sont beaucoup parlé sur ce sujet. Et ce ne sera pas la dernière fois", anticipe Pierre-Alexis Binet, directeur des affaires institutionnelles la Banque Postale.
Avec AFP.