Patrick Pansier, Responsable Data, Digital & Innovation chez LBP AM.
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INFO PARTENAIRE

"Sans la technologie, l’ISR n’est pas possible"

Face à la complexité des données ESG, la technologie et l’innovation sont indispensables pour élaborer des modèles ISR robustes et crédibles, estime dans cet entretien Patrick Pansier, Responsable Data, Digital & Innovation chez LBP AM.

Comment peut-on mettre la technologie au service de l’investissement responsable ?

À la différence de la finance plus « classique », l’investissement responsable fait appel à des données qualitatives sur des compagnies qui ne sont pas toutes couvertes de la même manière. L’ISR étant un domaine en évolution constante, les données ESG évoluent également très rapidement. Les fournisseurs ajoutent de nouveaux indicateurs chaque mois, et certains se spécialisent dans des domaines tels que le climat ou la biodiversité.

Face à cette variété de formats et l'absence de codification standardisée, il n'est plus envisageable de récupérer manuellement des données pour créer des milliers de modèles ISR distincts. Les systèmes traditionnels ne sont pas non plus appropriés, étant donné la grande variabilité des données. Habituellement, nous utilisons des bases de données avec des tables interconnectées et un modèle préétabli. Or quand les données évoluent constamment, il faut adapter les modèles et cela engendre une grande complexité en termes de maintenance informatique.

Et comment vous y adaptez-vous ?

Les méthodes habituelles telles que les ETL ne sont plus adaptées pour intégrer ce type de données. D’un point de vue IT, nous sommes obligés de mettre en place de nouveaux outils permettant de stocker des données sans avoir à prédire de modèle.

Une autre problématique surgit une fois que toutes ces données ISR sont intégrées. Nous avons environ 10 000 émetteurs répertoriés dans notre base, et nous avons superposé environ 4 000 indicateurs ISR, ce qui génère un volume considérable de données. Lorsque ces données sont dans notre base, un problème interne peut se poser : nous possédons un référentiel de sociétés telles que "Nestlé", "Total" et "Renault". Or, lorsque nous recevons les données de nos fournisseurs, ils n'utilisent pas nécessairement les mêmes codes. L'un pourrait utiliser "Renault Groupe", un autre "RNT", et ainsi de suite, générant des codifications différentes que nous devons parfois faire correspondre avec notre référentiel interne.

Cela nécessite des opérations de « matchmaking » et de reconnaissance : certaines correspondances sont évidentes, mais d'autres sont plus complexes. Parfois, nous utilisons même la phonétique pour détecter les erreurs : si deux noms se ressemblent, il est possible que nous parlions de la même société. Nous mettons en œuvre des algorithmes de recherche sémantique avancés afin d'identifier correctement les entreprises sur lesquelles nous recevons des données ISR.

Ces réflexions ont débouché sur la création du "Data Hub ISR", pouvez-vous nous en parler ?

Nous aurions pu nous adresser à des acteurs tiers afin d’externaliser ces tâches, mais nous avons décidé de traiter nous-mêmes cette problématique. Étant donné notre expertise dans le domaine de l'ISR, nous avons opté pour l'utilisation d'une technologie nouvelle de type NoSQL, une plateforme « complexe data » pour la différencier du « big data » : nous ne traitons pas avec des volumes massifs, mais plutôt des données complexes. Cette complexité nous pousse à adopter des technologies innovantes.

Nous avons choisi une plateforme qui nous permet d'intégrer facilement les données dans leur format d'origine. À ce jour, nous intégrons 20 sources de données ISR, comme MSCI, Vigeo Moody, Ethifinance, etc. Ces sources sont intégrées dans leurs formats d'origine, puis nous appliquons le fameux « matching » en employant des algorithmes pour lier les données à nos émetteurs. Actuellement, notre base de données compte 10 000 entreprises et 4 000 indicateurs ISR qui alimentent notre modèle de scoring ISR : « GREaT ». Sur un portefeuille composé d'actions, nous sommes en mesure de récupérer la note « GREaT » pour chaque action et de fournir une note globale pour l'ensemble du portefeuille.

Comment est construite cette notation ?

« GREaT » porte sur 4 piliers extra-financiers : la Gouvernance responsable, la gestion durable des Ressources, la transition Énergétique et le développement des Territoires. Aujourd’hui, cette approche est appliquée dans toutes les stratégies de gestion de LBP AM. Pour construire un modèle quantitatif, un score cohérent, il est essentiel de sélectionner des indicateurs pertinents. Nous réalisons une analyse préalable des indicateurs parmi les 4 000 disponibles, et nous en retenons environ 100 qui sont jugés pertinents pour notre modèle. Chaque indicateur contribue à cette note globale.

Quelles sont aujourd’hui les principales difficultés rencontrées dans le domaine de la collecte et de l’analyse de données ISR ?  

L'un des défis majeurs réside dans la qualité des données. Il ne s'agit pas simplement de récupérer des prix : nos données peuvent varier entre du texte et des valeurs numériques d'un jour à l'autre. Nous devons mettre en place des plateformes de données qui effectuent de l’analyse et de la mise en qualité.

Une autre partie complexe concerne l'analyse des petites structures. Certains fournisseurs de données ne couvrent pas les entreprises plus petites, ce qui peut rendre difficile la recherche d'informations. Aujourd’hui, nous utilisons des méthodes qui interrogent des sources de données publiques sur Internet pour impliciter des données ISR. Cette approche vise notamment à dégager des tendances et à identifier d'éventuelles controverses autour des entreprises.

L'analyse des tendances est un sujet qui est aujourd’hui traité par certaines fintechs. Cela permet de compléter les parties moins couvertes par les fournisseurs de données traditionnels. La tendance est d’extraire de la donnée brute pour lui donner du sens via des algorithmes d'intelligence artificielle, en utilisant des techniques d'analyse linguistique et de graphes sémantiques. Ces méthodes nous permettent d'apporter des éclairages sur des entreprises moins bien couvertes.

Une société de gestion qui n'a pas investi dans des plateformes de données, des compétences humaines, des algorithmes de traitement… ne pourra pas être crédible en matière d'ISR.

LBP AM organise cet automne la deuxième édition des « Trophées de l’Innovation ». En quoi consiste cette initiative ?

L'idée est de valoriser des pépites proposant des solutions aux problématiques que nous rencontrons actuellement, voire à des problématiques que nous n'avons pas encore identifiées. En 2022, la première édition a été un grand succès et quatre fintechs innovantes ont été récompensées. Parmi elle, Fruggr est par exemple une société spécialisée dans le calcul de l’empreinte numérique.

Cette année, nous avons décidé de poursuivre l'initiative en mettant l'accent sur les fintechs ISR et les greentechs, avec des prix spécialisés. L'objectif est d'identifier des entreprises à fort potentiel et de les accompagner dans leur développement, en s’appuyant notamment sur la capacité du groupe à diffuser des solutions sur un périmètre étendu et sur l’incubateur de La Banque Postale, Platform 58.

Chez LBP AM, nous avons créé ce prix pour être au contact permanent de l’innovation. C'est une manière de rester compétitif. L'organisation des Trophées de l'Innovation nous permet d'apprécier le travail des fintechs, d'observer attentivement le marché. Mais aussi de nous remettre en question. Il existe une multitude de technologies et de fintechs avec des idées variées, l'offre a considérablement augmenté par rapport à il y a quelques années.

La technologie peut-elle également permettre d’améliorer la transparence des investissements ?

Lorsque nous utilisons une méthode quantitative sur laquelle nous sommes en mesure d'auditer toutes les étapes qui conduisent à la note, cela permet d'assurer une transparence, de la donnée brute jusqu'à la note finale. Nous pouvons décomposer chaque aspect en détail. Cette transparence est cruciale, car pour donner une note crédible, il est essentiel de pouvoir expliquer chaque élément de bout en bout. La technologie nous permet de retracer toute la piste d'audit de notre score ISR et d’expliquer la note, notamment aux clients.

Ces derniers mois, nous avons d’ailleurs travaillé autour de l'idée de rendre cette plateforme accessible en externe. Cela pourrait permettre à tout investisseur d’obtenir une notation « GREaT » pour l’ensemble de ses investissements, y compris des fonds d’autres sociétés de gestion. Et de comparer son allocation globale, de déterminer comment l’améliorer sur le plan ESG.

Quelle est votre perspective sur l’importance de l’innovation technologique dans le domaine de l’ISR ? 

Aujourd'hui, pour mener une évaluation précise des entreprises, des investissements et des fonds, il est indispensable d'investir dans la technologie. Une société de gestion qui n'a pas investi dans des plateformes de données, des compétences humaines, des algorithmes de traitement… ne pourra pas être crédible en matière d'ISR. Il n'est plus envisageable de réaliser ces tâches sur Excel. Les méthodes manuelles que nous pouvions utiliser autrefois ne sont plus adaptées. Sans la technologie, l’ISR n’est pas possible.

En partenariat avec LBP AM.