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Analyses

ETF ESG , trop passifs pour être vrais ?

Les ETF ESG rencontrent un succès fulgurant auprès des investisseurs européens, institutionnels comme particuliers. Mais qu'ont-ils sous le capot ? 

Plébiscités entre autres pour leurs frais réduits, leur liquidité, ou encore leur transparence, les ETF (Exchange Traded Fund) affichent depuis plusieurs années une montée en puissance impressionnante. En 2021, les 1 620 ETF disponibles sur le marché européen ont collecté quelque 162 milliards d’euros, en hausse de 28 % sur un an, selon le dernier Observatoire Quantalys de la Gestion ETF, en partenariat avec BNP Paribas Asset Management. Au total, leurs encours atteignaient en fin d’année 1 333 milliards d’euros - contre 610 milliards en 2018-, soit 14 % de l’actif total des fonds distribués en Europe.

Cette dynamique a particulièrement profité à un segment de marché : pour la première fois, les ETF intégrant des dimensions environnementales, sociales ou de gouvernance (ESG) ont réalisé une collecte nette supérieure à celle de leurs homologues conventionnels. Sur l’année, les ETF ESG ont ainsi attiré 87 milliards d’euros, contre 75 milliards d’euros pour les ETF non ESG. En un an, leurs encours ont progressé de 122 % pour atteindre 219 milliards d’euros, à comparer aux 8 milliards d’euros de 2018.

Dans un contexte de ralentissement des marchés, ils ont également continué à afficher une bonne santé sur les premiers mois de 2022, représentant le tiers de la collecte des ETF en Europe entre janvier et mai. "Cela reste très élevé, observe François Millet, responsable du Développement Climat et Thématiques, Amundi ETF, Indiciel & Smart Beta. Une caractéristique de l’ESG est la stabilité de la collecte. Les actifs ne font pas l’objet de désallocations tactiques lorsqu’il y a un événement particulier type hausse des taux d’intérêt."

La tendance ne devrait pas s’arrêter là. Selon une enquête de BNP Paribas AM dévoilée en juin, 91 % des investisseurs s’attendent à une expansion du marché européen des fonds indiciels durables au cours des prochains mois. "On observe une demande forte de la part des clients privés et des institutions, qui doivent s’aligner sur un certain nombre d’obligations réglementaires, commente Alfred Le Léon, responsable ETF France pour J.P. Morgan AM. Il y a une forte dynamique en termes d’offre, avec le lancement de nouveaux supports pour répondre à cette demande croissante". En 2021, Quantalys dénombrait 280 ETF ESG/ISR sur le marché européen, contre 146 il y a trois ans.

Différents degrés d'intensité 

S’ils trouvent une place croissante au sein des allocations des investisseurs souhaitant verdir leur portefeuille, les fonds indiciels cotés ont pourtant longtemps suscité des interrogations quant à leur compatibilité avec des stratégies ESG poussées. En cause principalement : les contraintes liées à la réplication d’un indice, et une marge de manœuvre réduite par rapport aux gestions actives. Chez ces dernières, il revient ainsi aux gérants de sélectionner les valeurs détenues en portefeuilles. Les ETF en revanche sont par définition soumis aux méthodologies de construction des indices.

Ces dernières années, le marché a vu fleurir une grande variété d’indices ‘responsables’ devant permettre de répondre à des demandes toujours plus fines de la part des investisseurs. "Il y a une gradation des produits, avec des intensités ESG différentes. Certains ont des déviations très faibles par rapport à l’indice parent, avec des budgets de tracking error limités, précise François Millet. D’autres stratégies sont plus affirmatives : par exemple, on peut aller jusqu’à éliminer 75 % de l’univers par rapport à l’indice de départ".

Quand on entre sur le terrain de la durabilité il y autant de variations que d’envies du client, donc l’univers des possibles est très large."

Globalement, ces stratégies se distribuent en deux grandes catégories. La première option consiste à décliner les indices de marché traditionnels tels que le CAC 40 ou le S&P 500, en y ajoutant des filtres ESG pouvant varier en intensité, le premier niveau étant l’exclusion. "L’approche initiale consiste à faire de l’élimination, du negative screening détaille François Millet. Généralement, il s’agit d’écarter des portefeuilles les sociétés en violation de grandes conventions internationales, ou impliquées dans les armes controversées. De plus en plus, celles impliquées dans le charbon et le tabac font également l’objet d’exclusions de base. C’est un socle que l’on retrouve dans quasiment tous nos produits ESG". En fonction de la stratégie de l’indice, certaines exclusions supplémentaires peuvent être ajoutées, concernant par exemple les énergies fossiles.

La marche suivante consiste à ne retenir que les valeurs ayant les meilleures notes ESG au sein de chaque secteur. "C’est ce que l’on appelle le ‘best-in-class’ poursuit François Millet. Dans ce cas, on peut par exemple décider d’investir uniquement dans le top 50 voire le top 25 % des meilleurs ratings". Chez iShares (BlackRock), cette approche a représenté environ 2/3 de la collecte en 2020-2021, indique Arnaud Gihan, responsable des ETF iShares en France. "C’est la gamme la plus plébiscitée et la plus intense en termes de durabilité. Elle s’adresse aux investisseurs ayant des attentes fortes sur ces sujets".

Les ETF ESG de cœur de portefeuille, souvent destinés à servir d’alternatives directes aux expositions classiques aux indices de marché, affichent pour la plupart des erreurs de suivi relativement limitées. Aussi, il n’est pas rare de tomber sur des indices "ESG" dont les portefeuilles sont très proches de ceux de leurs équivalents non ESG.

Ces derniers mois, de nouvelles stratégies ont proliféré sur le marché, dans le sillage des déjà très populaires ETF "climat" et "bas carbone". Celles-ci s’articulent autour des deux benchmarks créés par la Commission européenne pour les indices climatiques : les indices de transition climatique (Climate Transition Benchmarks ou CTB) et les indices alignés avec l’Accord de Paris (Paris Aligned Benchmark ou PAB). Ces deux familles visent notamment une réduction immédiate de l’empreinte carbone des portefeuilles par rapport à l’univers de départ, ainsi qu’une réduction de 7 % en moyenne de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif final étant la neutralité carbone nette en 2050. Depuis leur création, les producteurs d’ETF se sont largement saisis des indices estampillées PAB et CTB. Il y a quelques semaines, Ossiam annonçait par exemple le lancement d’une gamme de huit ETF indexés sur les Bloomberg Paris Aligned Benchmarks (PABs) "couvrant tous les principaux marchés actions développés" et conformes à l’article 9 du règlement SFDR. Les fonds de la gamme "Enhanced" d’iShares répliquent quant à eux des indices CTB.

Dimension "active"

L’autre grande tendance au sein de l’univers des ETF responsables - et plus globalement dans l’industrie de la gestion d’actifs - est la croissance rapide des stratégies dites thématiques (parmi lesquelles sont parfois inclus les ETF climat). Dans ce cas, les entreprises composant l’indice sont sélectionnées au regard de leur contribution à la résolution d’enjeux liés au développement durable, avec une vision multisectorielle. "Il ne s’agit pas simplement d’identifier des tendances sociétales, mais d’investir dans des activités économiques correspondant à des objectifs de développement durable, détaille François Millet. C’est une catégorie très forte qui bénéficie d’une popularité importante".

Pour répondre à la demande, les fournisseurs d’indices et les producteurs d’ETF travaillent régulièrement de concert afin de construire les méthodologies. Sur le volet environnement, on retrouve par exemple aujourd’hui sur le marché des stratégies consacrées aux énergies renouvelables, à l’eau, à l’économie circulaire, aux mobilités douces ou encore à la biodiversité. En 2017, Lyxor lançait également le premier ETF au monde sur les obligations vertes, le Lyxor Green Bond. Depuis, BlackRock a emboité le pas avec l’ETF iShares Green Bond Fund. Tous deux sont labellisés Greenfin.

Encore en retrait, les stratégies dédiées à des thématiques sociales devraient également se multiplier dans un avenir proche sous l’effet d’une demande croissante. "Ces sujets sont encore souvent représentés uniquement à travers la composante ‘S’ des ratings ESG, mais on peut s’attendre à une progression au niveau des produits thématiques dédiés", prévoit François Millet. Lancé en 2017, l’ETF Lyxor Global Gender Equality a par exemple pour objectif de répliquer un indice "constitué de 150 sociétés du monde entier, équipondérées, qui ont obtenu le meilleur score en matière d’égalité hommes-femmes selon 19 critères".

À prendre en compte cependant, les ETF thématiques peuvent "par nature avoir des déviations très fortes par rapport au marché, prévient François Millet. Les portefeuilles sont nécessairement plus concentrés". Des biais importants qui inscrivent ces stratégies à la frontière de la gestion active : selon l’enquête de BNPP AM, 82 % des investisseurs estiment que les ETF thématiques sont des stratégies actives. "Alors que les ETF traditionnels ont historiquement toujours été qualifiés d’investissements ‘passifs’, les ETF thématiques ‘nouvelle génération’ sont de plus en plus considérés comme actifs, les investisseurs recherchant des rendements à partir de mégatendances de long terme représentées par des indices de niche actives", rapporte l’étude.

De plus en plus, cette dimension active s’exprime aussi par la mise en place de politiques d’engagement couvrant les gestions passives. Vote en assemblées générales, dépôts de résolution, dialogue continu avec les entreprises... Ces différents leviers peuvent constituer des outils puissants aux mains des investisseurs responsables... à condition d’être bien utilisés. Or ces dernières années, les gérants indiciels ont parfois fait l’objet de critiques sur ce sujet. Chez Amundi, les "gestions indicielles font l’objet de la même attention en termes d’engagement et de vote que les gestions actives", assure François Millet : "Nous sommes un acteur très important de l’engagement au niveau mondial. Nos taux de support aux résolutions climatiques ou sociales sont statistiquement très élevés".

Pour les gérants indiciels, cette notion d’engagement est d’autant plus importante qu’à l’inverse des fonds actifs, il est difficile de jouer la carte du désinvestissement. "Mécaniquement, nous ne pouvons pas désinvestir si l’indice comporte toujours cette valeur et si les notations sont conformes à son maintien", rappelle Arnaud Gihan. En revanche, poursuit le responsable des ETF iShares en France, les gérants indiciels présentent une "vertu", celle d’être généralement des investisseurs stables et de long terme. "Année après année, nous sommes autour de la table avec les entreprises. Nous ne sommes pas une logique d’exclusion. À nos yeux, il s’agit de la meilleure manière d’obtenir des résultats". Sur la période 2021-2022, BlackRock annonce avoir mené par le biais de son équipe d’engagement actionnarial plus de 3 600 engagements avec 2 600 entreprises.

Les gérants indiciels représentent aujourd’hui un poids considérable dans l’industrie financière, et celui-ci devrait aller croissant au cours des prochaines années. Sur la seule thématique de l’ISR, PwC estime que les encours des ETF ESG pourraient atteindre entre 684 et 906 milliards d’euros en 2025. En attendant, les acteurs imaginent des pistes pour pousser la durabilité au sein du secteur. "Les investisseurs sont de plus en plus sensibles à la mesure des trajectoires de leur portefeuille, observe François Millet. Si l’on souhaite réellement frapper les esprits et amener les investisseurs à considérer des allocations compatibles avec les objectifs climatiques, il faut que ces derniers soient conscients des trajectoires actuelles de leurs portefeuilles. Une grande partie des stratégies indicielles sont aujourd’hui au-dessus des 3°C, et tout progrès dans la transparence va pousser les réallocations".

"Dans quelques années on ne parlera surement plus d’indices ESG, prévoit de son côté Alfred Le Léon. Les indices dits traditionnels intègreront sans doute naturellement ces éléments extra-financiers dans la pondération des titres et la construction de l’univers. On peut s’imaginer qu'à terme un indice CAC 40 intégrant des considérations ESG peut être potentiellement plus représentatif de la santé de l’économie française, car à long terme ces sociétés sont plus susceptibles de naviguer les risques issus de problématiques environnementales, sociales et de gouvernance".

À lire

En 2021, une étude publiée par l’EDHEC Business School estimait à 12 % le poids des donnés climatiques utilisées dans la construction des indices climatiques, contre 88 % pour les données financières comme la capitalisation boursière. "Cela montre que si l’information sur les scores climatiques est bien prise en compte dans ces portefeuilles, son influence reste marginale", explique Felix Gotz, l’un des co-auteurs de l’étude. Autre résultat : environ 35 % des entreprises dont l’empreinte carbone se détériore voient leur poids augmenter. "Le signal donné est incohérent, poursuit Felix Gotz. D’un côté, on explique aux entreprises qu’elles devraient prendre en compte les facteurs climatiques et de l’autre on augmente le poids de certaines dont le score se dégrade". Dernière tendance relevée par l’étude : l’exclusion régulière de certains secteurs carbo-intensifs de ces indices. "Ces stratégies sous-pondèrent des secteurs essentiels comme l’électricité, ce qui permet d’afficher un score très élevé pour le portefeuille, mais cette pratique est incohérente avec l’objectif de transition verte", pointe Felix Gotz. L’étude, qui pointe des risques de "greenwashing", a été beaucoup commentée, notamment par les acteurs concernés.

 

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