Florent Deixonne, Responsable de la Gouvernance et de l’Investissement Socialement Responsable pour le Groupe LYXOR.
Entretiens

ETF ESG : quand la gestion indicielle se met au vert

Autrefois marginale, la gestion indicielle, dont l’objectif est de répliquer la performance d’indices de référence, a connu ces dernières années une progression fulgurante, au point d’exercer désormais un poids considérable dans l’industrie de l’asset management. Au même titre que la gestion active, elle aura donc un rôle essentiel à jouer dans le développement de l’investissement socialement responsable et l’amélioration des pratiques des émetteurs, explique Florent Deixonne, Responsable de la Gouvernance et de l’Investissement Socialement Responsable pour le groupe Lyxor. 

L’une des caractéristiques de l’ISR est le rôle attribué aux gérants d’actifs, qui peuvent peser "activement" sur le comportement des émetteurs en promouvant par exemple les meilleures pratiques et en excluant les mauvais élèves. La gestion indicielle se définit quant à elle par nature comme un mode de gestion passive, qui se contente de répliquer des indices. ISR et gestion indicielle sont-ils incompatibles pour autant ?

À la question "est-ce que la gestion indicielle peut être consistante avec les considérations ESG", la réponse est aujourd’hui clairement oui. Notre conviction est qu’il est tout à fait possible de concilier investissements dans des ETF (exchange traded funds, ou fonds coté en bourse en français), intégration ESG, engagement et politiques d’active-voting. La gestion indicielle est d’ailleurs par nature très transparente en termes de valeurs contenues dans les portefeuilles et le client sait précisément à la fois ce qu’il achète, mais également quels filtres ESG et/ou climat sont mis en place. Il est par ailleurs possible d’obtenir de l’impact en investissant dans ces produits en combinant la mesurabilité, l’intentionalité avec l’effet d’échelle, et sans souci de liquidité.

De quelle façon prend-on en compte l’ESG dans la gestion passive ?

Tout dépend de ce que l’on souhaite faire. Aujourd’hui, la gestion indicielle se décline sur deux grands axes : le pilier des ETF thématiques, qui vont porter sur l’eau, les nouvelles énergies, les green bonds ou encore les considérations de d’égalité des genres, et celui des ETF de cœur de portefeuille, qui vont directement remplacer des expositions classiques aux indices de marché existant dans les portefeuilles de nos clients institutionnels. Désormais, on observe une accélération de désinvestissements de la part de ces derniers, par exemple, dans le MSCI Europe pour réinvestir sur le MSCI ESG leaders Europe, sur lequel est opérée une sélection ESG afin de ne retenir que les valeurs qui possèdent les meilleures pratiques ou s’inscrivent sur des trajectoires positives.

Comment sont composés ces indices ESG ?

Concernant les ETF thématiques, il s’agit d’indices qui ont été construits main dans la main avec nos partenaires afin de répondre à un cahier des charges précis : par exemple avec Solactive et le Climate Bond Initiative sur l’ETF green bond ou RobecoSAM sur les ETF eau et nouvelles énergies. Les ETF ESG cœur de portefeuille répliquent quant à eux des indices fournis par MSCI et dont les méthodologies de construction sont en phase avec nos convictions. 

Sur chacun de nos ETF ESG, qu’ils soient thématiques ou cœur de portefeuille, on retrouve une sélection en complément d’une première couche d’exclusion. Il est donc possible de construire des processus d’investissement relativement complets sur ce type de gestion.

Ce type de gestion est-il compatible avec l’engagement actionnarial, qui est l’un des leviers clés de l’investissement responsable ?

La gestion passive, qui était auparavant restreinte à la réplication d’un indice à des frais minimaux, a connu ces dernières années une montée en puissance fulgurante. Aujourd’hui, ce type de gestion représente 20 % de la totalité des fonds gérés par l’industrie, avec une progression annuelle pour les ETF d’environ 20 % par an ces dernières années. À eux seuls, les trois principaux gérants indiciels mondiaux possèdent environ 10 % du capital des sociétés européennes et 15 à 20 % du capital des sociétés américaines.

Devant de tels chiffres, serait-il acceptable que cette gestion n’exerce pas son vote en tant qu’actionnaire ? La réponse est non, et cet engagement constitue même un outil indispensable, au regard de notre responsabilité fiduciaire, pour inciter les meilleures pratiques et renforcer la création de valeur sur le long terme. Au même titre qu’un gérant actif, le gérant passif peut voter contre une résolution, déposer des résolutions, supporter des résolutions déposées par des actionnaires et faire basculer des assemblées générales. Les émetteurs ont dû s’habituer à ce nouvel interlocuteur.

Il ne faut pas non plus oublier que si la gestion passive est une gestion de long terme, le gérant passif est tout autant exposé à des risques ESG, et à tout intérêt à établir une relation forte avec les émetteurs qu’il a en portefeuilles : c’est la partie active de la gestion passive et ce levier est d’autant plus important que le gérant passif n’a pas la liberté de sortir une valeur qu’il ne souhaite plus d’un portefeuille. En effet, le gérant passif étant par essence un investisseur "permanent" des entreprises d’un indice, et non un investisseur "temporaire", il se doit donc d’être un acteur de référence de la gouvernance des entreprises, au côté des autres actionnaires.

Enfin, la demande clientèle est de plus en plus forte sur ces considérations et les clients s’attendent à ce que nous exercions notre responsabilité en termes actionnarial pour leur compte. Il ne faut d’ailleurs par dissocier le vote du dialogue avec les émetteurs, que Lyxor mène tout au long de l’année principalement sur des enjeux de gouvernance mais également climatiques. Cette activité d’engagement apporte une très grande valeur, puisque cela nous permet d’échanger avec les émetteurs sur nos convictions réciproques et de mieux les connaître.

La réplication d’un indice limite néanmoins les possibilités de réaction face à de mauvaises pratiques…

L’indice, dans son process de construction, peut comporter des filtres ESG et dans ce cas, si un titre subit une dégradation de son score ESG ou est sur une mauvaise trajectoire, il peut être exclu lors des rebalancements. Il y a donc bien à ce niveau un process actif de sélection. Le vote et l’engagement permettent également d’apporter une réponse active supplémentaire.

Quelle dynamique de marché peut-on observer aujourd’hui ?

En termes de marché, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les ETF ESG représentent désormais 13 milliards d’euros uniquement en Europe. Cela ne représente encore que 2 % des encours sous gestion des ETF européens, mais sur la seule année 2018, la croissance a été de 45 %. Depuis janvier 2019, les net new assets représentent 2,3 milliards d’euros, soit près de 10 % des inflows sur l’ensemble des ETF européens. La progression est donc extrêmement importante. En termes de répartition, nous sommes à 72 % de broad equities "best-in-class", 12 % fixed income, 12 % sur des thématiques ESG, et 4 % sur des indices low carbon.

Que peut-on attendre dans les années qui viennent ?

C’est un marché en pleine construction et l’innovation va se poursuivre, notamment sur les fonds ESG thématiques, en ligne avec les Objectifs de Développement Durable. Il faut également s’attendre à un développement des solutions d’investissement en lien avec la transition écologique au travers des produits de dettes. Nous avons lancé un premier ETF sur les obligations vertes, et nous pensons développer ce type d’initiative, car nous constatons d’un côté le besoin de financement, et de l’autre la volonté farouche des particuliers d’y participer. 

Enfin, le tsunami réglementaire européen qui arrive va également apporter de très gros changements sur les ETF liés à la transition climatique, où il va y avoir une accélération qualitative concernant les indices liés au climat. Jusqu’à maintenant, les ETF qui existaient sur des considérations climatiques étaient plutôt basés sur des indices que l’on pouvait appeler low carbon, mais dont certains ont été décriés assez rapidement lié au fait que les données utilisées n’étaient pas assez qualifiées, avec parfois une tendance à produire un effet inverse à celui désiré initialement en terme d’objectif.

Quelles sont les solutions d’investissements proposées par Lyxor sur ce marché ?

L’offre se répartit sur deux axes : les ETF à sélection ESG  ainsi qu’une  gamme d’ETF  à thématiques Sustainable qui sont directement alignés sur des ODDs :  égalité des genres en ligne avec l’ODD numéro 5, green bond sur  l’ODD 13, nouvelles énergies sur l’ODD 7 ainsi que le thème de l’eau en ligne avec l’ODD 6.

L’une d’elles a d’ailleurs récemment reçu la reconnaissance d’un label public…

Effectivement, nous sommes engagés dans un certain nombre d’initiatives depuis plusieurs années liées aux considérations Climatiques ; qu’il s’agisse des UN-PRI, du Climate Bond Initiative, du Climate Action 100+. Il nous semblait naturel de vouloir aller chercher le meilleur standard de marché pour le l’ETF Green Bond, qui a été le premier ETF -et le seul à ce jour - à recevoir le label TEEC. Cette labellisation est un exemple parmi d’autres qu’aujourd’hui, au-delà de répliquer un indice, la gestion passive intègre des connotations actives de très haut niveau, avec dans le cas présent une recherche interne qui analyse pour chaque green bond en portefeuille les projets financés par ces derniers afin de s’assurer qu’ils  sont bien en ligne avec les exigences TEEC.

Retrouvez l'intégralité du deuxième numéro d'Investir Durable, le magazine de la finance durable.